D'abord, l’ampleur des chiffres annoncés a largement dépassé les attentes : l’héritage concédé par la Troïka à Mehdi Jomâa s’avère encore plus catastrophique que prévu. Notre pays doit faire face à une crise sans précédent des finances publiques.
Déficit structurel du Budget
D’abord, il y a un reliquat de dépenses relatif au Budget 2013 qui n’a pas été pris en compte en temps utile, mais qui a été réglé durant le premier trimestre 2014 soit 2,5 milliards de dinars. Le gouvernement a dû faire face également à d’autres dépenses urgentes et impératives d’un montant de 2,1 milliards de dinars, non prévues au Budget 2014, qui découlent en partie d’une surévaluation des recettes relatives aux biens confisqués soit 300 MD contre 1 milliard initialement prévu. Il y a également 1,1 milliard de subventions qui ont été versées à certaines entreprises publiques déficitaires comme la CNRPS et TUNISAIR.
Il y a là, le moins que l’on puisse dire, un manque de rigueur dans la gestion des deniers publics de la part des responsables des finances publiques, sinon des négligences et des fautes graves à mettre au passif de la Troïka.
En outre, l’État accuse un déficit de 3,3 milliards de dinars pour le deuxième trimestre 2014, dont les dépenses constituées essentiellement par les salaires de fonctionnaires seront couvertes par les ressources suivantes : 1,3 milliard de dinars par des emprunts extérieurs, 1,1 milliard de dinars par des emprunts intérieurs et 270 millions de dinars provenant de la vente d’une partie du capital de Tunisie-Télécom, mais malgré cela, un déficit de 600 millions dinars persiste. En fait l’État continue à emprunter pour consommer et payer des salaires, non pour investir.
Il y a lieu de remarquer que l’État doit faire face au mois de juillet prochain à une grosse échéance de remboursement de la dette extérieure soit 900 millions de dinars.
Dérapage du commerce extérieur
Des dysfonctionnements graves de conséquences dans la gestion des affaires publiques continuent à se dérouler, sans que des mesures efficaces ne soient prises rapidement. On se bornera à en citer quelques unes qui sautent aux yeux. Alors que le déficit du commerce extérieur atteint au cours du premier trimestre 2014 un niveau record, on continue dans notre pays à faire des importations portant sur des produits de luxe, de fantaisie, souvent inutiles et parfois concurrentiels avec nos propres produits de consommation.
C’est ainsi que nous importons de la viande de mouton et de l’huile d’olive d’Espagne. Celle-ci certes, est meilleur marché, mais rien ne prouve qu’elle soit de bonne qualité, les spécialistes pensent qu’il s’agit de deuxième pression à chaud. Nous importons également du poisson, des fromages, du prêt à porter de luxe etc, alors que nous sommes connus comme étant producteurs et exportateurs de ces produits reconnus de bonne qualité et pourtant notre pays traverse une période particulièrement difficile durant laquelle nous devons réserver nos devises aux produits alimentaires de base, énergétiques et aux biens d’équipement nécessaires aux projets et aux investissements.
Il y a pire encore : durant cette période de haute lactation, environ 200.000 litres de lait sont quotidiennement refusés par les centrales laitières et déruits en pure perte, un dommage certain pour les éleveurs et l’économie du pays. Les deux causes principales sont, d’une part une surproduction par rapport à la capacité d’absorption des centrales laitières et d’autre part une qualité bactériologique médiocre du lait, qui a souffert de mauvaises conditions de conservation et de transport auquel on a ajouté de l’eau.
Certes notre pays a atteint depuis longtemps son autosuffisance en lait et dérivés, mais les potentialités d’exportation existent, pourquoi ne pas les exploiter ? A ce propos, il nous manque deux centrales laitières : une au centre ouest côté Kasserine et une autre à Gafsa, compte tenu de la centrale Délice de Sidi Bouzid en construction avancée ainsi que de la centrale de lyophilisation du lait de Mornaghia.
Adopter un plan d’action
Le gouvernement doit sortir de l’ambiguïté actuelle qui consiste à préparer l’opinion publique à subir des sacrifices sans indiquer lesquels avec précision, ni quand elles entreront en vigueur.
Il annonce les difficultés financières du budget sans indiquer les solutions adéquates pour sortir de cette impasse. Un plan d’action d’urgence doit être mis en place avec plusieurs volets.
Mobiliser des ressources d’emprunt à long terme
Les crédits court terme ne conviennent pas du tout à la conjoncture que traverse notre pays, car ils aggravent l’endettement extérieur sans résoudre nos difficultés actuelles et à venir. C’est pourquoi, emprunts extérieurs et intérieurs doivent être orientés sur le long terme, afin de nous donner le temps d’investir, de financer des projets de développement rentables et productifs et afin de pouvoir rembourser.
Il est incompréhensible de constater que l’emprunt national prévu initialement pour un montant de 1 milliard de dinars ne portera finalement que sur 500 millions de dinars alors que le pays regorge de liquidités. Il suffit de constater que chaque fois il y a une nouvelle introduction en Bourse, l’offre de souscription dépasse plusieurs fois la demande présentée par l’entreprise. Cela prouve qu’il y a une pléthore d’épargne disponible chez les privés pour l’investissement sinon le placement surtout que l’État demeure malgré les difficultés actuelles un partenaire crédible et solvable. A mon sens l’emprunt national pourrait atteindre jusqu’à 2 milliards de dinars.
Assainir les entreprises publiques
Les entreprises publiques sont un gouffre financier qui plombe aussi bien les bilans des banques publiques que le budget de l’État. En effet, le déficit structurel des entreprises publiques s’élève à plus de 3 milliards de dinars. Les 30 plus importantes sociétés nationales concentrent 90% de ce déficit, ce qui implique des mesures énergiques pour assainir la situation financière. D’abord, alléger la charge salariale de ces entreprises qui souffrent de sureffectifs par des licenciements négociés avec dédommagements appropriés. Ensuite, rééchelonnement de l’endettement bancaire pour équilibrer la structure financière. Dans certains cas cela nécessite une recapitalisation des entreprises en l’objet avec rénovation de l’appareil de production afin de leur permettre une relance durable.
Mettre en pratique la réforme fiscale
Il y a unanimité pour confirmer que notre pays souffre d’une fraude et d’une évasion fiscales ahurissantes.
De larges franges de notre population : professions libérales et commerciales évaluées à 200.000 (sur 390.000 forfaitaires) bénéficient d’un statut fiscal privilégié qui consiste à payer un forfait dérisoire, une fois par an alors que leurs revenus sont élevés. La preuve, c’est qu’ils font preuve d’un train de vie luxueux, alors qu’ils ne contribuent que pour 0,01% des recettes fiscales consenties par les assujettis au régime réel. Les experts estiment entre 3 et 4 milliards les recettes fiscales susceptibles d’être payées par les forfaitaires, si jamais ils étaient soumis au régime réel, ce qui n’est que justice. La commission nationale de la fiscalité a travaillé pendant des mois pour élaborer un projet de réforme fiscale qui est resté pour l’instant lettre morte.
Il est grand temps de le mettre en application afin que les salariés les plus modestes ne soient pas les seuls à financer le budget de l’État sans oublier les sociétés transparentes qui honorent leur devoir fiscal.
Restructurer les banques publiques
La recapitalisation et l’assainissement des trois banques publiques doivent se faire rapidement afin de leur permettre de financer de façon vigoureuse l’économie du pays et de soutenir les entreprises économiques.
Cette recapitalisation coûtera à l’État 1 milliard de dinars, mais elle pourrait permettre aux investisseurs privés d’apporter leur contribution au capital des trois banques publiques. L’État doit continuer à être majoritaire au capital de ces banques, tout en apportant une dose de bonne gouvernance, de transparence dans la gestion et de dynamisme. Cela ne fera que renforcer les moyens financiers et leur contribution au développement du pays.
Repenser et rationaliser la compensation
Le poids de la Caisse de compensation pèse trop lourd dans le budget de l’État : plus de 5 milliards de dinars pour le budget 2013 et probablement près de 7 milliards pour 2014, soit plus que le budget réservé au développement, ce qui est insupportable. Or il se trouve que contrebandiers, touristes et classes aisées bénéficient plus que les classes défavorisées de cette compensation qui est consacrée plus aux carburants que pour les produits de base alimentaires.
Le gouvernement doit trouver un mécanisme efficace pour permettre à ceux qui en ont vraiment besoin, classes laborieuse et moyenne de continuer à en bénéficier alors que les autres doivent payer le prix du marché mondial. Ainsi l’État pourrait économiser 3 à 4 milliards de dinars par an, ce qui serait salutaire pour le budget de l’État.
Mettre l’austérité à l’ordre du jour
Le gouvernement doit donner l’exemple des sacrifices à faire : il doit pratiquer l’austérité, sinon une rationalisation de ses dépenses de façon sévère et constante. Or, ce que tous les observateurs constatent c’est que l’État mène un grand train de vie, qui dépasse largement ses moyens et surtout qui ne coïncide pas avec la situation d’un pays en crise socio-économique aiguë.
Réduire la contrebande
Il y a un paradoxe fondamental dans notre pays : alors que l’État manque de liquidités et doit “procéder à des opérations exceptionnelles” pour assurer les salaires de la fonction publique durant le deuxième trimestre 2014, l’argent liquide coule à flots dans le pays grâce ou à cause de la contrebande et au commerce parallèle, échappant ainsi au fisc et aux banques.
L’État souverain n’arrive pas à maîtriser les circuits de commercialisation de plusieurs produits vitaux pour la bonne marche du pays et les besoins de la population, ni la légalité de toutes les opérations d’exportation et d’importation.
Ridha Lahmar