Selon le géographe Pierre George, le pétrole existe sous forme de substance physique au Moyen-Orient et il acquiert des airs d’enjeu économique par l’entremise de l’Occident. La mise en présence de ces deux mondes sociaux d’inégale puissance est au principe des guerres infligées à l’Egypte au temps de Nasser et à l’Irak à l’ère de Saddam, entre autres chaos destructeurs des uns et profiteurs aux autres. De nos jours, encore, les pétroliers sentent mauvais pour la paix tant l’économique n’existe pas hors du social où figure, avec neuf autres « paliers en profondeur » l’économique.
Pour avoir appliqué, à la question des modèles économique, cette problématique élaborée par Georges Gurvitch, depuis six décennies, Joseph Stiglitz obtenait, avec deux autres économistes, le prix Nobel d’économie en 2001. Et maintenant, toujours fidèle à la politique de l’Amérique, le caniche britannique arraisonne un pétrolier iranien soupçonné de ravitailler la Syrie, pays honni par les souteneurs de l’usurpateur israélien.
Trump dit : « Je détiens le plus gros bouton et je dirige la première puissance militaire. Donc, il m’appartient d’énoncer le droit, n’en déplaise à ces dirigeants manipulateurs de leur population séduite par mes dollars abondants ». Le proxénète félicite la piraterie de sa majesté pour avoir arboré le genre flibustier afin de kidnapper le pétrolier iranien dans les eaux internationales, selon Téhéran. Le pays d’Arsène Lupin n’est guère à un vol près. La tête précieuse de Toutânkhamon est mise aux enchères publiques à Londres qui refuse de restituer les trésors archéologiques pillés par ses colons. Le droit des peuples ? A d’autres ! « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Piqué au vif par le banditisme éhonté, l’Iran menace de piquer un pétrolier anglais. Sur l’échiquier de tous les dangers, les dés sont jetés. Parmi eux, l’Ukraine sevrée de pétrole soviétique reçoit un pétrolier dépêché par le gendarme du monde entier. Au vu de ce chassé-croisé, voici comment la guerre pourrait sourire sans jamais oser rigoler tout à fait. Au cas où l’adversaire, indigné, attaquerait la protection rapprochée du pétrolier mal-aimé, l’engrenage serait déclenché. Mais la conflagration n’adviendra pas, car chaque belligérant, paralysé par l’inéluctable riposte, reculera face au charme sans frontière de la dissuasion nucléaire.
Voilà pourquoi, s’il ne la possède encore dans le plus grand secret, l’Iran serait bien inspiré de fabriquer sa bombe à l’image du stratège nord-coréen. Le plus tôt sera le mieux.
La Chine et la Russie devraient y contribuer au lieu de se laisser mener en bateau par le grand salaud. Il n’y a pas d’équité internationale dans un monde multipolaire s’il n’est, ou bien plurinucléaire ou alors tout à fait dénucléarisé.
Si le Coréen tient bon sur ce point, le grand satan risque de se casser le nez sur son gros bouton. Il le sait et c’est pourquoi il pense pouvoir continuer à terroriser le monde avec sa présumée bombe miniaturisée. De quoi pulvériser le Palestinien sans égratigner l’Israélien. Après Hiroshima, nous aurons Ghaza.
Rien n’empêche l’écervelé de rêver. Pour l’instant, sa guerre économique remet en question la croyance d’Adam Smith, le chantre du libre-échange et de son modèle appliqué à la concurrence parfaite stimulée par l’avantage comparatif. Baudelaire savait pour quelle raison les dirigeants des grandes puissances ne savaient plus quoi faire de leur bouton, petit ou grand. La peur au ventre n’avoue pas son nom : « Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie, / N’ont pas encore brodé leurs plaisants dessins / Le canevas banal de nos piteux destins / C’est que notre âme, hélas, n’est pas assez hardie ».
Trump menace, le caniche conseille aux ennemis de le prendre au sérieux mais il n’échappe guère à la règle de la dissuasion nucléaire.
Inciter l’Iran à fabriquer sa bombe, au plus vite, paraît irréaliste. Mais, disait Antonio Negri, l’alternative, c’est l’utopie. Pour celle-ci, le réalisme pactise avec le défaitisme. Sous quelle modalité surgit, aujourd’hui, l’homologie du réalisme et du défaitisme ? Avec sa conférence de Bahreïn et son plan américain, l’affameur des peuples cherche à troquer la monnaie contre la dignité. On est proxénète ou on ne l’est pas, « c’est la loi », dirait Nietzsche.
A vous les dollars ajoutés aux pétrodollars, à moi la solution à un seul Etat.
Derrière ce diktat grouille et magouille le spectre du véto. Legs empoissonné du partage des zones d’influence après la guerre planétaire, la bipartition du monde entre gens à bombe et gens sans insinue la division globale entre surhommes et sous-hommes. L’idéal racial, cher à Hitler, prospère et persévère sous la monopolisation minoritaire du nucléaire. Henri Lefèvre écrit : « Sous couvert du sublime et du surhumain, tout l’inhumain passe en contrebande ». Si l’Iran outrepasse les restrictions imposées par l’accord anti-bombe, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité vont l’accabler pour la plus grande joie de ces deux Etats en un que forment Israéliens et Américains. Mais, dirait à juste titre Bourdieu, « avoir des raisons ne veut pas dire avoir raison ».
Autrement dit, si l’Iran fabrique sa bombe, Israël n’a rien à craindre. Le guide suprême n’est ni plus ni moins fou que Trump, Poutine ou Kim, mais le damné aura de quoi se faire respecter par les salauds de la terre.