Pèlerinage annuel de la Ghriba

Pas de démocratie sans pluralité

 

Le pèlerinage annuel de la Ghriba, à Djerba, qui rassemble des Juifs venus du monde entier, s’est déroulé du 16 au 18 mai et a atteint les 2000 visiteurs. L’occasion de faire le point sur le pèlerinage le plus sacré d’Afrique du Nord pour la communauté juive. 


C'est sur l’«île des rêves», à Djerba, qu’a été édifié le temple juif de la Ghriba, lieu sacré pour tous les juifs tunisiens et bien au-delà. La synagogue, située dans la zone d’Erriadh, près de Houmet Souk, daterait selon une plaque qui s’y trouve de 585 av. J. C.

La légende fait remonter l’origine de la Ghriba à la destruction du temple de Salomon à Jérusalem, lorsque des Juifs en fuite se sont réfugiés à Djerba. Elle est donc la synagogue la plus vieille d’Afrique et l’une des plus anciennes au monde. L’un des éléments significatifs de la Ghriba est sans doute le cercueil éponyme, pièce maîtresse du pèlerinage, sur lequel chaque Juif va déposer un cierge et un œuf, après avoir mentionné ses vœux. Bien plus qu’un simple pèlerinage, la Ghriba constitue une réelle animation économique pour l’île, mais demande une véritable organisation en matière de sécurité afin de garantir un pèlerinage sans risques.

 

Une sécurité renforcée

Lors de sa visite à Djerba, le ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou,  a affirmé que l’île était fin prête pour accueillir le pèlerinage. Il a rassuré en parlant des conditions sécuritaires en précisant que toutes les dispositions avaient été prises pour garantir le bon déroulement du pèlerinage. «Toutes les parties intervenantes parmi la police, la protection civile, la Garde nationale et l’armée se sont préparées de façon optimale pour la nouvelle saison», a-t-il souligné. Il a ensuite insisté sur les relations de fraternité entre Musulmans et Juifs, en précisant que cela enrichissait le paysage multiculturel de la Tunisie. Il est allé également à la rencontre des membres de la communauté juive djerbienne et s’est entretenu avec le grand rabbin de Tunisie, Haim Bittan. Le ministre a discuté avec le président du comité de la Ghriba, Perez Trabelsi, qui lui a fait part du souhait  des Juifs de France de raviver le rituel de la Mnara (procession religieuse). S’adressant aux médias, Perez Trabelsi a mis en exergue que la visite de Ben Jeddou est la première effectuée depuis 20 ans par un ministre de l’Intérieur à l’occasion du pèlerinage juif. Un dispositif sanitaire a été mis en place par les unités de l’armée et de la sécurité nationale durant toute la durée des célébrations à la synagogue d’El Ghriba, a indiqué le porte-parole du ministère de la Défense nationale, le colonel-major Taoufik Rahmouni. Pour ce faire, deux unités de secours équipées d’un centre mobile de soins et des dispositifs d’évacuation par voie aérienne et terrestre ont été mis en place. De surcroît, l’hôpital régional de Houmet Souk a renforcé ses prestations à travers le renforcement des spécialités médicales afin de garantir l’accès aux soins. Certains diront que la sécurité autour de la synagogue était démesurée, voire inutile, pour autant il est bon de rappeler que l’attentat au camion piégé d’avril 2002 avait coûté la vie à 21 personnes et son souvenir est encore vif dans les mémoires.

 

Des pèlerins toujours aussi nombreux ?

