Combien y’a-t-il de temps que vous n’y êtes pas allés à Oudhna ? Savez-vous que de nouveaux travaux de fouille ont été entrepris ? Nous vous convions à une nouvelle promenade sur ce site qui nous paraît si intéressant.
Un peu d’histoire
Lors de la première guerre punique, le consul romain Regulus débarque non loin de Kerkouane sans doute, vers 255 avant J.C. et guerroie en Afrique contre Carthage. Il y prend une « ville importante » nommée « Adys » ou « Adyn », non loin de « Tunes » / Tunis dont il s’empare aussi.
Cette « Adys » serait-elle l’actuelle Uthina romaine ? Le nom moderne Oudhna serait-il la déformation de la «Outhina » latine ?
Elle ferait partie des plus anciennes colonies romaines, fondées par Octave avant d’être l’empereur Auguste, à l’aube de notre ère, pour y installer des colons romains : des vétérans de la XIIIe Légion, dans les riches plaines de la Medjerda et de l’Oued Miliane », autour de Carthage qui va redevenir la capitale de l’Africa romaine.
La cité et la région paraissent atteindre leur apogée aux siècles des Antonins et des Sévères : IIe et IIIe siècles et « se christianisent » avant d’être conquises, occupées puis exploitées par les Vandales vers 440.
Les fouilles du site n’étant que très partielles, on peut penser que les Byzantins occupèrent et restaurèrent cette riche cité si bien placée au centre de terres fertiles.
Pourquoi est-ce qu’elle périclita lors de la conquête arabe ? Les conquérants ont-ils découpé son « territoire » en grands domaines agricoles et abandonné la ville difficile à entretenir ? Elle devient un petit bourg modeste puis un site occupé par l’armée française de 1943 à 1955.
De grosses explosions de munitions, mal entreposées, ont beaucoup abîmé les monuments à plusieurs reprises.
Les fouilles et les campagnes de mise en valeur du site ont permis de dégager de nombreux vestiges intéressants dont de très belles mosaïques qui sont, hélas, exposées au Musée national du Bardo.
Promenade sur le site
Pour les amateurs, la lecture des deux volumes de la thèse de monsieur Habib Ben Hassen, publiés par l’Institut national du patrimoine et intitulés « Oudhna / Uthina, colonie de vétérans de la XIIIe Légion » est fondamentale. Pour les promeneurs, les fascicules de madame Ben Mansour et de monsieur Habib Ben Hassen sont très instructifs.
Dès l’entrée, on remarque l’amphithéâtre, en partie dégagé et consolidé grâce à des aides de la Banque mondiale. Il comprend deux parties : l’une creusée dans la colline : les sous-sols, l’arène et la moitié des gradins, l’autre aménagée et dotée d’une structure supportant le reste de la « cavea ». Sa construction soignée, entièrement en grand appareil, reflète la prospérité de la ville.
Une dédicace gravée fait penser que l’amphithéâtre a été construit sous le règne de l’empereur Hadrien et grâce à ses « largesses », en même temps que l’aqueduc de Carthage.
De forme elliptique, mesurant 112 mètres sur 89 et contenant plus de 15.000 spectateurs, il est au troisième rang des amphithéâtres du pays après ceux d’El Jem et de Carthage.
En avançant vers le sud-est, on rencontre d’abord la « maison d’Ikarios » appelée aussi « maison des Laberii » du nom, d’abord d’une magnifique mosaïque représentant Ikarios offrant la vigne à Dionysos, ensuite du nom de ses propriétaires. Datant elle aussi du IIe siècle, elle aurait mesuré plus de 2000 m². Elle a longtemps été habitée si on en juge par les différents aménagements qu’elle a subis.
On y entre par une porte qui donne sur une rue dallée. Une trentaine de pièces est bâtie autour d’un jardin entouré d’un péristyle. L’oecus : le salon d’apparat s’ouvre sur un petit bassin hémicirculaire. Toutes les pièces étaient pavées de magnifiques mosaïques qui sont au musée du Bardo. Seules, des copies sont en place.
