La récente campagne « Winou el petrole » a, quelque peu préoccupé la scène politique et économique du pays à travers la diffusion d’accusations gratuites et d’informations mensongères et la manipulation des frustrations sociales.
L’intervention détaillée du ministre de l’Industrie, de l’énergie et des mines, Zakaria Hamad devant les commissions de l’ARP, qui a fait preuve de transparence et de réalisme, a permis de lever le voile sur les réalités de nos ressources énergétiques et a rallié la majorité des députés à la bonne cause. Partis politiques et société civile pourraient emboiter le pas pour contrer toute tentative de déstabilisation du pays. De quoi s’agit-il au juste ?
Des préalables favorables aux supputations
Il faut dire tout d’abord que les thèmes relatifs à la prospection et à l’exploitation du pétrole et du gaz sont des domaines très techniques et trop particuliers qui échappent à la sphère de compréhension même des cadres et des intellectuels à l’exception des ingénieurs et des experts qui appartiennent au secteur, à la géologie et à la géographie. Alors que dire lorsqu’il s’agit de l’homme de la rue dont les études n’ont pas dépassé l’école de base ou encore le bac ?
En outre, les clauses juridiques, les conditions économiques, financières et fiscales selon lesquelles sont signées les conventions entre l’Etat et les sociétés étrangères qui maîtrisent les technologies de prospection, de recherche et d’exploitation de l’énergie et bénéficient des concessions, sont très complexes pour être accessibles aux simples profanes. Même les experts sont parfois tentés de les interpréter de façon différente.
Cela ne veut pas dire qu’il faut faire preuve d’opacité, ni qu’il n’y a jamais eu d’erreur, de corruption ou de mauvaise gestion dans la gouvernance de nos ressources énergétiques, loin s’en faut.
Il faut dire que l’imaginaire des populations arabo-musulmanes a été caressé depuis plusieurs siècles par des rêves sinon des illusions de richesses naturelles à briguer que ce soit l’or, ou les pierres précieuses cachées dans des cavernes, de quoi leur permettre, sans coup férir, de vivre dans l’opulence. Ces rêves ont été confortés par des légendes et des contes. Depuis plusieurs décennies, la manne pétrolière est venue confirmer cette légende et remplacer cet or dans certaines royautés du Proche-Orient.
Libyens et Algériens, nos voisins en ont profité également. Pourquoi pas nous ? Cela soulève de la part de certains tunisiens jalousies, frustrations, interrogations et suspicions.
La convoitise d’une rente pétrolière est trop forte pour être réprimée : la tentation de la paresse d’une part et la frustration née de la pauvreté et du chômage d’autre part, pèsent lourd dans la balance des mentalités et par suite des comportements humains.
Un tissu de mensonges déstabilisateurs ?
Pourquoi et comment « winou el pétrole » ? Pourquoi maintenant et quel objectif cible-t-il ?
Les slogans qui ont dominé la Toile depuis plusieurs semaines portent les titres suivants : « notre pays flotte sur une mer de pétrole », « où est le pétrole ? », « Donnez-moi ma part du pétrole ». Les allusions, ou plutôt les accusations claires portent sur un prétendu « pillage de nos richesses en pétrole et en gaz » ainsi que la « corruption en matière de contrats d’exploitation de gisements et de permis de recherche ».
Cette campagne, orchestrée sur facebook d’abord avec reprise des mêmes thèmes par plusieurs centaines d’intervenants en même temps, surprend aussi bien, par la gravité et la gratuité de ses accusations que par son opportunité. En effet, elle est loin d’être innocente puisqu’elle n’a pas eu lieu lorsque le pétrole était le plus cher sur le marché mondial en 2012 et 2013 et même jusqu’au milieu de 2014 lorsqu’il se négociait entre 100 et 110 dollars le baril, mais en 2015 lorsque les prix se sont effondrés entre 30 et 50 dollars.
Il se trouve que cette campagne coïncide avec la cuisante défaite de certains partis aux dernières élections qui les a mis hors de la sphère du pouvoir et qui cherchent à déstabiliser le gouvernement actuel en diffusant des “messages empoisonnés ». Il faut dire que cette campagne ne s’est pas contentée de diffuser des messages malveillants sur facebook, mais elle a, également occupé la rue par l’organisation de manifestations avec banderoles et mots d’ordre et cela pas seulement à Tunis mais aussi en provoquant des troubles et des perturbations dans les régions du sud du pays notamment à El Faouar où, suite aux résultats positifs obtenus par un forage expérimental, des actes de violences graves et répréhensibles ont été enregistrés.
