Paradoxes

La Tunisie vit un véritable paradoxe politique avec un  gouvernement d’union nationale qui est en train de recevoir des coups venant de parties censées lui apporter soutien et appui ! Au moment où la situation sécuritaire, économique et sociale ne cesse de se compliquer, les partis politiques, obnubilés par les élections municipales qui s’approchent, usent de tous les moyens pour précipiter le pays dans une crise gouvernementale, créer un vide politique et brouiller davantage les cartes. Les dissensions qui rongent  de plus en plus de l’intérieur les deux grands partis majoritaires sont, curieusement,   contrebalancées par leurs actions qui convergent vers la fragilisation du gouvernement d’union nationale, l’orientation qu’ils veulent imposer au remaniement ministériel en gestation et les attaques en règle qu’ils dirigent contre des personnes dont la présence dérange leurs intérêts et leur influence dans la sphère publique.
Manifestement tout indique que le gouvernement  est en train de payer les frais de la guerre qu’il a lancée contre la corruption et le marché parallèle, qui s’est traduite par l’arrestation d’un certain nombre de barons et l’accentuation des menaces sur d’autres grands noms de la contrebande. La remise en cause d’intérêts occultes et l’existence de collusion entre le monde politique, le milieu de la contrebande et l’administration ont fini par produire des résistances dont les effets collatéraux ont conduit à la démission du ministre Abdelkéfi, dont un verdict prononcé à son encontre en 2014 a été étrangement exhumé, trois ans plus tard, à travers les réseaux sociaux. A ce niveau, de nombreuses questions se posent. A qui profite une fragilisation du gouvernement en ce moment précis, alors qu’il marche sur  un terrain miné et se doit de trouver des solutions rapides et radicales pour éviter la banqueroute du pays, approfondir et poursuivre des réformes essentielles et douloureuses pour stimuler la croissance et restaurer la confiance des opérateurs ? Comment expliquer le revirement soudain de Nidaa Tounes et d’Ennahdha à leurs engagements  en œuvrant à affaiblir le gouvernement,  cherchant à renforcer leur positionnement et en poussant  Youssef Chahed à connaître le même sort que Habib Essid, il y a presque un an ?
Incontestablement le changement de la donne a désagréablement surpris et remis, de fond en comble,  les intérêts de certaines grandes figures de partis politiques prééminents qui, non conscients de leur perte d’influence, de popularité et d’alliance, n’ont trouvé d’autres raisons que de faire la fuite en avant, en creusant davantage le fossé de la discorde,  quitte à  se mordre la queue.  Dès lors, comment qualifier  les incohérences du discours qu’ils tiennent,  l’incongruité des revendications qu’ils mettent sur la table et leur  remise en question de l’accord de Carthage qui  a  été à l’origine de la formation d’un gouvernement d’union nationale?
Si tous les signataires étaient d’accord sur le diagnostic de la situation et de la feuille de route à suivre, comment expliquer leurs hésitations   sur la mise en œuvre des réformes ?
Il est aujourd’hui clair, que par le calcul des uns et les  desseins inavoués des autres, l’alliance au pouvoir, d’autres acteurs politiques minoritaires et  les organisations de la société civile se délectent en orientant  leurs  flèches vers un gouvernement qui subit  tous les coups bas pour le déstabiliser et le pousser à ses derniers retranchements, même si cela peut provoquer une  crise dont personne n’en tirera profit.
Il n’y a qu’à voir les déclarations des responsables des partis politiques pour s’en convaincre. Dans l’étape cruciale que vit le pays avec son  corollaire d’exacerbation de pressions et de risques,  la piste de sortie de  crise se traduit à leurs yeux par un remaniement profond du gouvernement, non  le sauvetage de l’économie ni  la poursuite de la guerre contre la corruption. Pour Nidaa Tounes en lambeaux, ce qui importe le plus, c’est de permettre à certaines figures de postuler pour des postes ministériels pour servir et se servir. Pour Ennahdha, qui, curieusement, développe  le même souci et le même discours, il lui importe d’avancer ses pions et de montrer à ses militants  que les dissensions qui sont en train de s’éclater  au grand jour entre ses faucons et ses colombes, notamment sur les pouvoirs absolus conférés à Rached Ghannouchi, ne sont qu’une vue de l’esprit. Les autres partis qui arrivent mal à retrouver leurs repères ou à cacher leurs divisions, ont trouvé l’astuce, en exigeant le report des Municipales, auxquelles ils se sont très mal préparés ou,  dans le meilleur des cas,  en appelant à l’urgence d’engager un dialogue économique pour sortir le pays de la grave crise qu’il connaît et dont les effets risquent d’être catastrophiques.
Entre-temps, la rentrée politique s’approche et  l’UGTT, pour se donner une bonne raison, commence à fourbir  ses armes en prévision de  nouvelles négociations sociales. La Centrale syndicale ne semble pas encore consciente ou plutôt concernée par tout ce qui se passe. Que le pays fasse  banqueroute, que son économie s’écroule ou que ses entreprises mettent les clefs sous le paillasson, importent peu.  L’essentiel  pour elle consiste à glaner de nouveaux acquis  pour ses adhérents et advienne que pourra.

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