Panel 5 : L’économie en zone de turbulences , défis et enjeux

Le panel portant sur le thème «l’économie en zone de turbulences» se voulait un diagnostic de l’économie nationale suite à la Révolution. Les panelistes étaient là pour réfléchir aux grands enjeux économiques de la transition. 

 

Hakim Ben Hammouda, économiste et président de la séance, a commencé par planter le décor sur la situation actuelle de l’économie nationale. Le constat qui prévaut c’est l’essoufflement d’un modèle économique et ce, en termes de chômage et d’inégalité régionale. «La situation économique n’est pas de nature à encourager la transition politique» a-t-il ajouté. «Pour certains, la situation économique s’est améliorée depuis 2012, avec une reprise de la croissance et de l’emploi, mais ça reste insuffisant par rapport au nombre de chômeurs. Pour d’autres, aucun changement n’est notable,  l’évolution annoncée  n’est que façade cachant une dégradation qui se compliquera encore à l’avenir, 

 

Quelle analyse de la situation économique qui prévaut dans le pays ? 

Asma Bouraoui, directrice exécutive de MEF (Tunisie), a rappelé que ce que vit notre économie est un héritage d’un modèle économique et social adopté jusque-là et qui a montré des signes d’essoufflement. Selon elle «La situation est expliquée par la politique de relance engagée après la révolution. Une relance engagée au départ par la demande de consommation et la demande d’investissement, sauf  que seule la consommation a suivi» elle ajoute qu’« aujourd’hui malgré les quelques  signes de reprise, la situation est fragile, car les grands équilibres macroéconomiques sont touchés».  En effet la croissance a repris, mais n’est pas suffisante pour pouvoir sortir de la crise et parler véritablement de création d’emplois. Mme Bouraoui rappelle que le budget de l’État s’est alourdi à cause des investissements publics pour répondre à la demande des régions défavorisées ; mais aussi  qu’il y a eu une forte hausse des dépenses de fonctionnement due  à l’augmentation des salaires suite aux revendications sociales. «Même si le modèle post-révolutionnaire a contribué plus ou moins à relancer l’économie, cela a renforcé en même temps ses difficultés M. Mahmoud Ben Romdhane, économiste, était plus alarmiste sur la situation économique du pays. «Après la contraction de l’économie en 2011, la reprise a été enregistrée dès le deuxième trimestre de 2011. Une croissance de 3,2%. Comment peut-on déclarer alors qu’il y a une reprise en 2012 ? C’est une lecture grossière. Je pense qu’il n’ya pas eu de reprise en 2012, bien au contraire, il s’agit d’un ralentissement. Si on examine trimestre par trimestre, l’on remarque qu’on est en quasi plat, aujourd’hui. La situation est globalement mauvaise.» Une croissance de 3,6% ne changera pas la situation de crise actuelle, sachant que pour qu’il n’y ait pas augmentation du taux du chômage, il nous faut une croissance de 6%. M. Ben Romdhane, rappelle qu’à «l’échelle macroéconomique, la Tunisie est plombée par sa notation souveraine qui lui interdit pratiquement l’accès au marché international. La politique qui a atteint l’administration tunisienne, a fait que celle-ci régresse au niveau de sa compétence et demeure aujourd’hui en panne. D’ailleurs la BEI (la Banque européenne d’investissement) qui a des disponibilités pour financer des projets, n’avance pas dans ces projets, car l’administration tunisienne est brisée et incapable d’élaborer et de concrétiser des projets» a-t-il regretté. En termes de chiffres, sur les 6 milliards de dinars  alloués aux équipements dans le budget  voté en 2012,  4  milliards seulement sont exploités. Les régions intérieures sont les moins touchées par ces projets, car l’administration ne fonctionne pas encore en décentralisation. M. Soufiène Ben Tounes, Président de Général Electric du nord-est de l’Afrique, nous donne l’avis d’un investisseur étranger sur la situation du marché tunisien. Comment une entreprise étrangère voit son avenir et son investissement dans un pays en crise ? «Étant un homme d’affaires, je serai plus optimiste que le reste du monde». Si General Electric, l’entreprise du Dow Jones à 211 millions de dollars de chiffres d’affaires, est encore là, c’est parce qu’elle a encore confiance en la région. On voit du changement avec lequel on espère voir plus de transparence pour l’avenir. Il faut rappeler tout de même que la crise économique est  internationale».

L’audience a par ailleurs signalé le problème de change, de convertibilité du dinar. M. Taher sioud, ancien ministre,  a signalé qu’il va falloir se pencher sur ce sujet, qui favorisera selon lui la fuite des capitaux. L’audience a mentionné par ailleurs la crise du secteur bancaire, un secteur affaibli par l’accumulation des créances douteuses durant les 20 dernières années. 

