La responsabilité du revers subi par la Tunisie est collective. Le blacklistage de notre pays, pour la deuxième fois en l’espace d’un mois, par l’Union européenne, notre partenaire stratégique, traduit autant l’incompétence, l’insouciance que l’absence de coordination entre les différents intervenants publics. Au lieu de tirer les enseignements des dysfonctionnements constatés et chercher les voies qui permettent aux structures de l’Etat de travailler en bonne harmonie, on a eu droit, au contraire, à des manifestations qui témoignent d’une irresponsabilité déconcertante et d’un manque de maturité affligeant. Ce qui s’est produit illustre le délitement de l’Etat et une certaine fuite en avant de nos responsables qui n’ont pas trouvé mieux que de se renvoyer les accusations et de refuser de voir la réalité en face. Ce qu’on a vu, relève tout simplement de la science-fiction, de l’irrationnel ou tout simplement de l’irresponsable. Pour se disculper, chacun a campé sur ses positions, allant jusqu’à fouler du pied un principe sacro-saint, à savoir le droit de réserve quand on a la charge de gérer les affaires du pays et de veiller sur ses intérêts. Voir les institutions de l’Etat s’adonner à un effeuillage de mauvais goût, ne reculant pas à étaler leur linge sale au grand jour, n’étonne guère, mais estomaque. Il ne provoque plus questionnement, mais scepticisme et une certaine amertume et désillusion. L’on se demande où cette insoutenable légèreté qui a gagné nos responsables politiques dans la gestion de la chose publique, peut les conduire. Manifestement, au bout de sept ans de gestion chaotique, l’image idyllique que le pays a pu construire a rapidement pris des rides, et le crédit qu’il a réussi à engranger, s’est transformé en doute, voire en craintes de plus en plus vives. Tout un capital vite dilapidé et une confiance qu’on est en train de consumer en raison d’erreurs, voire même d’absence de pilotage. Ce n’est pas par ce mode de gouvernance qu’on pourrait préserver les intérêts du pays, restaurer la confiance, émettre des signaux positifs et redonner espoir aux Tunisiens. Ce n’est pas en voyant chacun fuir ses responsabilités que le pays pourra relever les défis qu’il est en train de rencontrer, et ce n’est pas en bafouant les règles élémentaires de solidarité et de partage de responsabilité que nos dirigeants gagneront l’estime des Tunisiens ou des parties étrangères. Deux exemples illustrent bien les errements de nos dirigeants qui, en cette période de fortes turbulences, préfèrent la politique de l’autruche, que d’affronter les difficultés et d’assumer leurs responsabilités. Le premier concerne l’affligeante passe d’armes qui a opposé le gouvernement à la CTAF (Commission tunisienne des analyses financières) que préside Chedly Ayari, Gouverneur de la Banque centrale contraint à la démission, comme si les deux ne faisaient pas partie de l’Etat tunisien. Le plus grave, c’est que chaque partie a cherché à stigmatiser l’autre, non à présenter des voies de sortie ou des solutions qui auraient pu épargner au pays bien de déconvenues. Le premier a cherché un bouc émissaire, l’autre a répliqué en mettant à nu l’inertie d’une équipe gouvernementale pléthorique, mais peu performante. Tous les autres détails développés, le long d’audiences à l’ARP et de conférences de presse, n’ont fait qu’enfoncer davantage le clou du déshonneur subi par la Tunisie par ceux-là mêmes qui sont censés la servir et s’employer à fond pour améliorer son image. Le deuxième exemple symbolise, lui aussi, l’impuissance certaine de l’Etat tunisien qui se trouve, une fois de plus, incapable de gérer des situations difficiles, d’anticiper, d’appliquer la loi et d’assurer la protection des sites stratégiques de production. Pour le cas de la catastrophe qui nous vient du bassin minier de Gafsa, qui ne cesse de nous hanter depuis maintenant des lustres, c’est le courage politique qui a fait défaut et la recherche de solutions faciles. Il y a aussi le laxisme assassin des organisations nationales et de la société civile qui se cachent derrière des discours dogmatiques éculés, pour se soustraire à leurs responsabilités et s’épargner de prendre des positions non populistes. Tout le monde regarde impuissant l’asphyxie de cette entreprise, jadis fleuron de l’économie nationale, dans une sorte de complicité destructive. L’arrêt de l’activité, pendant plus d’un mois, de la Compagnie des phosphates de Gafsa et du Groupe chimique, est perçu comme un simple fait divers, non une catastrophe pour l’économie du pays. Le gouvernement affiche un silence lourd qui dénote fort son impuissance à faire bouger les choses. Pendant ce temps, l’UGTT monte au créneau et, comme la nature a horreur du vide, ne reculant pas à pointer du doigt l’inefficacité du gouvernement, son incohérence et les mauvais choix qu’il est en train de prendre, notamment pour redresser la situation économique.
53