
Aussi je vais me permettre, modestement, de relever les changements qui m’ont frappé depuis ce début février qui a vu “l’entrée en scène” de la “formation” de Mehdi Jomâa. C’est un peu un “inventaire à la Prévert” que je m’apprête à faire, me réservant le droit de traiter les divers sujets un à un au cours de mes chroniques. Voici ce que j’ai retenu, pêle-mêle.
1/ Après le guet-apens de Jendouba qui a coûté la vie à trois Gardes nationaux, le chef du gouvernement a ordonné une enquête interne qui a débouché sur la suspension, puis l’arrestation du chef du poste de police adjoint ;2/ un mouvement important a eu lieu dans le corps des gouverneurs, il a concerné dix-huit gouverneurs sur vingt-quatre; 3/ les Ligues de protection de la Révolution ne font plus la loi dans les quartiers ; 4/ le chef du gouvernement s’est réuni avec vingt-six chefs de partis pour étudier la situation critique du pays ; 5/ le tourisme repart d’un bon pied ; 6/ Mehdi Jomâa s’est adressé à la nation, lundi 3 mars et a donné ses directives à la lueur de ses observations sur l’état de la Tunisie. À nous de lui faire confiance et de mériter la sienne !
* Où l’on reparle des LPR. On a appris à la radio, le matin du jeudi 27 février, l’arrestation d’Imed Dghij, chef de la Ligue de protection de la Révolution du Kram. Cette arrestation aurait été mouvementée, à cause d’un groupe de ses partisans qui s’y sont opposés, ce qui n’est pas étonnant, car voilà bien longtemps que l’intéressé fait la loi dans cette banlieue de la capitale. Certes, il y a quelques mois que les LPR ne font plus parler d’elles, ayant certainement reçu des ordres pour se faire oublier de leurs commanditaires. Mais l’approche de la préparation des élections a réveillé l’ire d’Imed Dghij, qui avait déclaré sur les réseaux sociaux, en juin 2013 déjà, qu’il “n’est pas question qu’il y ait des élections si Nidâa Tounes y prend part”, tandis que son complice, “Recoba”, appelait les forces de l’ordre “à s’en prendre à Béji Caïd Essebsi” et Ansar Chariaa à “propager ses messages dans les rues” (voir Réalités de juin 2013). Inutile de rappeler à nos lecteurs le lynchage de Lotfi Naguedh à Tataouine et l’attaque du siège de l’UGTT le 4 décembre 2012, entre autres méfaits.
L’approche des élections a, donc, été l’occasion du réveil de ces milices et, la veille de son arrestation, Imed Dghij a exprimé sur sa page Facebook son “mépris des forces de l’ordre qualifiées de criminelles” et a accusé les magistrats de “recourir aux pratiques de l’ancien régime” en ajoutant “nous ne mourrons pas avant de vous avoir éradiqués”. Son arrestation a provoqué le soir même les protestations de ses partisans sur les réseaux sociaux et des manifestations violentes les ont opposées toute la nuit aux forces de l’ordre dans les rue du Kram, transformées pour l’occasion en champ de bataille.
Cela ne nous étonne pas, venant de tels individus, mais on ne s’attend pas à une protestation de la part de Sihem Badi, l’ancienne ministre de la Femme, ni à celle de Rafik Abdesselem qui a déclaré qu’au lieu d’une arrestation “musclée”, il aurait suffi de le convoquer au tribunal — comme s’il ignorait qu’un procès auquel il devait se présenter avait été renvoyé de mois en mois depuis longtemps et qu’il ne s’y était jamais présenté.
Mais le comble, c’est la conduite de Maherzia Laabidi, vice-présidente de l’ANC, qui s’est rendue au ministère de l’Intérieur, accompagnée de vingt-cinq députés (Ennahdha, CPR et Wafa), pour demander au ministre la libération d’Imed Dghij, montrant par là que c’est bien “leur homme de main”, une création de la Troïka. Heureusement les temps ont changé et, deux heures seulement après cette intervention pour le moins choquante, Lotfi Ben Jeddou a confirmé que “cette arrestation a été prise dans le cadre de la loi et s’est conformée aux ordres du Ministère public et dans le respect de la loi et des Droits de l’Homme”. Cela n’a pas empêché le parti Ennahdha de demander l’ouverture d’une enquête sur le déroulement de cette arrestation et quelques heures après de réitérer ses critiques contre les forces de l’ordre pour avoir mâté une manifestation de partisans des LPR à la Casbah. En même temps — ou presque — une manifestation se tenait devant le siège de l’ANC, au Bardo, à laquelle se sont joints quelques députés ayant quitté l’hémicycle !
Il est curieux que ces représentants du peuple — ainsi nomme-t-on pompeusement les députés — n’aient jamais fait entendre leurs voix lors de la mort de Lotfi Neghedh, ni lors de l’attaque de Béji Caïd Essebsi à Djerba ou de nombreux chefs de partis démocratiques parcourant les régions déshéritées, ni lors de la “chevrotine” à Siliana, ni lors de l’attaque du siège de l’UGTT, etc. C’est donc un véritable bras de fer qui s’engage entre les Ligues de protection de la Révolution et le Gouvernement de Mehdi Jomâa. Les jours qui viennent nous diront si le ministère de la Justice se place dans la ligne du ministère de l’Intérieur, ce n’est qu’à ce prix que les prochaines élections pourront être honnêtes, sans violences ni trucages…
Le Tourisme paraît repartir d’un bon pied sous l’impulsion de sa jeune ministre, Amel Karboul, dynamique et imaginative, qui tranche nettement avec son prédécesseur. Elle est consciente de l’importance de l’accueil qui doit être fait aux (rares) touristes qui se risquent dans un pays que la presse française montre trop souvent comme sinistré ou dangereux… Elle s’est déjà signalée par d’heureuses initiatives, accompagnant par exemple dans les souks de Tunis une délégation britannique, enchantée d’avoir un tel guide à sa disposition. L’organisation réussie du Festival des Dunes musicales électroniques de Ong Jamel a fait connaître le Sud tunisien à des amateurs venus par charters, accompagnés de personnalités aussi célèbres que Jack Lang, ancien ministre français et des ambassadeurs de pays amis, qui se sont enivrés de musique et de danse du matin au soir. Qu’importe si un imam grognon a protesté parce que des boissons alcoolisées ont été servies à nos visiteurs “dans une région où tout le monde connaît le Coran et où le sentiment religieux est fort” tandis que d’autres esprits chagrins critiquaient la tenue de la ministre “chaussée de baskets”. Et alors ? Fallait-il porter des talons-aiguilles pour crapahuter dans les sables du désert avec ses invités et y danser avec eux ? D’ailleurs Amel Karboul, dans plusieurs réceptions, a montré qu’elle peut être très élégante.
Elle connaît bien la Tunisie, même si elle a vécu à l’étranger et sait très bien que le tourisme tunisien est appelé à se diversifier et, à côté du balnéaire toujours prisé par les touristes, il va falloir “mettre le paquet” sur le tourisme culturel, les visites des sites romains et puniques, ce à quoi elle se prépare déjà, on peut lui faire confiance. Elle assistera sûrement aux Rencontres culturelles du Kef, qui ouvriront le 1er mars prochain et qui s’annoncent passionnantes.
Raouf Bahri