Toute décision économique trouve sa justification dans un choix politique. Le projet de loi sur le partenariat public-privé (PPP) confirme par excellence cette règle reflétant les orientations politiques du gouvernement et des représentants à l’Assemblée des Représentants du Peuple. Incontestablement, ce projet qui a soulevé chez certaines parties des commentaires et des réserves, possède une forte connotation idéologique. Pourtant, un PPP ne peut purement avoir qu’un objectif et certaines motivations.
Le pont La Goulette-Radès, n’a pas permis uniquement de relier trois gouvernorats: Tunis, Ariana et Ben Arous, ce mégaprojet qui avait coûté 141 millions de dinars, est une belle illustration d’un PPP. En effet, pour y arriver, la Tunisie a fait appel à des investisseurs étrangers, en l’occurrence la JICA (l’Agence japonaise de coopération internationale). Il s’agit d’un partenariat public-privé réalisé suivant un appel d’offres et soumis au code des marchés publics.
« Tunisie Autoroutes » est une autre illustration du partenariat public privé qui fonctionne bien chez nous. Cette entreprise, affirment certains experts, dont la mission «est de construire, d’exploiter, d’entretenir et d’édifier les installations, les équipements et les aménagements annexes des autoroutes, fonctionne bien ». Cela fait 60 ans que le pays pratique le PPP. Nous n’avons pas attendu une loi sur le PPP pour le réaliser et nous ne nous sommes pas posés de questions idéologiques sur ce partenariat que certains confondent comme une forme déguisée de privatisation !
Quand la Tunisie post révolution a voulu mettre un cadre juridique pour organiser cette forme de partenariat, toute une polémique s’est déclenchée et des appréhensions, à tort ou à raison, ont été exprimées.
Pourquoi une loi sur le PPP
La Tunisie aura besoin d’ici cinq ans de 1000 mégawatts d’électricité pour subvenir aux besoins de la population en électricité. Pour y arriver, deux centrales électriques devraient être réalisées, nécessitant un investissement de près de 2.000 milliards de dinars. La STEG, qui souffre déjà d’un déficit de 400 millions de dinars, pourra-t-elle assurer cette mission ? Aucunement, estime Radhi Meddeb, PDG de Comete Engineering. « L’Etat n’a plus d’argent pour faire des projets d’infrastructure ». Les exemples d’incapacité de l’Etat à investir sont nombreux. La Tunisie a besoin du secteur privé pour redynamiser son économie et réaliser des projets petits ou grands. Tout le monde s’accorde à ce constat. A cet effet, si les PPP existent depuis des années, avons-nous besoin d’une loi ? Les experts s’accordent à dire qu’une loi est nécessaire pour définir un cadre commun pour ne pas avoir à renégocier chaque fois, point par point, les différentes closes qui constituent le PPP. Pour aller plus vite, également, car certains PPP ont pris du temps. Nous avons besoins d’une loi pour capitaliser le savoir du secteur privé. Le fait d’élaborer une loi et un cadre transparent qui définissent les conditions d’intervention des parties prenantes dans une entité spécialement dédiée au PPP, minimisera les possibilités de corruption. Il va sans dire que dans la conjoncture actuelle, cette formule permettra à l’Etat de réorienter ses dépenses vers les missions prioritaires et de limiter également l’endettement.
Un PPP à la tunisienne
Actuellement la commission des finances de l’ARP est en train d’étudier le projet de loi sur le PPP présenté par le gouvernement. Il s’agit de la version de 2012 non modifiée. « Cette version serait une copie vulgaire de la loi française, ne traduisant pas réellement la situation particulière de la Tunisie » affirment certains députés de l’ARP. Atef Majdoub, membre du cabinet de Habib Essid, répondra que la rédaction de cette loi a été faite par un comité multipartite composé de ministères et piloté par la présidence du gouvernement avec une assistance de l’Union européenne qui a recruté spécialement un expert, à savoir un avocat inscrit au Barreau de Paris, pour procéder à la rédaction de cette loi. « Il se pourrait qu’il ait fait beaucoup de référence à la loi française de 2004 qui traite des PPP. Mais toujours est-il, le texte est sujet à des améliorations et les séances d’écoute organisées par la commission des finances et la présidence du gouvernement sont une occasion pour introduire des modifications à ce texte et l’adapter finalement aux spécificités tunisiennes », explique M. Majdoub.
Il faut rappeler que ce texte a été rédigé avant la Constitution, d’où peut-être le besoin d’introduire des adaptations et des modifications pour qu’il soit en adéquation avec la Constitution.
Si on examine un peu plus les réserves formulées par certaines parties prenantes à savoir l’UGTT, l’UTICA, le CONECT, l’UTAP, quelques experts et des représentants de la société civile, on observera des avis qui ne sont pas partagés et une certaine peur de voir l’Etat se délester de certaines de ses missions au profit du secteur privé qui cherche avant tout à maximiser les profits
Mongi Smaili, de l’UGTT, précise que l’organisation ouvrière n’est pas contre le principe du PPP, sauf s’il s’agissait d’une privatisation déguisée. « Et c’est ce qui parait » selon lui. Le PPP peut être envisageable selon Mongi Smaili dans des projets d’infrastructures mais aucunement dans des secteurs qui toucheraient la souveraineté du pays à savoir la santé, l’éducation, la distribution de l’eau et de l’électricité. « Ce n’est pas un constat pris à la hâte, les expériences similaires entreprises par certains pays ont produit des dégâts considérables ». « Dans le secteur de la distribution de l’eau, l’Argentine était amené à s’associer à un investisseur étranger dans le cadre d’un PPP. Bien que son associé fût une grande entreprise qui a fini par déclarer faillite, le contribuable était le seul perdant. Dans ce projet de loi l’article six fait allusion à tous les secteurs même celui de la Défense » a précisé Smaili.
