En dépit de tous les euphémismes qu’on est tenté d’utiliser, il semble que la crise profonde qui secoue, depuis maintenant plus de huit mois, « Nidaa Tounes », risque cette fois-ci de produire l’irréparable. Avec la grave évolution de la situation, l’exacerbation des dissensions et l’impossible convergence des intérêts dans ce jeu implacable de positionnement entre les différentes ailes en conflit, l’hypothèse tant redoutée d’implosion devient, inéluctable, sinon un aboutissement normal d’une guerre fratricide que même l’initiative de son fondateur, n’a pas réussi à circonscrire, ni à en éteindre les flammes.
Toutes les opérations de sauvetage engagées pour calmer les esprits et colmater les brèches béantes apparues, se sont heurtées à une voie sans issue, à une fin de non-recevoir par ceux-là mêmes qui prétendent œuvrer pour sauver l’unité des rangs du parti et son projet.
Aujourd’hui, si la sagesse commande de placer l’intérêt du parti au-dessus de toute considération et jeu étriqués, l’on reste perplexe sur la propension des ailes de Nidaa, en conflit ouvert, à faire preuve de suffisamment de recul pour daigner accepter les lois de la sagesse.
En attendant, des questionnements lancinants laissent dubitatifs sur cette crise atypique. S’agit-il d’une crise de légitimité, de jeunesse, de leadership ou de structures ? C’est tout à la fois, l’on est tenté de dire. C’est-ce qui explique sa complexité, l’enchevêtrement de ses causes et la difficulté de parvenir à une solution capable de remettre de l’ordre dans cette jeune formation qui, depuis sa victoire éclatante dans les dernières élections législatives et présidentielle, semble frappée par une certaine damnation.
Le malaise profond qui prévaut, le climat délétère qui règne et, surtout, l’étalage, sans vergogne, du linge sale du parti par ses cadres les plus illustres et les plus influents ont surpris et, en même temps, déçu. La guerre des déclarations a dépassé les limites du politiquement correct, les règles éthiques. Les échanges d’accusations, d’invectives et l’utilisation d’un langage complètement décalé, ont montré l’étendue de la crise, la profondeur des clivages qui mettent aux prises le Secrétaire général du parti, Mohsen Marzouk et le vice-président, Hafedh Caid Essebsi. Un clivage qui s’est vite mué en guerre de déclarations par médias interposés, où les mots putschistes (qui désigne l’aile destourienne) et les sécessionnistes (l’aile représentée par Mohsen Marzouk) ont été lâchés sans retenue.
Crise de leadership, également, qui s’est exacerbée par le départ à Carthage de Béji Caid Essebsi, l’incapacité des cadres actuels du parti à combler ce vide et à jouer le rôle de rassembleurs et d’unificateurs de personnes et courants qui ont fait la particularité de Nidaa, sa force et la qualité de son projet.
Crise de structures aussi, puisque la discipline au sein du parti a volé en éclats. L’autorité du Bureau politique de Nidaa est défiée, voire non reconnue par certains qui considèrent ses décisions comme nulles et non avenues dans la mesure où cette instance, taxée de tous les maux, est jugée comme dissoute de facto.
Crise de communication, enfin, à l’intérieur du parti, doublée d’un déficit de confiance entre ses cadres et ses ailes qui cachent de grandes rivalités, une volonté de se positionner et d’influencer le jeu politique dans le pays.
La réunion d’urgence du Bureau exécutif, vendredi 16 octobre dernier, la mobilisation des militants et des cadres, l’adoption d’un ton conciliant et moins belliqueux, peuvent-ils mettre un terme à cette guerre de positions qui a été enclenchée en prévision du congrès de décembre prochain ?
Il est encore trop tôt de tirer des conclusions et de prétendre que toutes les initiatives diligentées dans l’urgence par les sages du parti et ses figures les plus représentatives, aient provoqué un électrochoc salvateur ?
En effet, la persistance des rivalités et des clivages a poussé de nombreux sceptiques à préjuger de la fin de Nidaa, accentuant le malaise de sa base, laissée pour compte, et manifestant son inquiétude. Pour nombre d’observateurs, l’avenir du parti est en jeu dans la mesure où tout risque d’implosion comporte des dangers réels qui déclencheraient inévitablement des changements de fond dans le paysage politique tunisien, en ouvrant la porte à son concurrent direct, Ennahdha, pour dominer pour longtemps la vie politique.
Véritable mosaïque, de par les courants qui le forment, se réclamant démocratique et réformiste et tirant une fière légitimité de son legs destourien, Nidaa Tounes semble avoir perdu ses repères et la dynamique qui l’ont vite propulsé aux commandes du pouvoir. C’est en revenant à l’esprit et aux sources qui ont fait sa particularité et sa richesse, qu’il sera possible de sauver Nidaa Tounes de lui-même et des ambitions et des calculs démesurés de certains de ses cadres.
Pour cela, il faudra attendre, observer et apprécier la portée et la solidité des compromis qui seront trouvés et, surtout, des engagements pris, par les uns et les autres, pour arriver au prochain congrès dans un meilleur état d’esprit et avant que la division ne soit définitivement consommée.