Voici trois vers commis par Guillaume Apollinaire : « Trente ans debout à la frontière / J’arrêtai le contrebandier / Je palpai la contrebandière ». Hélas pour nos douaniers, la Tunisie pullule de contrebandiers, mais ne dispose guère de contrebandières. Ce mauvais sort exclut l’agréable fouille au corps. Amoureux fou des femmes et des vers, Guillaume Apollinaire écrivit un poème titré : « Parce que tu m’as parlé de vice ». Adressé à sa « Lou » adorée, ce texte conteste le sens parfois donné à tort au mot : « Le vice en tout cela n’est qu’une illusion ». Le poète, fougueux, se défend comme il peut.
Mais dans les rapports construits entre féminin et masculin, la calamité sans fin commence là où finit le respect. Il sépare les sinistres harceleurs des grands seigneurs du cœur. Jadis, Khaled Guezmir, vétéran du « Temps » y publia trois articles où il dénonçait les pratiques attribuées à certains policiers.
Ils menaçaient de jeunes étudiantes surprises en agréable compagnie à Gammarth, Sidi Bou Saïd ou Hammam-plage. Ou bien je palpe ou alors procès verbal et scandale. Parmi les victimes de ce chantage, l’une me dit : « Je négocie avec lui ». A propos de ces trois papiers, le ministre de l’Intérieur, Driss Guiga, reçoit Guezmir et lui dit : « Comme tous les citoyens, les policiers peuvent commettre des infractions et nous avons infligé des sanctions ».
Néanmoins, la mise à profit de l’autorité pour servir des intérêts particuliers outrepasse le cas des policiers. Guillaume Apollinaire palpe les contrebandières et certains de nos gardes forestiers mettent à profit l’infraction commise par les fagotières pour s’autoriser à les palper.
Ainsi parlaient mes interviewées de Kroumirie et d’ailleurs en zones forestières.
Au Chambi, la mère de Abderrahmane Bechrif Saâdalli me dit : « J’avais un gros fagot sur le dos. Le garde forestier m’a projetée à terre au point de me briser les côtes. Je le suppliais de ne pas m’infliger une amende, mais il s’est jeté sur moi. Je me suis débattue pour me dégager. Il n’a pas eu honte de ses agissements de voyou, malgré mon âge. Je suis retournée malheureuse, avec un œil qui pleure et un œil qui rit ».
Une problématique associe l’érosion des sols et celle du sens éthique à travers l’imbrication d’une série d’intermédiations. La fagotière contribue à la déforestation et le garde forestier troque le pardon contre la satisfaction de sa perversion. Mais parfois, il encourt le risque de la rétroaction, nonobstant la pudeur et le secret de la forêt. Un membre du Arch des Gouahria me narre la manière dont son groupe d’appartenance traque le garde-forestier violeur et lui inflige une sévère bastonnade. Le corrigé se tait, car l’enquête finira par découvrir les raisons de la vengeance organisée : « Le garde habite avec nous dans la Qaria. Il sème la terreur. Il n’est pas des nôtres. On l’a amené d’une autre région pour qu’il ne compatisse au sort de personne. Si ma femme se brouille avec sa femme, il se met à lui chercher la petite bête.
Elle a eu une amende de 15 dinars pour une vétille, un cactus. Nous ne sommes pas des vauriens. Nous sommes des Gouahria. Nous sommes obligés d’enfreindre le règlement pour vivre ». Ce drame de la marginalisation et de l’exclusion arbore aujourd’hui des proportions malaisées à gérer. L’ampleur de la dégradation a partie liée avec les chamailles politiciennes et les accusations.
Taboubi tire à boulets rouges sur Chahed, après la salve nourrie de celui-ci. La quasi-totalité du personnel politique amuse ainsi la galerie par sa logomachie.
Elle détourne l’attention focalisée à juste titre, sur l’incurie généralisée. Ghannouchi exhibe ses réunions politiques tenues chez lui. Aussitôt, il offre la cible de choix pour l’artillerie. Je rapporte cette gabegie à Khamis Barki, le père de Maher, marchand de légumes et fruits. Il me dit : « Ghannouchi fait ce qu’il veut. C’est lui qui commande en Tunisie ». Tout continue à graviter autour des Frères musulmans, donnés pour liquidés voici à peine deux semaines, par des commentateurs impénitents.
L’enjeu vaut la chandelle, car sans l’immunité, l’incarcération pointe le nez selon des accusateurs aussi divers que Hamma Hammami ou Abir Moussi. Depuis les années 70, la montée en puissance du frérisme, ennemi juré du bourguibisme, et donc du féminisme, accompagne la ruralisation des villes, processus favorable à l’expansion des catégories de pensée léguées par l’ancienne société. Car, la campagne abrite et donne à voir le conservatoire du conservatisme. Telles sont les déterminations sociales de l’accès au pouvoir des Frères par voie électorale. Un air de famille unit la violence faite aux femmes et l’actuelle majorité parlementaire du mouvement de la tendance islamique. L’implosion de la violence depuis le 14 janvier exhibe le marqueur du sens donné à « ce que le peuple veut », formulation au plus haut point démagogique, mise en œuvre sur la piste électoraliste. Ghannouchi à la présidence du Parlement symbolise le phantasme d’une revanche prise par la ruralité contre la modernité.
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