Les activités de prospection et de recherche
Depuis le forage du premier puits de prospection en 1932 jusqu’à fin mai 2015, il y a eu forage de 700 puits qui ont abouti à 53 concessions dont 38 sont en cours d’exploitation et de production actuellement.
A l’exception d’El Borma et Ashtart qui assurent 42% de la production nationale depuis 1966, toutes les autres découvertes sont de petites tailles et à production limitée. Le nombre de concessions n’a pas cessé de baisser depuis 2010 passant de 52 à 38 en 2014.
Le nombre de forages de prospection qui était de 19 en 2010 est tombé à 3 en 2014, tandis que le nombre de découvertes qui a été de 6 en 2010 a été réduit à 4 en 2011, 2012 et 2013 pour tomber à zéro en 2014.
Les investissements consentis par les compagnies pétrolières y compris l’ETAP qui étaient de 373 millions de dollars en 2010 sont tombés à 300 en 2011, 350 en 2012 et 2013 pour s’effondrer à 194MD en 2014.
C’est dire que les grèves, les sit-in, les manifestations et les perturbations sociales qui ont suivi la Révolution ont porté un coup dur à la prospection et à l’exploitation des hydrocarbures et par voie de conséquence à la production.
L’énigme d’une pauvreté énergétique
Les gisements de pétrole découverts en Tunisie depuis les années 60 sont évalués à 419 millions de tonnes équivalent pétrole provenant essentiellement des découvertes d’El Borma et Ashtart (42%), Miskar, Hasdrubal et Naouara (Sud tunisien) pour le gaz (26%).
Les volumes qui ont été pompés à ce jour sont estimés à 288 millions de TEP.
Les réserves disponibles à ce jour sont estimées à 131 millions de TEP et sont réparties entre pétrole (46% et gaz (54%), ce qui autorise une période d’exploitation de vingt ans. Il faut dire que la durée des réserves est tributaire des technologies utilisées pour l’extraction, des prix pratiqués sur le marché mondial et du rythme des découvertes.
Située entre deux pays riches en hydrocarbures et fortement exportateurs, la Tunisie, pays pauvre en pétrole constitue une véritable énigme pour les profanes.
En fait, c’est la plate-forme saharienne qui est riche en pétrole. Or la part de notre pays située dans cette plate-forme est minime, une pointe enfoncée entre deux vastes territoires. D’ailleurs, les découvertes de pétrole et de gaz en Libye et en Algérie sont proportionnelles aux superficies des territoires.
Les experts en hydrocarbures évaluent ainsi les chances de découvertes de gisements d’hydrocarbures lors des forages de puits : 20% dans le Sud et l’extrême Sud, 10% dans le Centre du pays (Sfax et Kairouan) et seulement 2 à 5% dans le Nord.
Il faut reconnaître que les géologues qualifient le sous-sol tunisien comme particulièrement accidenté, donc objet de plusieurs cassures qui n’ont pas favorisé l’étanchéité des couches géologiques qui abritent les hydrocarbures. Cela explique la modicité des gisements découverts et donc leur rentabilité parfois marginale.
La balance énergétique extérieure est déficitaire de 3,6 M de TEP en 2014 sur une consommation totale de l’ordre de 8 M de TEP. Elle est croissante depuis 2010 selon un rythme de plus en plus rapide.
Organisation et procédures
Sans entrer dans des détails techniques complexes, schématiquement, les opérations se déroulent ainsi : les compagnies étrangères demandent un permis de prospection pour un “bloc” d’un territoire donné en fonction de ce qui est libre selon les données disponibles à l’ETAP, et après négociations avec la direction générale de l’énergie, tutelle du secteur.
Le plus souvent, l’investisseur étranger (il y a cinq investisseurs tunisiens dans les hydrocarbures) s’engage à investir un montant en dollars US durant deux ans, prorogeables un an et tout cela est consigné dans un contrat signé avec l’Etat.
Il y a des permis de recherche et des concessions d’exploitation. Pour les premiers, la durée est de cinq ans avec possibilité de forer des puits, elle est prorogeable deux fois pour une durée de quatre ans à chaque fois. La troisième est possible si découverte il y a, pour les seconds, la durée est de trente ans (code des hydrocarbures de 1985).
