Pendant ce temps, la concentration continue !

Au moment où tout le monde parle de la faiblesse de la croissance et de la panne de la globalisation, les dynamiques de fusions acquisitions continuent de plus belle et le mouvement de concentration n’a jamais été aussi important. Il y a quelques semaines déjà, le 22 octobre 2016, les deux géants AT&T et Time Warner ont annoncé leur fusion et le grand opérateur des télécoms a pris le contrôle, entre autres, des chaînes de télé HBO, CNN et des studios de cinéma Warner Bros à qui on doit un grand nombre de succès planétaires dont Les Affranchis, Spotlight ou Harry Potter. Cette fusion trouve sa justification dans la volonté stratégique des grands opérateurs télécoms de s’allier avec des créateurs de contenu pour nourrir leurs réseaux.
Mais, cette tendance ne se limite pas au domaine de la communication et des médias et on la retrouve dans beaucoup d’autres secteurs dont l’industrie automobile, l’industrie pharmaceutique, ou l’industrie agroalimentaire. cette tendance nourrit une course au gigantisme en dépit de la morosité de la croissance économique.
Plusieurs raisons expliquent ce mouvement de fusion acquisition au sein de l’économie globale. La première est d’ordre économique et constitue la réponse des grands groupes à la faible croissance par un accroissement de leurs parts de marché. Par ailleurs, des raisons technologiques expliquent également ces rapprochements avec de grands groupes traditionnels qui prennent le contrôle des start-up dans les nouvelles technologies. Enfin, aussi des raisons politiques derrière cette course aux fusions de la part des géants mondiaux qui s’inquiètent de la boulimie des grands groupes chinois qui arrivent sur les grands marchés avec une force de frappe financière sans égal et parviennent à prendre le contrôle de quelques joyaux de l’industrie européenne ou américaine.
Cette course au gigantisme crée une véritable concurrence sur un marché relativement limité provoquant une surenchère sans précédent sur les marchés. Ainsi, on estime que les sommes déboursées par les grands groupes sont entre 20 et 40% supérieures à la valorisation des entreprises achetées. Par ailleurs, dans plusieurs cas, les fondamentaux ne sont pas respectés et les retours sur investissements restent nettement en dessous des moyennes exigées pour ce type d’investissement.
Donc, il s’agit bien d’un mouvement de nature particulière qui s’inscrit dans une stratégie défensive dont l’objectif est de faire face à la faible croissance des marchés par une augmentation des parts. Le souci financier n’est pas la première préoccupation dans cette course au gigantisme mais il s’agit plutôt de consolider les positions et les parts de marché des grands groupes traditionnels, particulièrement dans un contexte marqué par l’appétit des groupes asiatiques et surtout chinois.
Cette stratégie est facilitée par les conditions de financement de ces fusions. En effet, la vague d’acquisition des années 2000 a été financée par les fonds de private equipty et les LBO qui répondent à un modèle de financement très particulier où l’exigence d’un bon retour sur investissement était essentielle. Or, cette nouvelle vague bénéficie des politiques monétaires expansionnistes et des taux d’intérêt bas qui prévalent dans la plupart des pays développés permettant aux grands groupes de franchir le pas et d’opérer leurs investissements en espérant que l’effet taille contribue à l’amélioration de la rentabilité de ces investissements.
Ainsi, en dépit d’un contexte économique morose et d’une croissance en berne, les grands groupes continuent à se développer et font de la course au gigantisme le moyen d’améliorer leur rentabilité et de préserver leurs parts de marché. Mais, cette frénésie inquiète au plus haut point les responsables politiques et beaucoup d’entre eux s’alarment de cette forte concentration de pouvoir qui résulte de cette course au gigantisme. D’ailleurs, certains dirigeants comme c’est le cas aux Etats-Unis ont déjà appelé les régulateurs à observer attentivement ces évolutions et à mettre les réglementations nécessaires afin d’éviter la formation de monopoles qui seront à l’origine de dysfonctionnements de marché qui peuvent avoir des effets néfastes sur les consommateurs.
Ainsi, au moment où la croissance est morose, les inégalités à leur niveau le plus élevé suscitant frustration et désespoir, les grands groupes continuent leur bonhomme de chemin en cherchant à s’agrandir. Ces attitudes appellent les pouvoirs démocratiques à une plus grande vigilance afin que la liberté ne détruise pas les deux autres piliers des sociétés démocratiques : la justice et l’égalité.

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