Même si l’île est loin des 8.000 Juifs qui affluaient lors de cette même période avant l’attentat de 2002, Perez Trabelsi a indiqué qu’il pensait qu’un nombre plus important de visiteurs devrait affluer sur l’île  (entre 4.000 et 4.500). Cependant, «l’impossibilité d’atteindre ce chiffre est dû au tollé provoqué par des membres de l’Assemblée nationale constituante qui se sont élevés contre l’entrée de touristes juifs en Tunisie munis de passeports israéliens». En effet, les nombreuses polémiques autour d’Amel Karboul et des Israéliens en Tunisie ont pu prêter à confusion, créant un amalgame entre sionisme et antisémitisme qui a pu décourager certains de vouloir venir pratiquer leur culte en Tunisie. Sur ce même sujet, Perez Trabelsi a ajouté avoir «reçu de multiples communications de Juifs qui voulaient obtenir des explications sur la réalité de la situation et pour lui transmettre leurs craintes au cas où ils viendraient en Tunisie». Entre 800 et 1000 personnes viendraient spécifiquement d’Israël afin d’effectuer le pèlerinage. Concernant les retombées économiques, la Ghriba demeure importante pour l’île puisqu’il est de tradition de dire que la masse de personnes qui afflue à Djerba lors du pèlerinage déterminera par la suite le bon déroulement de la saison touristique à venir. C’est d’ailleurs ce que déclarait Amel Karboul lors de la polémique concernant l’entrée d’Israéliens en Tunisie, «le succès de la saison touristique dépend du succès du pèlerinage de la Ghriba» avait-elle déclaré. Dans cette optique et afin de ramener toujours plus de pèlerins, une campagne a été mise en place en France pour relancer un regain d’intérêt pour le pèlerinage avec un slogan très explicite, «La Ghriba a besoin de vous».

 

La Tunisie et les Juifs

Peu avant la création d’Israël en 1947, environ 100.000 Juifs sont présents sur le territoire tunisien, chiffre aujourd’hui ramené à seulement 2.000. Pourquoi les Juifs tunisiens ont-ils déserté le pays ? Certes, la création de l’État d’Israël et sa politique envers les juifs de la diaspora, les poussant à faire leur «alya», c’est-à-dire le retour en terre sainte, a joué pour beaucoup, mais ce n’est pas le seul facteur qui entre en compte. Entre 1948 et 1955 et après l’indépendance de la Tunisie, 25.000 Juifs ont quitté le pays pour se rendre principalement en France et en Israël. En 1961, lors de la bataille d’évacuation de Bizerte, 4.500 Juifs supplémentaires sont partis. Mais c’est surtout lors de la Guerre des six jours en 1967, puis, celle d’octobre 1973, que la Tunisie a vu les Juifs du pays partir massivement. Les politiques de collectivisation et d’arabisation, dont celle du barreau, ne sont pas, non plus, étrangères à ces départs.

Aujourd’hui, les Juifs tunisiens vivent principalement à Djerba, Sfax, Tunis, Sousse et Nabeul. La plus grosse communauté juive est située à Djerba avec près de 800 personnes. La communauté juive de Tunisie dispose de six écoles primaires, quatre écoles secondaires, un jardin d’enfants, deux maisons de retraite, sans compter de nombreux restaurants casher. Loin des polémiques, et sans oublier les vindictes anti-juives et les malheureuses confusions entre Juifs et colons israéliens, il n’est pas inutile de souligner que le salaire du grand rabbin de Tunisie est payé par le gouvernement tunisien, qui effectue aussi les travaux de rénovation et d’entretien des synagogues. Ainsi, l’État tunisien remplit son rôle concernant la pluralité religieuse du pays. D’ailleurs, une trentaine de synagogues existent en Tunisie, dont sept à Tunis.

Nombre de citoyens tunisiens de confession juive ont pris part au combat pour l’indépendance du pays et bon nombre d’entre se sont engagés dans la lutte pour les libertés et les Droits de l’Homme et ont souvent payé cher cet engagement. Citons, à titre d’exemple, Gilbert Naccache et Georges Adda.

La plupart des membres de la diaspora juive tunisienne reste très attachée à son pays d’origine. Citons, par exemple, Michel Boujenah qui ne cesse de vanter les mérites du pays en France.

La Tunisie se doit donc d’œuvrer à une totale égalité entre ses citoyens, d’honorer sa pluralité et de se remémorer que c’est, aussi, grâce à une partie de sa population, certes de confession différente, qu’elle est devenue ce qu’elle est aujourd’hui.

Inès Aloui

 

 

 

 

 

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