Où va Nidaa Tounes ? Bisbilles et risques de fracture

 

 

Véritable patchwork, Nidaa Tounes a réussi, en l’espace de deux ans seulement, à devenir un contrepoids  de  taille,  influant significativement la  vie politique. Sa victoire lors des élections législatives et présidentielle de 2014 et sa  présidence

de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) en est la preuve la plus tangible. Aujourd’hui, son option pour le  consensus pour la formation du gouvernement Essid, a provoqué des lézardes et des frictions qu’on ne daigne pas cacher.
Les élections gagnées, le parti sorti vainqueur assume la  grande responsabilité notamment, le choix du chef du gouvernement. Une mission à l’origine d’une  discorde au sein de la plus haute pyramide  du parti.  En effet, choisir le futur locataire de la Kasbah – qui succèdera à Mehdi Jomâa et son gouvernement de technocrates, issu du dialogue national – n’était pas une tâche facile, loin s’en faut.  La  pomme de discorde: l’identité du futur chef du gouvernement. Pour certains, le choix devrait se porter sur un « Nidaiste » justifié par la victoire du parti aux élections qui lui impose d’assumer ses responsabilités, vis-à-vis des Tunisiens qui ont voté pour lui.

Pour d’autres, la présidence du gouvernement devrait revenir à une personnalité indépendante. Un choix justifié par « la difficulté de l’étape », l’acuité des problèmes économiques et sociaux et la nécessité de les résoudre. Or, la résolution des dossiers urgents et l’engagement des grandes réformes ne pourraient réussir que dans le cadre d’un large consensus, et avec un chef de gouvernement indépendant.

S’il est vrai que la question est maintenant  tranchée, et que le deuxième camp a fini par avoir  gain de cause, il n’en demeure pas moins que les conflits internes restent récurrents.  Certains poids lourds  du parti, aujourd’hui députés à l’ARP, n’ont pas caché leur mécontentement et n’ont pas hésité à exprimer haut et fort ce qu’ils pensent.

A commencer par Khaled Chawket, qui a estimé, que la «  nomination de Habib Essid pour le poste de chef du gouvernement n’a pas bénéficié d’un large consensus, aussi bien à l’intérieur de Nidaa Tounes qu’au sein des autres partis. Le comité constitutif du parti assume, à lui seul, la responsabilité politique d’un tel choix », arguant que «ce choix n’est pas à la hauteur des attentes du peuple tunisien ».

Pourtant, toute la classe politique ou presque, a salué la nomination de Habib Essid. Qu’ils soient alliés ou non de Nidaa, de nombreux  partis, dont le Mouvement Ennahdha, 2e force politique, ont soutenu l’idée d’un chef de gouvernement indépendant. Leur argument : voir un parti  qui monopoliserait les trois pouvoirs, le Parlement et les deux têtes de l’Exécutif, ne peut qu’être « contreproductif ».

Nul n’ignore qu’aujourd’hui, la Tunisie a plus que jamais besoin, au cours de la prochaine période, d’un gouvernement fort, et surtout d’un gouvernement qui pourrait avoir le soutien et des partis politiques, et des centrales patronale et ouvrière.

 

Remettre de l’ordre dans les rangs du Nidaa

La tension au sein du parti ne baissant pas, les déclarations enflammées des uns et des autres mettent à mal les structures du Nidaa. Ceux favorables au choix de Habib Essid ont poussé le raisonnement à l’extrême accusant les réfractaires  de ne pas penser à l’intérêt suprême du pays mais, plutôt, à leurs propres intérêts. Aussi la déclaration de Hafedh Caïd Essebssi – dont le rôle au sein du parti reste controversé auprès de certains – a été on ne peut plus, claire : « Aujourd’hui Nidaa Tounes a plus besoin de gens utiles et non pas de ceux dont l’ambition est démesurée et qui ne veulent que se donner de l’importance … ». Cette forte  réaction de Hafedh Caied Essebssi, est  une réponse claire aux propos incendiaires de Khemaies Ksila, contre Mohsen Marzouk, conseiller politique du Président de la République, et Rafaa Ben Achour, conseiller juridique.

