Au terme de l’un des tournois de tennis de l’Open d’Australie, quelques grands commentateurs australiens se sont réunis afin d’évaluer les étapes du tournoi. Ils se sont tous mis d’accord sur la nécessité de contrecarrer un phénomène dangereux qui a fait son apparition brusquement, à savoir le soutien fanatique et à la limite du tolérable, qu’apporte une certaine frange du public australien aux tennismen de leur pays, bafouant ainsi l’éthique sportive et faisant fi des valeurs nobles de ce sport adulé.
Pour les commentateurs scandalisés, le «patriotisme» s’oppose indubitablement au fanatisme. «Le modèle civilisationnel australien, avec tout ce qu’il comporte comme valeurs et idéaux, est le fondement de notre identité, de notre personnalité, de notre unité et de notre sécurité», disait non sans véhémence l’un des commentateurs.
En Suisse et aux pays scandinaves (Suède, Danemark, Norvège), pour ne citer que les pays socialement très développés et civilisés, l’individu ne peut parachever sa citoyenneté qu’au cas où il confirmerait son adhésion pratique et inconditionnelle au modèle de la société sans pour autant tenir compte de ses références nationales, ethniques, linguistiques ou religieuses. En avançant ces deux exemples, je ne prétends pas que les assises traditionnelles du patriotisme se sont écroulées totalement et je n’appelle guère à leur abandon, mais je crois que leurs fonctions se sont rétrécies dans cet univers totalement globalisé.
Dans ce contexte, il est difficile d’éviter le piège de la surenchère : d’un côté, des «élites» intellectuelles et médiatiques empoisonnées par les identités idéologiques et religieuses, prétendent réduire le patriotisme à la juxtaposition des appartenances éphémères et, de l’autre, des politiciens qui admettent posséder un «patriotimètre» pour mesurer le sentiment patriotique comme on mesure le taux de remplissage des barrages ! Tout cela nous conduit à placer une question aussi délicate à l’écart de la surenchère et à la soumettre à l’analyse selon des méthodes réalistes qui portent sur les faits dans des domaines comme l’identité, la souveraineté, la citoyenneté et l’authenticité culturelle en particulier. Le patriotisme qui est une composante essentielle de la société moderne et civilisée a une dimension beaucoup plus importante que celle qui le confine dans les sentiers battus des traditions figées et des clichés religieux et populistes paralysants qui ne mènent jamais loin la réflexion. Le monde a complètement changé et nous devons dépasser cette mentalité qui n’a pas notablement évolué depuis l’âge de la pierre.
En tenant compte de cette situation, il est impératif de reformuler de nouvelles références pouvant nous protéger du délire des égarés et des surenchères des extrémistes religieux et populistes. L’exemple tunisien était, à cet égard, toujours édifiant. Les éléments qui en constituent le nerf sont la tolérance, l’ouverture, la solidarité, l’entente et l’amour de la vie. Le leader Habib Bourguiba et ses compagnons, dans la construction d’un État moderne, ont œuvré inlassablement pour reconstituer ces valeurs et idéaux dans un nouveau cadre de complémentarité, à travers lequel les références classiques du patriotisme se raffermissent et leurs fonctions s’authentifient. La «tunisianité» revêt ses dimensions supérieures, la religion apparaît dans ses plus nobles valeurs ; ainsi, l’appartenance identitaire prend la forme d’un triomphe pour l’humanité entière.
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