Paradoxes !

Mal ou peu défendu par « Nidaa Tounes », le projet de loi organique sur la réconciliation économique et financière présenté par le président de la République, il y a environ deux mois, a soulevé un tollé au sein des partis de l’opposition, pourtant minoritaires et pour certains non représentés à l’ARP (Assemblée des Représentants du Peuple). Une vague de contestation, de critique et de dénigrement sans précédent suivie de manifestations de rue, peu réussies, en période d’état d’urgence et alors que le pays court des risques terroristes, qui n’a pas suscité de réactions significatives du principal parti vainqueur des dernières élections.
Dès lors, peut-il blâmer l’opposition qui s’est montrée entreprenante, réactive, capable d’ameuter les foules et de retenir l’attention des médias ?
Sans occulter les excès de certains partis, qui ont saisi l’occasion pour monter au créneau, après l’estocade subie lors du dernier scrutin, et leur propension à régler leurs comptes avec leurs adversaires politiques, il y a lieu de dire que l’opposition a réussi là où les partis formant la majorité à l’ARP se sont montrés impuissants, incapables de faire entendre leur voix et de faire face à un tir groupé savamment orchestré par de petites formations, qui ont pu investir les médias et développer un discours cohérent rendant cette initiative rédhibitoire.
Que trouve-t-on, dans l’autre camp ?
Le parti « Nidaa Tounes » parait plutôt absorbé par ses dissensions, qui ne finissent pas d’être étalées au grand jour et les ambitions, parfois démesurées, de ses cadres pour la conquête de postes de responsabilité et d’un meilleur positionnement sur l’échiquier politique. Dans cette atmosphère délétère, engager des actions de mobilisation ou de communication propres à ressouder ses rangs ou à influencer l’opinion publique, relève de la chimère. Le déroulement des derniers meetings organisés récemment, que ce soit à Tunis ou à l’intérieur de la République, donne à réfléchir sur la colère qui ne finit pas de gronder et les divisions qui ne cessent de ronger ce jeune parti qui, n’a pas retrouvé encore ses repères et, encore plus, la grande dynamique qui l’a propulsé en 2014 au premier rang des forces politiques dans le pays.
Face à la défaillance du parti artisan de sa victoire au scrutin présidentiel, Béji Caid Essebsi, s’est résigné à l’évidence en se rendant compte qu’il ne peut compter que sur lui-même. Sur sa capacité à convaincre, d’influencer l’opinion publique et sur la qualité de son discours, la preuve en a été donnée, le 22 septembre dernier, lors de l’interview qu’il a accordée à la chaine Nessma TV, qui lui a offert l’occasion de faire des mises au point et d’expliquer dans un langage limpide la portée d’une initiative censée remettre l’économie sur les rails et permettre au pays de se tourner vers l’avenir, en ne restant pas prisonnier de son passé.
Le parti Ennahdha, composante essentielle de la coalition gouvernementale, est en train de jouer un jeu, à la fois subtile et intelligent. Contrairement à Nidaa Tounes, le mouvement Ennahdaha offre l’image d’un parti discipliné et uni. Un parti qui travaille sans beaucoup de tracas, tout en se présentant sous une nouvelle image d’ouverture, de réalisme et de modernité. Une manœuvre habile qui lui permet de préparer méthodiquement les prochaines municipales qu’il espère gagner pour faire oublier sa débandade de 2014.
Si en apparence ses positions politiques vis-à-vis des grandes réformes et de certaines initiatives, paraissent en harmonie avec tout ce qui se conçoit et se décide à Carthage ou à la Kasbah, la réalité semble plus complexe. Sans dénoncer par exemple directement l’initiative de réconciliation nationale, certaines voix, celles des faucons en particulier, se sont élevées pour exprimer des réserves et, parfois même, une différence d’appréciation. La colère exprimée au sujet du remplacement de certains imams en témoigne amplement de cette relation, contre nature, entre Ennahdha et Nidaa Tounes qui, par realpolitik, résiste encore .
Le parti Afek Tounes, l’autre parti formant la coalition, ne brille pas outre mesure, au regard de sa solidarité peu affirmée avec le gouvernement et de l’ambiguïté de son discours. Malgré la modestie de son poids, il est gagné par la tentation d’imposer ses vues et ses approches. L’un de ses cadres, n’a-t-il pas martelé récemment la menace du retrait de Afek Tounes de la coalition, si le gouvernement n’obtempère pas à mettre les réformes qu’il propose à exécution ?
Cette cacophonie explique bien le paradoxe tunisien dans l’actuelle phase que connait le pays. Une harmonie de façade qui cache des guerres fratricides, des calculs politiques non avoués et des ambitions de positionnement que rien ne peut justifier.

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