Il y a un an, le gouvernement Jomaa tablait sur une croissance de 3% en 2015. Aujourd’hui, le résultat est bien loin de ces prévisions et l’économie tunisienne n’est pas au mieux de sa forme. Six mois plus tard, le gouvernement s’apprête à reconnaître que l’on sera très loin de 3% en 2015 et que si on peut espérer s’en rapprocher un peu l’année prochaine, on ne l’atteindra pas encore. Pour l’instant, le chômage reste très élevé et risque d’augmenter, la production industrielle rechute et les déficits publics restent élevés. Où sont donc passés les 3% de croissance espérés, il n’y a pas si longtemps ? La déception sur la croissance tunisienne est donc de taille. Elle explique la remontée de l’inflation et l’augmentation des déficits publics. De plus, la déception sur la croissance s’est accompagnée d’une déception sur l’emploi. La prévision affichée il y a un an était un recul du taux de chômage. Or celui-ci reste sur une tendance de 15% sans donner de signes de repli.
L’objectif s’avèrerait-t-il hors de portée ? S’il fallait y renoncer, quelle serait alors la stratégie de politique économique pour éviter la montée des déficits, de l’inflation et du chômage ? Reviendrons-nous une fois de plus à nos errements passés de traitement social du chômage et de colmatage des déficits par des hausses d’impôt, ce qui reporte les échéances mais ne règle rien. Bien au contraire.
Si l’objectif de croissance est un objectif prioritaire, ce qui est très souhaitable, il faudrait alors expliquer comment cet objectif sera atteint. Comment l’économie tunisienne pourrait atteindre un palier de croissance forte et durable ? A cet égard, il faut toujours revenir aux contraintes macroéconomiques de base. L’analyse de la croissance et des facteurs de production permet d’explorer les conditions d’une croissance économique plus forte en Tunisie.
De 1996 à 2010, le taux d’expansion moyen a été de 5% l’an en Tunisie. Cette croissance est le résultat de gains de productivité globale de 1,8% par an, d’une augmentation de la quantité du capital productif (machines, équipements, etc…) de 2,2 % par an et d’un accroissement du facteur travail d’à peine 1 % par an.
A plus long terme, pour que la tendance de la croissance puisse se placer sur un sentier de croissance forte (7% par exemple), il faut que quelque chose change dans les têtes et surtout dans les faits. Plus de gains de productivité par une politique de recherche et d’innovation et surtout une augmentation plus rapide des facteurs de production. Cela veut dire une accélération du rythme d’investissement et un renforcement du facteur travail. C’est le contraire de ce à quoi les Tunisiens ont été encouragés ces dernières années. Cela ne se fera donc pas sans le retour à un discours économique « vrai » et sans des changements de comportements significatifs. C’est l’enjeu principal de la nouvelle politique économique tunisienne. Le Chef du gouvernement a lancé récemment un cri d’alarme car la Tunisie pourrait tomber en faillite si la Centrale syndicale ne cesse pas ses revendications aberrantes. Certes, les conflits sociaux ont toujours existé et existeront toujours, mais aller jusqu’à mettre à genoux le pays est inacceptable. L’indiscipline sociale est le mal principal dont souffre l’économie tunisienne. Et on se demande s’il existe encore dans notre pays un «dialogue social».
En Tunisie, la situation est en ce moment particulièrement tendue à cause aussi de la croissance proche de zéro que connaît le pays. Ce qui n’empêche pas la construction de toute avancée sociale. Aujourd’hui, il nous faut absolument une trêve sociale et apprendre à trouver des solutions gagnant-gagnant. Nul doute que notre économie nécessite une paix sociale inconditionnelle. C’est aussi la clé d’une relance tant attendue. La panne de croissance plus la panne de dialogue oblige à une prise de conscience. Il faut admettre que seul le retour de la croissance, grâce aux réformes, permettrait de revitaliser la négociation sociale. Le gouvernement doit de son côté préparer un cadre global et expliquer comment les différentes décisions vont s’articuler pour conduire à une croissance plus forte, en quelque sorte un « plan indicatif » à moyen terme afin d’ajuster les moyens aux fins et de mobiliser les énergies. Enfin, et pour soutenir le changement, il faut que l’opinion publique en comprenne bien l’enjeu ; quelle comprenne qu’entre une croissance de 1,7% et une croissance de 7% il y a une différence d’environ 90 000 chômeurs en moins par an. Mais aussi que l’on ne passera pas de 1,7% à 7% de croissance sans bousculer des habitudes et des situations acquises. Il faudra pour faire admettre cela une vision et beaucoup de pédagogie.
Mohamed Ben Naceur