Où va-t-on ?

Le ton monte et les tensions s’exacerbent dans une escalade inédite, à l’issue incertaine.
Le bras de fer entre l’Isie et le Tribunal administratif semble être passé entre les mains des candidats recalés par deux fois par l’Instance électorale même après le recours favorable prononcé par la juridiction administrative. Bien que le président de l’Isie ait annoncé la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle ordonnant même sa publication dans le JORT, et que le TA ait révélé, par la voix de son porte-parole, ne pas disposer de prérogatives lui permettant d’obliger l’Isie d’appliquer son verdict, la bataille des candidatures n’est pas terminée et semble même prendre une dimension conflictuelle dangereuse. La légitimité même de l’élection présidentielle est remise en question. Pire encore, certains avancent que si l’Isie ne se range pas à la décision du Tribunal administratif, le conflit risque de se jouer dans la rue. Les appels à manifestation et à la mobilisation se font déjà entendre sur les réseaux sociaux.
Les trois candidats déboutés par l’Isie se préparent, en effet, à la riposte, chacun à sa manière mais non sans coordination. Mondher Zenaïdi, résident à l’étranger, ne reconnaît pas la décision finale de l’Isie, « contraire à la loi … arbitraire et politique», et envisage de faire recours, encore une fois, convaincu de ne faire l’objet d’aucune condamnation ni de poursuite judiciaire liée aux parrainages, ainsi que de la conformité de son dossier de candidature. Abdellatif Mekki, condamné à huit mois de prison et interdit de se porter candidat pour achat de voix, accuse l’Isie d’enfreindre la loi et de mener une politique d’exclusion, il appelle les autres candidats à l’union des forces et à la coordination des actions futures et des mesures légales à prendre.
Imed Daïmi, le troisième candidat recalé, opte pour l’escalade.  Résident, également, à l’étranger, il adopte un autre ton, plus menaçant. Dans une vidéo publiée le 2 septembre, Daïmi, qui accuse l’Isie d’hypothéquer le libre choix du peuple, en appelle, en tant que candidat officiel à l’élection présidentielle, aux forces politiques, aux organisations et aux militants des droits de l’homme (déjà pleinement mobilisés) à considérer l’Isie comme illégitime et incompétente, aux institutions de l’Etat qui protègent la volonté du peuple (l’Armée, peut-être), « à ne pas soutenir ce coup dEtat et à assumer leurs responsabilités dans la préservation de la République » et aux Tunisiens de « s’unir et d’agir pacifiquement ».
Dans ce conflit électoral, chaque partie campe sur sa position et chacune se défend d’avoir un argumentaire irréprochable. Le processus électoral se dirige vers un blocage, un black-out, avant même d’avoir commencé, la campagne électorale ne devant démarrer que dans deux semaines.
Entre l’Isie et le Tribunal administratif, rien ne va plus. Le bras de fer est un conflit d’autorité entre des magistrats administratifs (Tribunal administratif) et une Instance constitutionnelle dont le président est également un magistrat. Un troisième acteur judiciaire pourrait influer sur le processus et jouer le rôle d’arbitre : la justice pénale qui examine des affaires d’infractions électorales, telles que les falsifications des parrainages. C’est le cas notamment d’Ayachi Zammel, un des trois candidats approuvés par l’Isie du premier coup, avec Kaïs Saïed et Zouhaier Maghzaoui. Au matin du 2 septembre, tandis que les Tunisiens attendaient impatiemment l’annonce par l’Isie de la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle du 6 octobre prochain, c’est la nouvelle de l’arrestation d’Ayachi Zammel qui tombe comme un couperet. Il est accusé de falsification de parrainages. Ironie du sort : un nouveau candidat sur la touche du scrutin, placé en garde à vue, alors que le verdict en appel du Tribunal administratif avait quelques jours plus tôt réhabilité trois candidats supplémentaires rejetés initialement par l’Isie et déboutés par le TA en première instance.
La nouvelle confirme une certaine lecture du processus électoral, celle qui dit que rien n’est encore joué et que la bataille électorale n’a pas fini de nous surprendre. A l’heure où ces lignes sont écrites, plus aucun pronostic ne peut être fait quant au nombre définitif des candidats. La seule constante de ce scrutin est la candidature de Kaïs Saïed et celle de Zouhaier Maghzaoui, un scénario au résultat de prime abord connu, sauf imprévu. Ce qui pourrait changer la donne, c’est un « vote-sanction » en faveur de Maghzaoui en phase de mutation idéologique depuis sa sélection par l’Isie. Le nationaliste pan-arabiste, principal et premier soutien politique du processus du 25 juillet, n’en finit plus de tirer à boulets rouges sur le président sortant et de mettre en lambeaux ses trois dernières années de gouvernance menées de manière autoritaire et unilatérale. En cas d’exclusion de Zammel par décision judiciaire, Maghzaoui reste la seule alternative pour ceux qui veulent, à tout prix, le changement. Sinon, il faudra faire le vœu que la situation ne s’embrase pas. Les appels au soulèvement trouvent des « oreilles attentives » sur les réseaux sociaux, à la lecture des commentaires de centaines d’internautes. La balle est dans le camp du président Kaïs Saïed qui, en tant que dépositaire de la stabilité et de la sécurité de la Tunisie et des Tunisiens, est appelé à éteindre le feu avant son embrasement et à redresser la barre avant la dérive qui arrangerait bien certaines parties dont il dénonce, sans interruption, les desseins douteux.
Il y a lieu de s’interroger, aussi, sur la manière avec laquelle est géré ce conflit électoral et sur l’utilité, politique, d’une confrontation ouverte entre l’autorité de l’Instance électorale et celle du Tribunal administratif, tout en sachant que les deux institutions sont des éléments clés et légitimes du processus électoral. Cette situation regrettable risque de faire plonger le pays dans un climat insurrectionnel au moment où les Tunisiens commencent à ressentir un retour de la sécurité dans l’espace public et où l’économie commence à donner des signes de rétablissement.
Beaucoup reste à faire, l’essentiel sans doute, mais le pire serait un retour vers l’anarchie et l’insécurité. La Tunisie est un Etat de droit dont les institutions ont toujours fait preuve de compétence et de loyauté à la nation. Cette fois, il faut espérer que l’Isie, dépositaire de l’autorité électorale et du bon déroulement du processus électoral, trouve la Solution qui garantira la réussite du scrutin présidentiel, dont elle a la charge, et le droit de tous les Tunisiens de choisir librement leur candidat.
La Tunisie est plus que jamais à la croisée des chemins. L’application des lois et des règles est le gage de l’Etat de droit mais, parfois, c’est la politique, sage et réfléchie, qui permet de dégager les voies encombrées pour servir l’intérêt général. g

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana