Peut-on, enfin, pousser un ouf de soulagement, sans se méprendre, et ne pas étouffer l’envie de croire que l’heure du déblocage des grands projets, en stand by depuis plusieurs années, a sonné ? L’annonce officielle du redémarrage des travaux de réalisation du projet Tunis Sport City et partant, de la redynamisation de la coopération bilatérale et du partenariat entre la Tunisie et les Emirats Arabes Unis, sonne-t-elle la fin de la période de diète économique et financière de la Tunisie et son retour dans le radar économique arabe ?
Voilà des années que la Tunisie était prête à engranger une révolution économique et de modernisation urbaine dans le cadre d’accords de coopération bilatérale et multilatérale, mais que ses ambitions d’essor et de prospérité nationales, régionales et internationales, ont été sabordées. Le projet démocratique que ses porte-voix et porte-drapeaux progressistes ont tenté d’implanter au lendemain du 14 janvier 2011 a failli à tous les niveaux, dont celui politique.
L’impréparation de la nouvelle élite politique à l’exercice du pouvoir et l’ingérence étrangère tous azimuts dans la mise en place d’un projet, clé en mains, de transition démocratique, ainsi que l’absence d’une vision nationale propre pour le futur économique du pays ont eu raison aussi bien des acquis économiques du passé, incontestables en dépit des disparités sociales, que des ambitions socio-politico-économiques de l’après-révolution.
C’est ainsi que durant une longue décennie entièrement consacrée aux crises politiques et aux querelles partisanes, qui ont favorisé l’amplification de la corruption et l’émergence de lobbys puissants et influents, tous les projets économiques, industriels, touristiques ou de services, programmés, étudiés ou mis sur leur rampe de lancement avant l’éclatement des événements de décembre 2010-janvier 2011, ont été voués aux oubliettes, de crainte de faire l’apologie d’une époque bannie, celle de Ben Ali. La gestion déplorable du pays qui s’en suivra, ou plutôt la non-gouvernance du pays, et le trop-plein de grèves et de revendications sociales, ont fini, au bout de quelques années, par anéantir le tissu économique existant, pourtant solidement construit pendant des décennies depuis l’indépendance de la Tunisie, et par bloquer toute tentative de sortie de crise, notamment par le biais de la revivification des anciens projets économiques qui moisissent dans les tiroirs. Ce, en dépit des fonds colossaux étrangers obtenus par la Tunisie de la part des bailleurs de fonds internationaux et des pays occidentaux qui ont fortement soutenu le virage démocratique de la Tunisie, malgré toutes ses dérives sécuritaires.
Les conséquences ont, bien sûr, été désastreuses pour la balbutiante démocratie tunisienne, pour la santé économique de la Tunisie, qui en 2010 faisait partie des pays émergents, et pour la situation sociale des Tunisiens et l’avenir de leurs enfants. Aujourd’hui, ils sont des centaines de milliers de jeunes compétences, diplômés universitaires ou dans la formation professionnelle, dans tous les domaines, qui ont quitté la Tunisie pour d’autres pays à la recherche d’emplois, d’opportunités de développement et de cadre de vie favorable au bien-être personnel et à l’émancipation culturelle et intellectuelle.
L’annonce de la relance du projet « Sama Dubaï », bloqué depuis plusieurs années, est certes une bonne nouvelle, longtemps attendue, mais elle n’empêche pas de susciter des réserves, de deux ordres au moins. Le premier est strictement lié aux atouts de la Tunisie, sont-ils restés aussi attractifs ? Au chapitre atouts, il s’agit, d’un, de tenir compte de la disponibilité (ou du manque de disponibilité) des compétences nationales toutes catégories et dont on a soulevé précédemment la question de l’émigration massive vers l’Europe et les pays du Golfe notamment, et de deux, de s’assurer du bon état des infrastructures locales, de tout genre, dont aurait besoin la réalisation et la mise en fonctionnement de ce projet, après des années d’abandon ou de manque d’entretien par manque de financements.
L’autre niveau de réserve est d’ordre géopolitique, il s’impose de lui-même du fait de la situation critique que connaît le Proche et le Moyen-Orient suite à la guerre contre Gaza et des tensions qu’elle engendre, lesquelles impactent, directement ou indirectement, les relations entre les pays arabes partagés entre pro et anti- normalisation. Le dilemme qu’il s’agit de résoudre ici, consiste à prioriser les intérêts économiques de la Tunisie, pour lui permettre enfin de trouver des voies de sortie de la crise lancinante, tout en préservant sa souveraineté et l’indépendance de sa position vis-à-vis de la cause palestinienne qui la place dans le camp des anti-normalisation. Les EAU sont-ils, eux, disposés à faire la part des choses et à composer avec Kaïs Saïed qui considère que la normalisation relève de la « haute trahison » ? On ose l’espérer, fortement, puisque les discussions ont repris entre les deux pays, notamment sur le lancement du projet « Tunis Sports City », lors d’une rencontre, organisée le 19 janvier courant, qui a réuni la ministre de l’équipement, Sarra Zaâfrani Zanzri, avec l’ambassadrice des Emirats Arabes Unis, Imen Ahmed Salami, en présence de plusieurs responsables de divers secteurs. La diplomate émiratie a exprimé la volonté de son pays de soutenir les opportunités de renforcement de la coopération et du partenariat avec la Tunisie. Nous lui transmettons, pour notre part, nos vœux les plus sincères de voir la Tunisie reprendre sa place de modèle régional économique et social et de pays qui a su allier tradition, authenticité et identité avec modernité, ouverture et émancipation. Certes, le monde est en train de changer, il est en pleine métamorphose, les rapports de force et les alliances transnationales bougent, ce pourquoi la souveraineté nationale est plus que jamais un sujet brûlant, de grande actualité, et pas seulement pour la Tunisie.
L’heure est à la refondation des blocs hégémoniques dans le monde et est, de ce fait, plus que jamais favorable à un plus grand rapprochement entre les pays arabes, afin de renforcer l’immunité arabe face aux nouvelles menaces qui guettent le monde (guerres, intelligence artificielle, climat…). A condition de savoir gérer les divergences de vues et de capitaliser les points de convergence, dans l’intérêt de toute la région arabe, comme savent si bien le faire les occidentaux qui restent unis même dans les pires situations, notamment conflictuelles.