Par Peter Cross (de Londres pour Réalités)
Où est donc passé Abou Iyadh ? Arrêté par les forces spéciales américaines à Tripoli selon plusieurs sources, toujours en liberté selon Ansar al-Charia, le mystère plane depuis le 30 décembre. Les médias anglo-saxons peuvent ils nous éclairer, sinon sur son sort, au moins sur l’origine du mystère ?
Dans une tribune libre dans Digital Journal, site d’informations canadien, Ken Hanley observe que :
En Octobre, lorsque les forces spéciales américaines, appuyées par quelques Libyens, ont capturé le militant d’Al Qaïda Nazih al-Rougaï, également connu sous le nom d’Abou Anas Al-Libi, à Tripoli, les États-Unis ont immédiatement qualifié leur opération comme une grande victoire. Mais les temps ont changé.
[Suite à l’opération de Tripoli] il y a eu des menaces d’enlèvement de ressortissants américains. Le gouvernement libyen a pris ses distances avec l’opération, réclamant publiquement des explications et allant même jusqu’à exiger qu’Al-Libi soit renvoyé chez lui en Libye. Le Premier ministre libyen a été brièvement enlevé par des miliciens dépendant du ministère de l’Intérieur. Désormais, Washington rechigne à admettre sa participation à quoi que ce soit, à moins d’y être contraint.
Son confrère américain Dan Lamothe, qui écrit pour « The Complex », rubrique du site de Foreign Policy consacré au « labyrinthe de la sécurité nationale », situe l’information de l’arrestation d’Abou Iyadh dans un contexte quasi identique :
Lorsque les forces des opérations spéciales américaines ont attrapé, avec l’aide de forces libyennes, le chef local d’Al Qaïda Nazih Al-Rouqaï en Libye en Octobre dernier, les États-Unis ont tout de suite salué l’intervention comme une victoire. Mais le raid a provoqué des menaces d’enlèvement d’Américains, et le gouvernement libyen a dénoncé publiquement l’opération (tout en la soutenant en privé).
Tout cela rend d’autant plus intéressant l’intervention du lundi 30 décembre. Selon les premiers témoignages dans les médias libyens, les forces américaines et libyennes ont collaboré pour capturer Saifallah Benahssine, le chef du groupe islamiste Ansar Al Charia. Toutefois, Chuck Prichard, porte-parole de l’US Africa Command, s’est empressé d’opposer un démenti à toute idée de participation américaine à une telle mission : « Nous n’avons aucune indication que les forces américaines ont été impliquées, » a-t-il affirmé dans un entretien téléphonique avec Foreign Policy.
Un responsable du Pentagone, le major Rob Firman, a également déclaré que le ministère de la Défense américain n’avait pas participé à l’opération : « Nous avons entendu ces rapports, mais nous n’y étions pas impliqués, » a-t-il affirmé.
Il reste à voir si Benahssine est vraiment en garde à vue, et si oui, où. Lorsque les Américains avaient capturé Al-Rouqaï en Octobre, il a été transporté pour interrogatoire vers un navire de la Marine américaine, l’USS San Antonio, déployé dans la région.
Sans exception, les autres médias anglo-saxons ont eu droit aux mêmes démentis, quelles que soient les portes auxquelles ils ont frappé. Ainsi Global Post et l’agence Reuters ont ils sondé le porte-parole de l’US Africa Command, pour s’entendre dire avec fermeté que « les forces américaines n’ont pas participé à quelque opération que ce soit aujourd’hui en Libye relative au chef d’Ansar Al Charia Abou Iyadh, » alors que « des responsables américains de la sécurité ont affirmé à Reuters que ni les agences de renseignement des États-Unis et ni leurs agents n’avaient été impliqués dans une opération contre Abou Iyad. »
Même son de cloche chez US News & World Report :
Un porte-parole du ministère de la Défense affirme que les troupes américaines n’ont joué aucun rôle dans la mission. « Contrairement à ce qui a été rapporté par certains médias, les forces américaines n’ont pas été impliqués dans des opérations visant le chef d’Ansar Al Charia Abou Iyadh aujourd’hui en Libye, » a déclaré lundi le colonel Steve Warren. Selon lui, les forces américaines n’ont d’ailleurs participé à aucune autre opération en Libye au moment où le raid contre Abou Iyadh est censé avoir eu lieu.
