Phénomène terroriste en Tunisie: Inquiétants questionnements

Aujourd’hui, la Tunisie vit un moment crucial de son histoire moderne. Tout en réussissant son processus  de transition, elle reste sous la menace terroriste avec, en sus, un Etat fragile et des difficultés économiques et sociales de plus en plus insoutenables. Quels sont les enjeux sécuritaires qui  se présentent  et les stratégies à adopter ? Ces différents axes  ont été discutés lors du Forum organisé par « Réalités » les 23 et 24 avril derniers.

Sans le vouloir et sans y être spécialement préparée pour  l’endiguer, la Tunisie s’est trouvée dans l’obligation de déclarer la guerre contre le terrorisme dont les tentacules n’ont pas fini de s’étendre et le péril de se propager. Cette guerre a coûté  jusqu’ici, la vie à 75 martyrs parmi les agents de sécurité et les forces armées, outre les deux assassinats politiques. L’attentat du Bardo, a fait 23 victimes, et la guerre semble encore longue et le tribut à payer plus lourd.

Quel que soit le degré de gravité de la situation, le remède ne pourrait être administré qu’après un diagnostic complet. La Tunisie, tout en étant une cible, constitue une route de transit vers l’Algérie grâce à des frontières communes caractérisées par une chaîne montagneuse propice aux mouvements illicites des groupes armés. A travers la Tunisie et l’Algérie, c’est la sécurité de toute la région qui est menacée.

Pour les groupes terroristes, la région du Maghreb est la pièce manquante pour la concrétisation de leur projet d’édification d’un Etat islamique. Au Sud Est, la portière a déjà été ouverte en Libye où certains territoires sont déjà tombés sous le contrôle de ces groupes.

La réussite du processus de transition en Tunisie  a été un catalyseur à l’action de ces groupes dont l’idéologie et le mode opératoire sont incompatibles avec les valeurs démocratiques et le fonctionnement normal des institutions de l’Etat. A cet effet, pour comprendre le fonctionnement des groupes terroristes, qui est un préalable pour l’élaboration d’une stratégie de lutte efficace, il faut éviter de raisonner sous l’angle sécuritaire uniquement.

Quelle stratégie de lutte ?

« Il faudra adopter une approche globale, qui va au-delà de la sécurité, prenant en compte tous les aspects. Il existe actuellement une multitude d’idées de propositions, de stratégies et de solutions, mais point d’approche globale »  souligne l’ancien ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur chargé de la sécurité nationale, Ridha Sfar.

Pour lui, il existe trois aspects à prendre en considération dans l’approche globale. Et de s’interroger, « faut-il combattre le phénomène pour réussir la transition ou la réussir pour en venir à bout? »

Le premier aspect est la menace terroriste, qu’il faut identifier, connaître l’entité, le projet. Il s’agit d’une confrontation de deux projets. D’un côté l’Etat avec sa conception moderne et de l’autre, une  entité proposant ou imposant un Etat islamiste niant l’existence même de l’Etat. Sa cible, ce sont les pays en transition qui, avec la faiblesse de l’autorité de l’Etat, sont devenus le maillon faible. Cette entité mute et évolue. Elle passe de l’état d’organisation à l’instar d’Al Qaïda, au statut d’Etat qui ne connait pas de frontières.Le deuxième aspect est la stratégie et le troisième concerne  le plan d’action.

L’ancien ministre de la Justice, Hafedh Ben Salah ajoute l’aspect juridique ainsi que la détermination de l’acte terroriste. Pour Alaya Allani, historien et chercheur, il y aurait deux catégories de terrorisme. Le premier à pour cible les postes de police et les agents de sécurité, symboles de l’Etat et de son autorité, le deuxième,  ordinaire, est celui qui s’attaque à la population.

La question qui se pose, dans le cadre de la stratégie de prévention et de lutte contre le terrorisme, se rapporte à la manière avec laquelle on pourrait intégrer l’Islam politique dans le jeu politique. Cela requiert de renoncer à l’instrumentalisation de la religion, insiste Alaya Allani et d’organiser un congrès national qui définira une stratégie consensuelle et globale de lutte contre le terrorisme.

Le phénomène terroriste a observé depuis 2011 trois phases successives. La première avait concerné  l’attaque de l’ambassade américaine, la deuxième a été la phase post attaque et la dernière fut l’attentat  du 18 mars dernier au musée du Bardo, souligne Alaya Allani. En matière de stratégie, les attaques sont passées des zones  frontalières aux zones urbaines. Dans leur formation, les cellules sont passées par plusieurs stades, de la constitution des cellules dormantes (recrutement, armement et logistique) pour passer aux phases d’expansion et d’action.

Le rôle pervers des associations

Pour Ridha Sfar, la grande question qui se pose a trait à « la jeunesse qui a  été poussée à suivre  cette voie ? ». Alaya Allani met l’accent sur le rôle pervers joué par les associations qui ont investi les mosquées pour prêcher le dogmatisme et recruter des djihadistes. Entre 2011 et 2014, 8060 associations ont été créées  sans aucun contrôle sur leurs sources de financement.

Hafedh Ben Salah estime que des autorisations ont été accordées à la va-vite à certaines associations sans critères objectifs. Résultat : on a assisté à l’éclosion sauvage des associations qui sont apparues très vite et partout.

« La Libye est la source de tous les maux » estime Alaya Allani, qui  explique que « ce pays concentre tous les ingrédients : armes, argent et absence de l’Etat. Elle est la route menant à l’Irak et à la Syrie, aux confins de l’Afrique subsaharienne et ouvre la porte d’accès pour le Maghreb, objectif ultime des terroristes ». La menace terroriste reste récurrente et omniprésente. L’objectif de ces groupes est de créer le chaos, en attaquant frontalement les institutions de l’Etat et ses symboles, en semant la peur et en hypothéquant le développement du pays en prenant pour cible les secteurs les plus sensibles comme le tourisme. Malgré leur capacité de nuisance, ces semeurs de la mort ne pourront pas, si on prend le cas de la Tunisie, concrétiser leurs basses besognes. Outre leur rejet par les Tunisiens qui s’attachent à leur modèle de société, ils trouvent devant eux un Etat qui, même s’il s’est affaibli à un certain moment, montre actuellement une forte détermination pour combattre ce phénomène par tous les moyens.

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