 

Le Maroc, un voisin du Printemps arabe 

M. Jawad Kerdoudi, Président de l’IMRI (Institut marocain des Relations internationales), était invité  à apporter l’avis d’un économiste qui a vécu une deuxième révolution, d’un autre genre, pour la comparer avec celle de la Tunisie. Pour le Maroc, il s’agit d’une transition par le haut, à moindre coût. «La transition au Maroc s’est passée avec plus de souplesse. Puisque suite au mouvement du 9 février, le roi a vite réagi en mars et a promis une réforme  de la Constitution  qui a eu lieu aussitôt. Il y a eu ensuite des élections transparentes. Celles-ci ont fait gagner un parti de l’opposition qui a fait alliance avec trois autres partis. Ce qui a permis au Maroc de traverser le Printemps arabe sans trop de dégâts par rapport à d’autres pays, en l’occurrence la Tunisie». En 2011 le Maroc a réalisé une croissance de 5% et il a réussi à tirer son épingle du jeu. «Mais la situation reste délicate : problèmes de finances publiques,  avec un déficit budgétaire de 5,6%.  Un commerce extérieur pas glorieux puisque le pays importe deux fois plus que qu’il n’exporte. Une balance de paiement déficitaire et cela en rapport avec la crise européenne. En fait deux tiers de l’économie marocaine se font avec l’Europe. Il y a crise au niveau des IDE, du tourisme et du transfert des revenus des marocains à l’étranger. Le Maroc a aussi signé un accord de garantie avec le FMI de 6,1 milliards de dollars sous conditions de réforme. Actuellement, le FMI menace le Maroc de retirer sa garantie si celui-ci n’entame pas les réformes recommandées. Quant à la caisse de compensation marocaine, selon M. Kerdoudi, le gouvernement actuel hésite à toucher à cette caisse pour des raisons électorales. En revanche et contrairement à la Tunisie, nous avons réussi à maintenir une inflation inférieure à 2%, un point positif pour notre économie». Par ailleurs, le Maroc a réussi à entrer sur le marché international et a  mobilisé 1 milliard 750 millions de dollars à un taux très intéressant. En effet la BEI a financé en 2012, 1 milliard d’euros pour le Maroc contre 245 millions d’euros  pour l’Égypte et seulement 170 millions pour la Tunisie. 

 

Comment sortir de la crise ? 

Hakim Ben Hamouda a proposé aux panelistes de suggérer des pistes de réformes et des priorités de sortie de crise. Première urgence qui a reçu l’unanimité des conférenciers, le rétablissement de l’ordre public et de la sécurité. Aucun développement économique  et social ne peut se faire sans stabilité et sécurité. Selon M. Bouraoui, la confiance et la stabilité concernent tous les secteurs de l’économie. «Pour rétablir rapidement la confiance, c’est aux acteurs politiques d’envoyer un message fort pour rassurer les investissements directs étrangers. On ne peut rien faire, sans cette fameuse feuille de route.  C’est une urgence et un défi immédiat à relever». Dans une deuxième étape, il faudrait, selon M. Ben Romdhane, réparer deux secteurs sinistrés dont la situation est liée à la politique actuelle. À propos du tourisme, il faut arrêter les organisations qui prônent la violence et cela est le rôle de l’État. Et il faut que le secteur phosphaté se remette au travail. L’avenir d’une région et d’un secteur stratégique du pays est en train de disparaître. Pour cela il convient d’ouvrir un dialogue entre les parties prenantes pour sortir de la crise. Les panélistes étaient d’accord sur l’importance du secteur privé, générateur de richesses et créateur d’emplois. Le partenariat (public/privé) est aussi un levier de croissance. D’ailleurs Mme Bouraoui propose des décrets-lois capables d’accélérer les procédures administratives pour dynamiser les investissements. Augmenter les marges de l’État par rapport à la fiscalité et assainir ses dépenses, notamment de fonctionnement, sachant que 70% des dépenses de fonctionnement sont incompressibles, car elles sont liées aux salaires et à la compensation. Cela ne peut se faire que par la réforme fiscale.» Il faut  penser un nouveau système fiscal incitant aux investissements et qui puisse augmenter les marges de manœuvre de l’État pour qu’il puisse répondre aux compromis sociaux.». Le nouveau projet du Code de l’investissement  est sujet à controverse lui aussi. Il y a urgence à le mettre en place. M. Kerdoudi propose d’aller vers une économie à très grande valeur ajoutée et de ne pas se contenter d’une économie de transformation. «Réformer le système éducatif qui permettra de  former des jeunes capables de travailler dans les secteurs novateurs». M. Ben Tounes partage aussi cet avis et pense qu’il nous faut des investisseurs capables d’assurer le transfert de la technologie et de tisser des liens avec les universités pour satisfaire la demande du marché de l’emploi et absorber  ainsi le chômage. Il ajoute qu’il faut mettre en place des lois afin de préserver les droits des investisseurs et entreprises étrangèrs.  «General  Electric est en train d’investir dans la région en l’occurrence en Tunisie. Car il y a un potentiel. Mais il faut insister sur l’importance de l’intégration régionale ? Ce sujet, a été abordé par M. Sid Ahmed Ghozali, ancien Premier ministre d’Algérie, qui faisait partie de l’audience. Selon lui l’intégration maghrébine est un cas d’école en défaut. «Rien n’est faisable si nous marchons séparément et négocions séparément». Pour lui, quatre instruments sont capables de changer la donne : la justice, l’éducation, la sécurité et la fiscalité. D’ailleurs pour cette dernière et selon M. Ghozali «On peut même mesurer le niveau d’avancement d’une démocratie d’un pays à la sophistication de son système fiscal.» 

N.J

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