On peut penser que ces grandes et superbes demeures étaient habitées par de riches propriétaires agricoles dont les domaines entouraient la ville.
Puis, on arrive aux thermes des Laberii eux aussi ornés d’une superbe mosaïque représentant Orphée charmant les animaux. Ils sont reconnaissables bien que leur abandon vers le Ve siècle et leur transformation en atelier aient beaucoup modifié leur aspect initial.
Ensuite, sur la gauche, vers le sud-est encore, on atteint l’énorme bâtiment des thermes publics. De ce côté, parfois, on laisse les visiteurs descendre un escalier qui aboutit, dans une obscurité inquiétante, aux citernes énormes de ces thermes.
De l’autre côté, on découvre des structures imposantes sur deux étages, construites en grosses pierres de taille. On reste stupéfait. Ces thermes ont été construits sous le règne de l’empereur Trajan, agrandis et remaniés à plusieurs reprises. Servant de soute à munitions, ils ont été très abîmés par plusieurs explosions. Ils s’étendaient sur plus de 6400 m².
Et puis après avoir longé un énorme bassin qui était la citerne du forum, on entre dans le forum et on est sidéré par la taille des colonnes du capitole. Elles ont été «restituées» ainsi que l’escalier monumental qui montait au sommet du podium. Il est considéré comme un des plus grands temples du pays avec ses 43 mètres sur 27. Fondé au Ier siècle sans doute, il a été réaménagé aux IIe et IIIe siècle. Le podium repose sur une immense salle, impressionnante par la taille des blocs des murs et des piliers. Des escaliers étroits ou des entrées extérieures permettent d’accéder aux autres niveaux inférieurs. C’est un monument grandiose et original : ses niveaux inférieurs remplacent la pente escarpée de la colline sur laquelle il est construit.
Pendant qu’on est là, on peut aller regarder l’énorme citerne du forum qui alimentait les thermes publics et qui recevait l’eau d’un grand bassin situé un peu plus au sud. Ce dernier était approvisionné par un réseau d’aqueducs qui s’ouvre en éventail sur les collines voisines.
Il faut retourner à Oudhna : des travaux ont dégagé, par exemple, les « maisons d’Industrius » au sud de la « maison d’Ikarios ».
On peut aussi aller découvrir les petits thermes des « Amours pêcheurs ».
Les promenades
Les amateurs de promenades à pied peuvent essayer, à partir de la Grande citerne puis, en suivant la conduite unique, reconnaître une canalisation qui mène à une construction d’où partent les aqueducs. Il y en avait trois principaux et plusieurs secondaires.
Le plus facile à suivre est celui qui est le plus à l’ouest et qui s’étend sur plus de 6 kilomètres vers Kef El Ahmar jusqu’à la source : Aïn Tagtaga. Il est à un peu près rectiligne et il comportait 5 ponts permettant à l’aqueduc de traverser des oueds. Les dénivelés sont peu importants. Il suffit de suivre les bases des piles qui soutenaient la canalisation subsistant au ras du sol, mais qui ne sont pas toutes conservées et qu’il faut découvrir entre les touffes de lentisque, de ciste, de calycotome épineux. Souvent on extrapole et on retrouve l’aqueduc disparu, plusieurs centaines de mètres plus loin.
Pour les curieux, le site est tapissé, dès l’automne, de petits soucis orangés dont on dit qu’une infusion de pétales est dépurative, antinévralgique et détersive. Il y pousse aussi de très nombreux plants de roquette ou de rouquette aux feuilles découpées et au goût acidulé. D’autres personnes y ramassent des quantités de petits escargots qu’elles font griller et dont elles se régalent.
La marche dans les collines parfumées, accompagnés par les trilles aigus des alouettes, « repose » du piétinement nécessaire à l’observation des vestiges antiques.
Par Alix Martin