Un rendez-vous des fils de pub

Le 27 juillet s’ouvrent les Jeux Olympiques de Londres, au coeur de l’été le plus pluvieux depuis le début des statistiques météorologiques. Encore, s’il n’y avait que la météo qui n’allait pas ! Vous croyiez les Britanniques flegmatiques ? Vous vous trompiez. 

Le correspondant du New York Times met les choses au clair pour son lectorat américain, qui entretenait peut-être pareilles illusions sur le caractère national de leurs cousins Anglais:

Au moment où les athlètes du monde entier font leurs échauffements au Parc Olympique, les Londoniens s’adonnent à quelques uns de leurs sports préférés : les jérémiades, le pessimisme et le lancer d’anathème contre les autorités publiques.

A la question «comment ressentez-vous les Jeux Olympique de Londres ?», un échantillon de Londoniens pris au hasard ont donné des réponses allant du rire sardonique aux mots «fiasco», «désastre» ou encore «Etat policier» ; d’autres ont préféré expliquer par le menu détail leur manière habituelle de se rendre au travail, pourquoi ce n’est plus possible à cause des Jeux, et combien cela les chagrine…

Beaucoup de Londoniens ont le sentiment d’avoir à subir tout ce qu’il y a de pire dans les Jeux Olympiques – le coût, les emmerdes, les responsables qui leur interdisent de faire ceci ou cela ou d’accéder à tel ou tel endroit – sans profiter d’aucun des avantages. La société de sécurité privée engagée par le gouvernement à un coût faramineux s’est révélée grossièrement incompétente ; les gestionnaires de marque des Olympiades ont fait comprendre que personne, en dehors des sponsors officiels, n’aura le droit de profiter des Jeux.

Le comique Stewart Lee, qui a lui-même eu maille avec la «police des marques» pour un simple Tweet, explique plus loin dans les colonnes du Guardian :

Près de 300 «agents d’application du code de la publicité» sont là pour faire en sorte que seuls les sponsors officiels auront le droit de servir des expressions qui figurent sur une liste de locutions réservées : une liste tellement étendue qu’elle comprend les mots «été», «bronze» et «Londres».

Ainsi, la semaine dernière, Paul Deakley, un pharmacien farceur de la ville de Truro (sud-ouest de l’Angleterre) a exposé dans sa vitrine un panneau bricolé sur lequel il avait écrit au feutre : «Cet été, pourquoi ne pas soulager vos Anneaux Olympiques avec Anusol ?». Bien que le fabricant de la dite crème anti-hémorroïdaire n’ait jamais demandé à M. Deakley de faire de la publicité pour son produit – et encore moins en comparant les anus de ses clients aux anneaux colorés des Olympiades – on a jugé que l’entreprise de M. Deakley, qui n’est pas un sponsor olympique, profitait des Jeux par association. Sa plaisanterie tombe sous le chef d’inculpation de «marketing par embuscade», et c’est justement contre ce genre de chose que les agents d’application du code olympique de la publicité entendent sévir.

D’autres exemples, parfois dignes d’un sketch des Monty Python, sont légion, tant dans la presse locale que dans les grands quotidiens nationaux.

Ainsi, le Dorset Echo (quotidien du sud-ouest de l’Angleterre) relève que :

Les clients d’une boucherie de Weymouth envisagent de monter une pétition pour sauver son enseigne, qui évoque le logo des Jeux Olymiques. Ils se sont manifestés suite à l’ordre qu’à reçu le propriétaire, Dennis Spurr, d’enlever l’enseigne – une image des Anneaux Olympiques composée de saucisses – sous prétexte qu’elle représentait une violation des droits de propriété intellectuelle. «Si j’enlève mon panneau, ça ne changera strictement rien. Il ne fait pas acheter les gens – il les fait sourire. A la rigueur, c’est moi qui fait la promotion des Jeux, pas l’inverse.»

De son côté, l’Oxford Mail s’indigne que :

Les écoliers qui participent à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques ont été informés par le comité organisateur qu’ils devront porter des chaussures Adidas, ou des chaussures de sport «sans marque».

Alors que dans le Daily Telegraph on apprend que :

Des instructions ont été données aux policiers qui sécurisent les Jeux Olympiques de vider leurs paquets de chips dans des sacs en plastique afin d’éviter de faire de la publicité à des marques qui ne sont pas sponsors.

Le commandement régional de la police insiste que, avant de se rendre aux manifestations sportives olympiques, tous les agents, y compris ceux de la Force de Protection Royale, devront transvaser leur en-cas dans des sacs en plastique transparents.

L’instruction, venue d’en haut et inspirée par les directives des organisateurs des Jeux, avait pour but de protéger la publicité des sponsors officiels, parmi lesquels Coca Cola, McDonalds et le célèbre fabricant britannique de friandises Cadbury’s.

Les forces de l’ordre et les professionnels de marketing se rencontrent également à la boutique de souvenirs.  Dans le Guardian, Stephen Graham, professeur de sociologie urbaine à l’Université de Newcastle, ironise :

Comme métaphore pour les Jeux Olympiques de Londres, on pourrait difficilement faire plus cru : Wenlock, la mascotte des Jeux, est désormais disponible dans les boutiques officielles en peluche habillée de l’uniforme de la Police londonienne. Pour la modique somme de £10,25, vous pouvez vous offrir le symbole ultime des Jeux : un agent de l’opération sécuritaire la plus vaste et la plus coûteuse de l’histoire récente de la Grande Bretagne, repackagé en babiole pour touristes. Sous son casque de «bobby» londonien, son unique et sinistre oeil rappelle cet oeil-qui-voit-tout qui symbolise la voyance divine dans des tableaux du siècle des Lumières – des tableaux où l’oeil de Dieu exerce une surveillance omnisciente et tutélaire sur Ses turbulents sujets ici-bas. 

Et le lecteur de se souvenir que, avant d’être le pays de l’humour absurde des Monty Python, la Grande Bretagne a d’abord été celui des prémonitions despotiques de George Orwell.

 

Par Peter Cross (de Londres pour REALITES)

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