Il faut dire que le code tunisien est parmi les moins attractifs et les moins avantageux du monde vis-à-vis des investisseurs étrangers. En effet, il impose aux sociétés pétrolières de s’associer avec l’ETAP à raison de 50%-50% chacun, si leurs recherches s’avèrent positives, alors que les risques sont uniquement à la charge des investisseurs étrangers au stade de la prospection. A remarquer que l’investisseur privé a un droit d’exploitation pour couvrir ses frais de prospection.
Miskar : erreur stratégique ou maîtrise de risque ?
L’exploitation du gisement de gaz de Miskar a soulevé une vaste polémique dans le milieu pétrolier et la commission de l’ARP à cause de la non-participation de l’Etat et de l’ETAP à l’investissement relatif à l’exploitation de ce gisement de gaz important avec British Gas.
L’exploitation du gisement de gaz Miskar avait été estimée à l’époque à un investissement colossal de 600 millions de dollars US, la part dévolue à l’Etat tunisien était de 300 MD. Il faut dire qu’à l’époque en 1988 le prix mondial du baril de pétrole était de 20 dollars. L’étude de rentabilité n’était pas concluante. Le gouvernement tunisien, à l’époque, après avis du ministre de l’Industrie et de l’énergie avait refusé d’investir les 300 MD et c’est Britsh Gas qui a consenti la totalité de l’investissement en prenant tous les risques.
Entre-temps les prix du pétrole et du gaz ont flambé et l’exploitation du gisement est devenue très rentable. Le manque à gagner de l’Etat tunisien était donc considérable.
Notre pays a-t-il commis une erreur stratégique en refusant d’investir avec son partenaire britannique ? Avait-il les moyens de le faire ? Ou bien a-t-il fait preuve d’un sens de maitrise des risques qui s’est révélé excessif, au regard de la situation actuelle ?
Revenus pétroliers : l’Etat garde la part du lion
L’Etat garde 20% de la production nationale de pétrole brut destinée au marché local et acquise à un prix préférentiel, 10% moins cher que le prix mondial, orientée vers la raffinerie de la STIR. Il bénéficie également d’une quote-part égale à 50% de la production nationale, celle de l’ETAP du fait de son association avec les sociétés qui exploitent les gisements sous forme contractuelle. Il y a aussi la fiscalité particulièrement lourde qui frappe le secteur des hydrocarbures, en plus des taxes évaluées entre 2% et 15% de la production selon le rendement de chaque gisement.
Il y a ensuite les impôts sur les bénéfices des sociétés entre 50 et 75% pour le pétrole, entre 50 et 65% pour le gaz naturel sans oublier plusieurs autres impôts et taxes tels que les frais d’enregistrement des contrats ainsi que les droits d’utilisation des terrains pour les travaux de forages des puits. L’ensemble de ces recettes découlant de l’exploitation des hydrocarbures au profit de l’Etat est évalué entre 75% et 80% des revenus pétroliers. Une manne du ciel inconnue des perturbateurs ou ignorée à dessein.
Pourquoi la baisse de la production ?
La baisse sensible de la production pétrolière depuis plusieurs années a pour origine un effet cumulatif de plusieurs facteurs.
D’abord, plusieurs gisements se sont épuisés : c’est naturel, car ils sont en phase de fin de vie et cela concerne malheureusement les gisements les plus importants, exploités depuis les années 60. Il y a lieu de signaler qu’un gisement n’est jamais exploitable à 100% de ses réserves : les normes internationales varient entre 20% et 45%.
Ensuite, il y a la baisse des investissements consacrés à la recherche et au forage des puits par les compagnies pétrolières. A ce propos les perturbations sociales, les grèves, les sit-in qui exigent des recrutements de personnel en surnombre, les revendications salariales ainsi que les menaces qui pèsent sur les forages et les gisements en cours d’exploitation, ont pesé lourdement sur la décision des compagnies de ralentir leurs activités.
Rappelons dans ce cadre que Pétrofac, qui exploitait dans les îles Kerkennah trois puits de production de gaz qui ont atteint 12% de la production nationale de gaz, a été contrainte de cesser provisoirement ses activités suite aux sit-in et pressions exercées sur son management pour exiger encore plus de subventions d’ordre social et culturel dont une partie va dans les poches des uns et des autres.
