Ouvrir le champ des possibles !

Nous vivons une période de paradoxes et de contradictions sans précédent. Jamais le mécontentement, les inquiétudes au sujet de l’avenir, voire même les peurs et les angoisses, n’ont été à ce niveau et en même temps les projets de changement de l’ordre existant et de penser l’avenir et d’ouvrir le champ des possibles n’ont été aussi lointains. Le paradoxe naît de ce décalage entre les crises que nous traversons et notre incapacité à formuler de nouveaux projets collectifs et de nouvelles expériences d’émancipation. C’est de ce décalage et dans cet interstice que naissent la résignation, le renoncement et la soumission à un ordre en émiettement.
Les grandes tendances de la dégradation de l’ordre global ont été mises en exergue par différents rapports et études. D’abord, il faut souligner les aspects politiques de cette crise profonde que nous traversons, dont les manifestations immédiates concernent le déclassement des anciennes élites et des grands partis politiques, et l’émergence d’un populisme de combat dans un grand nombre de pays et qui est arrivé au pouvoir dans les grandes démocraties. La montée des forces populistes s’est traduite par la remise en cause de l’idéal démocratique et le retour du spectre inquiétant de l’aventurisme politique qui a failli conduire l’humain à sa fin.
On peut également souligner les vagues de la grande crise économique que les politiques économiques peinent à résorber. La globalisation, la libéralisation financière et la croyance sans retenue dans la capacité du marché à assurer la cohérence et le fonctionnement de l’ordre marchand en vogue dans les années 1990, ont mis l’économie mondiale au bord du précipice. Cette crise sans précédent a été à l’origine d’une sortie du paradigme néo-libéral et de la pensée unique qui ont dominé l’action publique depuis le tournant des années 1980. Cet échec du paradigme a été à l’origine du retour du maître de Cambridge que l’on croyait définitivement enterré et les politiques de relance keynésienne sont revenues en force dans la plupart des pays du monde. L’objectif de ces nouveaux choix était de relancer l’investissement et l’emploi et surtout de redonner une nouvelle espérance à une jeunesse désemparée face à la crise. Or, ce qui devait être un changement de paradigme est devenu une simple parenthèse et les politiques d’austérité sont revenues à la charge. Ces choix ont été à l’origine du retour du marasme économique et d’une stagnation que beaucoup pensent séculaire.
Le troisième signe de cette crise profonde concerne la dimension sociale. Certes, notre monde a connu une évolution importante dans la mesure où la pauvreté a diminué et de larges secteurs dans la population mondiale ont échappé au dénuement total. Par ailleurs, il faut noter une réduction des disparités entre les pays développés et les pays du Sud. Mais, en même temps, nous avons enregistré une augmentation rapide des inégalités au sein des pays et une grande marginalité sociale, suite au développement des nouvelles technologies et au déclassement des anciennes classes moyennes.
On peut également mentionner le défi climatique et l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Certes, la communauté internationale a pris la mesure de ce défi sans précédent et plusieurs engagements ont été repris afin de réduire ses émissions et sauver la planète. Mais, ses engagements restent fragiles et connaissent de grandes lenteurs dans leur mise en œuvre.
Ces défis sont significatifs des crises que nous traversons. Mais, en dépit de l’urgence, les projets de changement social restent absents et la quête d’une nouvelle expérience historique demeure lointaine. Il faut dire que le moment post-moderniste a contribué à la critique radicale des philosophies de changement social et a dévalorisé les projets d’émancipation hérités de la modernité.
Mais, en dépit de ces critiques et de ces remises en cause, nous assistons à une renaissance des tentatives de reconstruction de nouveaux projets politiques et de nouvelles expériences historiques. Ces projets ont été portés par les institutions internationales comme l’OCDE ou les Nations-unies. La dernière expérience en date émane d’un groupe de chercheurs indépendants, parmi lesquels on trouve Mustapha Kamel Nabli, l’ancien Gouverneur de la Banque centrale, appelé le Panel international sur le progrès social et qui a travaillé pendant plusieurs années sur la rénovation des problématiques de progrès et de changement social.
Ce Panel vient de publier son rapport en anglais intitulé « Rethinking society for the 21st Century. Report of the international Panel on social progress ». Il s’agit d’une importante contribution au débat et qui vient ressusciter les idées de progrès et de grandes visions émancipatrices. Parallèlement aux principes qu’il met en exergue, notamment ceux de la dignité, du pluralisme, du bien-être et de la solidarité, ce rapport a présenté dans ses différents chapitres des expériences novatrices appliquées dans différents domaines de la vie politique, économique et sociale dans beaucoup de pays et qui pourraient suggérer des voies pour l’expérimentation politique et sociale afin de sortir de la résignation actuelle.

Ce rapport constitue une contribution majeure dans un contexte marqué par la résignation et le renoncement. Il vient encourager l’ouverture de chantiers de réflexion et d’expérimentation capables de nous aider à sortir de l’enfermement actuel pour ouvrir le champ des possibles.

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