Pour Radhi Meddeb, le PPP peut concerner dans l’absolu tous les secteurs, mais pour la Tunisie, on ne va pas se lancer, du jour au lendemain, sans garde-fous. Il va falloir faire des choix, des choix politiques que le gouvernement devra définir selon les priorités du pays. Il y a très peu de pays qui feront des PPP dans la défense, d’ailleurs et on ne parle pas de ça en Tunisie. Quant à l’électricité, par exemple, Radhi Meddeb dira « qu’aux USA il n’y a pas de production publique en électricité, ce qui ne peut pas faire de lui un symbole de souveraineté ».
Aller par étape
La réponse est non. Selon certains députés de l’ARP, l’actuelle version parle uniquement de grands projets qui nécessitent de grands investissements et donc de grandes entreprises. L’on sait que le tissu économique tunisien est composé essentiellement (80%) de PME ce qui peut ramener la part du secteur privé tunisien dans ces PPP à la portion congrue. Pour cette raison évidente, ils défendent l’idée d’étendre cette loi à tous les types de projets petits ou grands. L’autre question qui se pose se réfère à la capacité de l’investisseur tunisien de concurrencer l’investisseur étranger dans ce domaine ? Moncef Sellami, chef d’entreprise et membre de l’ARP pense qu’il est nécessaire d’aller par étape dans ce projet en changeant les mentalités. Moncef Sellami se rappelle que 15 ans au paravant quand l’Etat avait mis en place le programme de mise à niveau, une bonne partie des chefs d’entreprises était intéressé plutôt par les avantages liés à l’inscription à ce programme, plutôt que par la mise à niveau de leurs entreprises.
D’autres députés émettent des doutes au sujet de l’engouement du secteur privé aux PPP, en se référant à la situation d’attentisme dans laquelle ils vivent, proposant des incitations pour les attirer aux PPP. Radhi Meddeb, rétorquera, que les entreprises tunisiennes veulent exporter, pas importer, réaliser de grands chiffres d’affaires sans investir pour autant et s’internationaliser sans mettre les moyens pour y parvenir. « Pour qu’elles postulent à l’investissement étranger, les entreprises doivent se donner les moyens d’être compétitives ici et ailleurs ». Dans ce domaine, il n’existe pas de ligne médiane, soit on s’insère dans la mondialisation soit on est exclu.
Un PPP est-il réservé aux grandes villes ?
La réponse est non. Dans l’absolu, les collectivités locales peuvent également réaliser des PPP. En Tunisie, la Constitution dans sa dernière version a décrété la décentralisation. En même temps, rien n’indique dans l’organisation globale d’aujourd’hui du gouvernement, l’adoption de la décentralisation, alors que c’est un immense chantier qu’il faut entamer incessamment. Les collectivités locales tunisiennes ne sont pas outillées juridiquement et administrativement pour assumer des PPP. La Tunisie globalement manque actuellement de compétences humaines capables de gérer ces partenariats.
50 articles complexes
Le projet de loi sur les PPP composé de 50 articles complexes laissant libre cours aux interprétations. Des textes ambigus qui manquent de précision et de transparence notamment en termes de partage des risques entre le public et le privé et de garantie de l’intérêt de l’Etat. La crainte principale de ce projet de loi est la privatisation des profits et la socialisation des pertes. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas de modèle dans l’absolu. Il faut que l’Etat ait la capacité de définir ses besoins, ses orientations stratégiques vers les secteurs et les projets prioritaires.
Incontestablement, cette loi doit réponde à de nombreuses questions, en l’occurrence, comment choisir le partenaire privé ? Comment partager les tâches avec ce partenaire privé ? Comment répartir les risques ? L’objectif est d’accélérer la capacité du pays à répondre aux besoins du citoyen et de l’économie nationale ; et maitriser les coûts et les délais, tout en sauvegardant l’intérêt du pays. L’Etat doit s’entourer de toutes les compétences juridiques, fiscales, financières, techniques pour donner toutes les chances pour réussir le PPP.
La dernière version qui sera adoptée par l’ARP, sera le fruit de consultations faites entre toutes les parties prenantes, l’UGTT, l’UTICA, la CONECT, l’UTAP, la société civile et le gouvernement. Mohsen Hassen, membre de la commission des finances à l’ARP assure que « cette loi sera adoptée avant les vacances parlementaires, sinon selon lui il n’y aura pas de vacances ».
Moralité de l’histoire, la loi des PPP ne sera pas la certificat de décès du code des marchés publics, dont les dispositions continueront à être en même temps que la loi des PPP. La raison est évidente, de nombreux projets ne peuvent pas être encore réalisés selon la formule du PPP.