Les prix du pétrole sont au plus haut depuis 2014. Au-delà des tensions géopolitiques mondiales, le secteur paye le sous-investissement de ces dernières années.
Qu’il semble loin, le temps où le monde nageait dans le pétrole. C’était en 2020. Deux confinements successifs mettaient l’économie mondiale à l’arrêt, et faisaient plonger les prix du baril à des profondeurs insoupçonnables, jusqu’en territoire négatif. En 18 mois, la dynamique s’est complètement inversée. Ce mardi matin à l’ouverture des marchés, le Brent de la mer du Nord dépassait la barre des 87 dollars, son plus haut niveau depuis 2014.
Conséquence directe, les prix à la pompe continuent eux aussi de grimper, notamment en France. La semaine dernière, le gazole s’est vendu là 1,6214 euro le litre en moyenne, un niveau record. Et un souci de plus pour le gouvernement français. Alors que l’exécutif va décaisser 8 milliards – et a demandé à EDF de faire de même – pour contenir la hausse de la facture d’électricité des Français, voilà que déjà, un deuxième possible motif d’embrasement social pointe le bout de son nez. A moins de 100 jours du premier tour de la présidentielle. Le chèque inflation, mesure dont on pouvait déjà voir les limites à l’automne, risque fort d’être consommé en un rien de temps.
D’autant que les tensions sur les marchés pétroliers risquent de se maintenir en 2022. Dans le sillage du redémarrage de l’économie mondiale, la demande repart en flèche. Les économies ne souffrent finalement guère du variant Omicron. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la consommation de barils devrait retrouver dès la fin de l’année son niveau d’avant-crise, autour de 99,5 millions de barils par jour. En face, les perspectives de production se trouvent assombries par un contexte géopolitique mondial très tendu. Ces derniers jours, des perturbations se sont succédé en Libye, au Nigeria, en Angola, en Equateur. En Europe, la production du Kazakhstan est revenue à la normale après quelques arrêts, ce qui a contribué à faire augmenter les prix. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine inquiète également les investisseurs.
*Opep et sous-investissement
Autant de facteurs conjoncturels, qui se conjuguent avec des inquiétudes structurelles. Certes, le sous-investissement chronique que connaît l’industrie pétrolière devrait sans doute s’arrêter cette année. Les investissements dans l’exploration et la production (l’upstream) devraient augmenter cette année, selon Rystad Energy. D’autant plus dans le contexte de l’augmentation des prix, certains développements et forages se trouvant rentabilisés par la hausse des prix. Reste que le marché mondial risque de payer en 2022 les baisses des années précédentes. C’est en tout cas le scenario privilégié par la banque JPMorgan, qui estime que le brut pourrait atteindre les 125 dollars cette année. Les analystes de Goldman Sachs sont plus optimistes et jugent que le Brent pourrait atteindre les 96 dollars cette année.
Tous regardent de près le comportement des pays de l’OPEP. Début décembre, l’organisation qui représente les principaux pays exportateurs de pétrole s’est engagée à fournir 400.000 barils par jour de plus sur les marchés. Mais dans les faits, cette augmentation de la production s’avère plus difficile que prévu. « Tout porte à croire que ce n’est pas si simple et que l’organisation manquera largement ses objectifs, après une période de sous-investissement et de pannes », souligne Craig Erlam de Oanda. En décembre, l’OPEP n’a délivré que 90.000 barils/jours de plus aux marchés. Et les difficultés devraient se prolonger. La Russie par exemple, qui devait livrer 100.000 barils par jour de plus au marché chaque mois, risque de n’atteindre que la moitié de cet objectif au moins pendant le premier semestre, explique Bloomberg.
Du côté des Etats-Unis, la production repart massivement et notamment dans le bassin permien (l’ouest du Texas), où elle retrouve son niveau avant-crise avec 5 millions de barils par jour. Mais cette hausse de la production, déjà peu enviable dans le contexte de l’urgence climatique, n’est probablement pas durable. Comme le souligne Maxence Cordiez, expert du secteur, le regain d’activité est surtout dû à la mise en production par les pétroliers du coin de puits déjà forés mais jusqu’ici pas utilisés.
Une manoeuvre purement financière pour les producteurs de cette industrie, qui doivent désormais rendre des comptes devant leurs investisseurs après des années de déficit. Problème, les investissements dans les nouveaux forages n’ont eux pas retrouvé leurs niveaux d’avant crise. Ce qui fait craindre à l’Agence américaine de l’énergie un possible plafonnement de la production américaine dans les prochains mois. Et donc, un contexte qui ne risque pas de se détendre sur les marchés mondiaux du pétrole.
(L’Express)