Avant de devoir nous résigner, devant l’inertie administrative, nous lançons un cri d’alarme public. Espérons qu’il sera entendu et que… des mesures de sauvegarde — qui ne nous paraissent pas onéreuses du tout ! — seront prises.
Le site paléolithique de Sidi Zin
Ce site, situé à une dizaine de kilomètres du Kef, est un des plus importants de Tunisie. À part quelques recherches menées par le Docteur Gobert avant 1950 et quelques sondages récents, ce site qui pourrait, de l’avis de spécialistes tunisiens, fournir des données nouvelles sur l’histoire du Maghreb et de l’Afrique, est menacé de disparition.
Étant situé sur une propriété privée et à flanc d’oued, il est attaqué non seulement par les labours du cultivateur, mais aussi par l’érosion.
Nous sommes d’autant plus inquiets que nous avons vu disparaître une station mégalithique, considérée en 1985 par l’Institut national d’Archéologie et d’Art — prédécesseur de l’Institut national du Patrimoine — comme étant la plus importante de la région du Kef ! Elle était située à quelques centaines de mètres du site de Sidi Zin et d’un poste de la Garde nationale. Or, elle a complètement disparu sans que les autorités civiles ou culturelles régionales s’en soient aperçues ! Il nous semble pourtant difficile de démonter des monuments mégalithiques constitués de dalles pesant plusieurs tonnes puis de les faire disparaître comme un paquet de sucre ou de cigarettes. En sera-t-il de même du site de Sidi Zin ?
Nous avons informé le ministre de la Culture, dès le 14 mai 2012, des risques encourus par le site préhistorique. Nous lui avons suggéré de faire délimiter puis d’exproprier un terrain d’une superficie de l’ordre de quelques hectares. Nous avons aussi proposé de faire clôturer cet espace et d’y affecter un gardien.
Dans cette région «défavorisée», la création d’un emploi est toujours bienvenue !
Compte tenu de l’importance du site et des possibilités de la valoriser afin de l’inclure dans des circuits touristiques, nous continuons à penser que la récupération de quelques hectares de mauvaise terre ne peut pas être une dépense considérable pour le budget national.
À la suite de notre lettre du 14 mai, nous avons participé à une réunion, au Kef, en présence du Premier délégué et de différents représentants des administrations concernées par cette opération, le 3 août. Il nous a été affirmé que la délimitation du terrain et des mesures d’expropriation seraient réalisées dans les deux à trois mois suivants.
Six mois se sont écoulés depuis sans que rien ne se fasse. Seuls l’érosion destructrice et les travaux agricoles dévastateurs sont à l’œuvre et le patrimoine historique du pays s’écoule au fil de l’oued !
Les tourismes alternatifs : tourismes «historiques» et «culturels» semblent être très prisés ces temps-ci. Tout le monde en parle, mais «ceux qui en parlent le plus semblent être ceux qui en font le moins» ! Serait-ce la dernière «tarte à la crème ?»
Le site «Global Stratotype Section and Point»
Ce site géologique mondialement connu est situé le long de la route menant à Hammam Mellèg, à proximité du hameau d’El Haria, à une dizaine de kilomètres du Kef.
Ce site est classé «patrimoine géologique universel » par l’Union internationale de géologie et par la Commission internationale de stratigraphie. C’est donc une référence mondiale qui intéresse tous les savants spécialistes de l’histoire de la Terre.
C’est en ces lieux que l’on peut observer le plus facilement et le plus nettement la limite entre les ères géologiques crétacées (K) du Secondaire et celles du Tertiaire (T). Cette couche alluviale millimétrique, appelée «couche K/T», justifierait par sa forte teneur en iridium, métal très rare sur Terre, la théorie de la disparition des dinosaures causée par la chute d’un énorme météorite contenant de l’iridium, il y a 65 millions d’années.
Étant donné l’intérêt scientifique aussi bien national qu’international du site, nous avons informé le 16 juillet 2012, les services du chef du gouvernement provisoire que ce site, du fait de la fragilité de la lithologie environnante composée d’argile très fine déposée sur une pente escarpée, était gravement menacé de destruction par l’érosion des eaux de ruissellement.
Nous avions suggéré qu’une superficie d’un hectare au maximum, environnant le site, soit expropriée — c’est peut-être du terrain forestier ou domanial ! —, et soit protégée contre le ruissellement.
L’expropriation d’un hectare de mauvaise terre inculte et sa protection contre l’érosion ne nous semblent pas être une dépense superfétatoire et capable de grever gravement le budget de l’État, alors que ce site a une renommée mondiale.
Moyennant protection et promotion, ce site peut être inclus dans un circuit touristique. Il était visité, naguère, à longueur d’année, par des savants et leurs élèves. En 1998, un séminaire qui s’y intéressait a attiré, à Tunis, deux-cents savants !
Hélas, nous n’avons reçu aucune réponse à ce jour ! Seuls le vandalisme — qui a fait disparaître le panneau annonçant la présence du site — et l’érosion ravageuse sont à l’ouvrage ! Ce patrimoine de la Tunisie, qui ne pourra être ni reconstruit ni reconstitué, risque de s’en aller ainsi «à vau-l’eau», au sens propre, sans que personne ne s’en préoccupe, alors que les géologues tunisiens ont demandé, dès 1987, que ce site soit protégé !
Nous sommes d’autant plus inquiets que bien d’autres sites géologiques uniques ont été dévastés : le neck basaltique du Guelb Saad Moun, près de Ghezala, qui offrait les seules «orgues basaltiques» du pays, les vestiges de la forêt fossile de Bled Douara près de Gafsa, les fossiles du Parc national des dinosaures du Jebel Miteur, près de Béni Khedache, pillés à longueur d’année, etc.
Pourtant, le «géotourisme» existe depuis des années. Il est à noter que 30 % des touristes américains fréquentent les «Géopark» patronnés par l’UNESCO. Différents «responsables» prônent la diversification des produits touristiques pour sauver le tourisme national en bien mauvaise posture, surtout dans cet ouest tunisien qui en aurait bien besoin.
Toutes leurs affirmations, toutes leurs campagnes de promotion, les séminaires, les colloques, les invitations de «sommités» internationales ne seraient-ils que de la gesticulation destinée à «enfumer»— le mot est à la mode ! —, les citoyens tunisiens ?