Le « Premier forum du journalisme d’investigation et du journalisme citoyen pour une bonne gouvernance locale » a eu lieu le 25 octobre.
L’exposé d’enquêtes menées sur le terrain par quelques diplômés de l’IPSI illustrait les recherches-actions appliquées à des problèmes irrésolus en raison de gouvernances défaillantes.
La violence infligée aux médiateurs planait sur l’aspect engagé de ces prospections localisées. L’effectif des orateurs et l’horaire des séances limitaient le temps de parole. Deux vieux routiers, Abdelkrim Hizaoui et Manoubi Marrouki orchestraient la danse accélérée.
Hajer Ben Hassen développait un exposé remarqué sur le journalisme d’investigation et la bonne gouvernance locale. Parmi le groupe figurait Amira Ben Jemaâ dont j’ai recueilli ce témoignage emblématique des contraintes imposées à la sphère médiatique : « J’habite à Hammam-Lif et j’ai renoncé à traiter le sujet qui m’intéressait. Cela m’aurait attiré des ennuis. Squatté, pillé, dégradé par des bandits, le palais de Moncef Bey échappe au contrôle des autorités. Personne ne peut y entrer sans risquer d’être violenté. Ils se conduisent comme si le palais leur appartenait.
Aucun responsable municipal ou sécuritaire n’est intervenu pour mettre fin à cette occupation anarchique ».
Livré au règne des sbires, ce palais a partie liée avec le souvenir.
Interviewé le 4 novembre, Faouzi Chkili, le jazzman, me dit : « Toutes les fois où je passe devant le palais de Moncef Bey, dont j’ai connu le passé, j’ai mal au cœur de voir ce qu’il est devenu… »
Dans les années quarante, Moncef Bey quittait le palais en carrosse, chaque vendredi, et parcourait le même trajet. Avec un essaim de gamins, je suivais le monarque bien-aimé aux cris de « Allah yonsor sidna ». A ce moment-là, il n’y avait ni royalistes, ni républicains. Au temps opportun, Moncef Bey sourit et lance une poignée de monnaies. Bienheureux le plus rapide et assez habile pour attraper de quoi épater les parents amusés.
J’écoute le récit d’Amira et il éveille en moi le souvenir que voilà.
Ainsi donc, avec la défiguration du monument et la détérioration de la construction, c’est à la fois la pierre et la mémoire vivante qui sont agressées. Aussitôt recueilli, le témoignage émouvant suggère une question propice à la problématisation.
Pourquoi les institutions affectées à la protection du patrimoine au niveau local et à l’échelle nationale brillent-elles par l’outrecuidance de leur carence ? Pourquoi céder au banditisme éhonté ce palais beylical, joyau architectural typique d’une époque ?
A son tour, l’interrogation ainsi formulée guide l’investigation vers une hypothèse à valider ou à infirmer. Bâtie sur les ruines de la royauté, la République fait la dégoûtée face au régime qui l’a précédée. Elle tend à enterrer les traces d’une optique devenue anachronique.
Le roi est mort, vive le président. Pourtant, Moncef Bey fut le nationaliste exilé par les colonialistes abhorrés. Il revient au pays une fois décédé. La marée humaine venue à la rencontre de sa dépouille attestait à quel point Moncef Bey était vénéré. N’en déplaise aux khouanjia, maîtres d’œuvre de la Troïka, seul Bourguiba rivalise avec l’aura de ce roi. Après l’envergure de ces deux personnages, leurs successeurs installés au palais de Carthage miment un cheveu tombé dans la soupe frelatée.
Aujourd’hui, la débâcle du monde social tout entier, maximalisée par la crise économique de longue durée, narre l’histoire de joyaux patrimoniaux devenus dépotoirs, et Amira doit renoncer à étudier les raisons de la calamité.
Troquer les médias dérange les modernisateurs et arrange les conservateurs. Pour les nahdhaouis, peu amoureux des libertés, les journalistes sont faits pour être tabassés. A ce propos, les partisans de Kaïs Saïed fondent sur lui maints espoirs. Mais au moment où ses flagorneurs lui attribuent le pouvoir d’imposer un Chef de gouvernement indépendant et compétent, le porte-parole du parti religieux souffle tantôt le froid, tantôt le chaud. L’autorité cruciale n’est pas là où les naïfs le pensent. Pour l’instant, le président de la République choisit ses conseillers parmi les petits amis de sa faculté. « Les copains d’abord », chantait Brassens avant d’être plagié par Trump.
Fethi Hached, le marchand de légumes et fruits approuve Kaïs Saïed et me dit : « Il a raison. Pour vendre la marchandise, mieux vaut recruter un employé que tu connais. Eli Ta3rfou khir méli ma ta3rfouch ». Voici peu, un article dithyrambique paraît sur le nouveau président de la République.
Aussitôt, l’auteur du papier devient conseiller, tant le renvoi de l’ascenseur ignore la pudeur. Le 5 novembre, Dorra Mahfoudh, sociologue, me dit : « Béji apporte son fils et Kaïs ramène ses collègues rapprochés de la faculté. Où est l’anonymat régulateur du régime républicain ? La fac de droit est en Afrique, mais l’Afrique est large ».
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