Khemaïes Ksila, faut-il le rappeler,  a tiré à boulets rouges contre certains  cadres de son parti, affirmant sans ambage que «Mohsen Marzouk et Rafaâ Ben Achour sont les plus grands torts qui se trouvent, à Carthage,  pour la Tunisie ».

Des propos qui ont poussé la direction de Nidaa Tounes à réagir. Le directeur exécutif du parti, Boujemaa Rmili, a annoncé que « le cas Ksila sera débattu et qu’il faudrait s’attendre à des mesures disciplinaires contre cet élu récalcitrant ».

Des élus qui semblent avoir oublié la discipline partisane. Le fait d’être élu à l’ARP ne signifie en rien, devenir « Le maître du parti », et exercer une « dictature » sur la plus haute instance de Nidaa.  D’ailleurs,  le fait de sanctionner Ksila tend à rétablir les règles du jeu, et à remettre de l’ordre dans les rangs du Nidaa.

 

La problématique Ennahdha

Les luttes intestines qui ont gagné Nidaa Tounes ne se sont pas arrêtées  au choix du chef du gouvernement. Bien au contraire, le mécontentement ne cesse de couver au sein du parti. En effet, un  groupe de parlementaires a montré une hostilité à la décision prise d’écarter les élus à l’ARP à tout  poste ministériel. Une décision qui a irrité et déçu dans la mesure où certains soutiennent que parmi les députés, il y a des compétences qu’il ne faut pas  ignorer.

L’autre sujet de friction qui a envenimé l’ambiance et exacerbé les divisions, concerne la participation du mouvement Ennahdha au prochain gouvernement. Une problématique qui continue à faire couler de l’encre.  En effet, le conseil de la Choura, tenu le 10 janvier dernier, a donné son aval à la participation du mouvement au prochain gouvernement, si on le lui proposait. Après un premier signal fort, de satisfaction, Ennahdha, lance un second signal à Nidaa Tounes ; celui qui exprime sa disposition  à participer au gouvernement.

Cette éventuelle est fortement contestée, et non pas uniquement, de l’extérieur, par plusieurs partis politiques, alliés de Nidaa Tounes, dont Al Massar et le Front populaire, notamment. Cette probabilité a ravivé la contestation et la discorde à l’intérieur de Nidaa. Dans ce contexte, le groupe parlementaire nidaiste,  a d’ores et déjà exprimé des positions claires contre la participation d’Ennahdha, au gouvernement, allant jusqu’à brandir la menace de ne pas accorder leur  confiance au gouvernement.

 

Ni implosion,  ni fracture

Malgré ces soubresauts, plusieurs leaders de Nidaa relativisent la situation estimant que ces dissensions ne traduisent nullement des divisions mais reflètent des divergences d’opinions,

Pour Hafedh Caid Essebssi, « Il n’y a ni implosion, ni fracture  à Nidaa Tounes. Il est tout à fait normal que le parti, nouveau dépositaire de la gouvernance du pays,  prenne un répit pour se restructurer et remettre de l’ordre au sein de la maison

Pour Mohsen Marzouk, aujourd’hui à Carthage, il n’y a pas de conflits idéologiques au sein de Nidaa Tounes. Ben Ticha va dans le même sens, «Ce ne sont que de simples divergences d’opinions, et les conflits au sein de Nidaa Tounes sont un indicateur positif de la vitalité  du parti».

En attendant que les esprits se calment et  le gouvernement se forme, la tenue prochaine du congrès de Nidaa servira de cadre adéquat pour donner à ses dirigeants les moyens de  repartir du bon pied en ressoudant ses rangs et réorganisant ses structures.

 Nada Fatnassi 

 

Related posts

Charles-Nicolle : première kératoplastie endothéliale ultra-mince en Tunisie

Affaire du complot : Qui sont les accusés en fuite ?

Une opération sécuritaire inédite : Saisie de plus d’un million de comprimés d’ecstasy (Vidéo)