La problématique du gaz algérien
Notre pays importe 55% de ses besoins en gaz à partir de l’Algérie au prix du marché mondial. Le gazoduc italo-algérien qui traverse la Tunisie va de Kasserine à El Haouaria : les droits de passage représentent 6,5% du débit réel au profit de la Tunisie. Durant la période antérieure à 2011, l’Algérie avait demandé à participer au capital de la TRAPSA qui possède le gazoduc, à concurrence de 50%, ce qui paraît légitime, mais le pouvoir tunisien à l’époque avait refusé invoquant des motifs de souveraineté nationale.
L’Algérie a alors construit son propre gazoduc qui va jusqu’au littoral et véhicule l’essentiel de sa production de gaz exportable sur l’Europe. Le gazoduc qui traverse la Tunisie devient alors marginal. Cela prive notre pays d’une rente avantageuse si jamais ce gazoduc était exploité au mieux de ses capacités.
Où résident les suspicions ?
Compte tenu des enjeux énormes sur le plan financier : investissements, recettes,… et des volumes colossaux qu’il génère, le pétrole éveille des suspicions et des convoitises hors du commun. Par voie de conséquence, il soulève des tentations, certes condamnables, de fraude, sinon de favoritisme qui frisent les délits d’initiés dans le domaine de la Bourse. Encore faut-il avoir, des preuves difficiles à trouver, ou, du moins, des “faisceaux convergents de présomptions » de corruption.
Il faut dire que parfois, certains comportements suscitent des doutes ou encore des interrogations. Par exemple, on cite le cas d’un cadre supérieur de la direction générale de l’énergie qui aurait conclu le contrat avec British Gas, puis une fois sa mission officielle achevée, il aurait été recruté par la même compagnie avec un salaire conséquent. Probablement, une simple maladresse de part et d’autre, sans plus. Cela a fait quand même « jaser » les uns et les autres
Il faut dire que dans la sphère tunisienne du pétrole, il se chuchote des tas d’indiscrétions à propos de tel ou tel contrat, de tel ou tel responsable, de tel ou tel gisement.
Ce ne sont que des “ragots” sans certitudes, mais y-a-il une fumée sans feu ? !
Il y a lieu de remarquer que pour éviter tout amalgame et éloigner toutes sortes de doutes, les décisions dans le secteur sont prises par des commissions où siègent plusieurs ingénieurs et responsables de la DGE et de l’ETAP.
Il y a déjà plusieurs cas de corruption présumée qui ont été soumis à la justice.
En cherchant bien, il y en a encore bien d’autres : la justice doit s’en emparer sans pour autant jeter le discrédit sans preuves sur les grands commis de l’Etat qui ont beaucoup fait pour le pays.
Idées préconçues et fausses opinions
Le pétrole et le gaz au niveau de l’exploitation, du transport et de la vente à l’état brut ne sont pas des “marchandises courantes” que l’on peut voler, cacher, transporter ou exporter aussi facilement sans rencontrer obstacles ou contrôles ?
Les puits ne sont pas équipés de compteurs et donc ne se prêtent pas à un contrôle strict. Le pétrole jaillit des puits sous forme d’une huile chargée de sable, d’argile, d’impuretés et il n’y a aucun compteur au monde susceptible d’en prendre la mesure à l’exception des barils et encore.
Il faut savoir que la STEG, société nationale, est l’unique acheteur de gaz pour alimenter ses propres centrales de production d’électricité et pour distribuer le gaz aux industriels, hôtels et particuliers à travers un réseau national. Là il y a des compteurs et des factures à tous les niveaux. Pour le pétrole, il y a des pipe-lines qui transportent et des sociétés comme la Sotrapil ou encore la raffinerie STIR, toutes étatiques, équipées de compteurs.
Enfin il y a les exportations et les importations, là il y a des pompes et des compteurs à tous les niveaux avec des contrôles douaniers.
Le problème réel du secteur réside dans le fait qu’il n’y a pas de stratégie, de vision claire à long terme pour son développement.
Le code des hydrocarbures est dépassé depuis longtemps, il a été conçu lorsque le baril de pétrole se négociait à 20 dollars. Toute l’organisation du secteur doit être revue pour plus d’efficacité, de cohérence et de contrôle.