Warren a refusé de s’exprimer sur la question de savoir si d’autres éléments de l’appareil sécuritaire américain auraient pu y participer.
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La nouvelle [de la capture d’Abou Iyadh] fait suite à des informations sur l’arrestation par les autorités libyennes de quatre militaires américains alors qu’ils enquêtaient sur les voies d’évacuation possibles. Ils se trouvaient près de Sabratha, dans le nord de la Libye, « dans le cadre d’une mission de préparation sécuritaire lorsqu’ils ont été détenus, » a déclaré Warren, ajoutant qu’ils ont été libérés et se trouvent désormais en dehors de la Libye. Interrogé sur la branche [de l’appareil militaro-sécuritaire à laquelle les quatre hommes appartiennent], il ne s’est laissé aller à aucun commentaire.
Les détails de leur arrestation à un poste frontalier restent flous. L’ambassade américaine en Libye et les représentants de l’US Africa Command mènent une enquête sur l’incident, a-t-il confirmé.
Curieusement, face à cette impressionnante unanimité, seul Magharebia – site d’informations qui dépend de l’US Africa Command – choisit de laisser planer un certain doute :
L’arrestation présumée du terroriste fugitif tunisien Abou Iyadh ce lundi 30 décembre est encore entourée de mystère.
[ … ] Sur fond de versions contradictoires de l’incident, l’un des proches du leader terroriste tunisien a affirmé qu’Abou Iyadh a bien été capturé à Misrata. [ … ] Mais les responsables américains n’ont pas tardé à nier toute implication.
« Contrairement à ce qui a été dit dans les médias, les forces américaines n’ont pas été impliquées dans des opérations visant le chef Ansar Al Charia Abou Iyadh aujourd’hui en Libye. Nous vous invitons à consulter les autorités libyennes pour toutes questions supplémentaires, » a déclaré l’ambassade américaine à Tunis sur sa page Facebook.
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Des responsables de la ville de Misrata ainsi que l’organisation Ansar al- Charia en Tunisie ont pour leur part également nié que le leader salafiste ait été appréhendé lundi.
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D’autre part, des Libyens interrogés par Magharebia se sont félicités de la nouvelle d’une possible victoire des forces de sécurité naissantes du pays.
Ahmed Al-Warfalli, un officier de renseignement âgé de 33 ans, s’est dit «très heureux de cette nouvelle, et j’apprécie le nettoyage de la Libye de tous les terroristes qui ont créé le chaos dans ce pays avec leurs meurtres et leurs attentats. »
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Nazzar Youssef Al-Feki, un commerçant de 32 ans, a souligné quant à lui que « Benghazi a subi des assassinats, des attentats, des enlèvements et des meurtres commis par Ansar Al-Charia. En tant que musulman sunnite de rite malékite, je ne peux approuver de tels actes, qui sont contraires à la loi et à l’islam ; l’islam n’a rien à voir avec eux. »
« Je bénis l’arrestation du leader tunisien d’Ansar al- Charia, et j’espère que des opérations similaires auront lieu dans d’autres villes libyennes, tels que Sabratha, Benghazi et Derna, » a-t-il ajouté. «Je voudrais que les dirigeants de ces groupes soient jugés devant un tribunal international de sorte que le monde connaisse le terrorisme de ces groupes et la menace qu’ils représentent pour la paix et la sécurité mondiales, et que l’Islam n’a rien à voir avec leurs actes. »
P.C.