Entretien conduit par Ridha Lahmar
Interview exclusive de M. Philippe de Fontaine Vive, vice-président exécutif de la BEI
Vous connaissez bien les réalités de la situation économique, quelles sont les priorités du futur gouvernement tunisien ?
Les autorités tunisiennes sont suffisamment compétentes et responsables pour établir des priorités parmi les actions à entreprendre. C’est pourquoi il ne m’appartient pas de faire des prescriptions, mais je pourrais donner des conseils. Il y a deux priorités claires. Tout d’abord instaurer la sécurité et la stabilité politique. Ensuite, faire preuve de créativité.
La sécurité est indispensable pour les investisseurs tunisiens et étrangers.
La Tunisie a acquis en 2014 une réputation de réussite de sa transition démocratique et politique avec le bon déroulement des élections législatives et de l’élection présidentielle, un processus unique dans un monde de violence et d’instabilité.
La Tunisie est une oasis d’optimisme qui ouvre la voie à une reprise plus rapide de la croissance économique. Le moment est venu pour assurer la sécurité financière et monétaire.
Nous avons confiance dans la gestion conduite par la BCT, alors que d’autres pays qui ont connu des changements similaires ont vu leur monnaie perdre 50% de sa valeur.
Il s’agit maintenant d’assurer la transition économique.
Pour la créativité, il suffit de constater que le président du gouvernement tunisien sortant envisage déjà un nouveau schéma de développement pour le pays et souhaiterait concentrer l’efficacité des efforts de l’État sur les services publics et sociaux.
La Tunisie est riche de son potentiel humain qui émane aussi bien du savoir-faire acquis dans les entreprises familiales que dans l’exercice des responsabilités administratives, ce qui génère une véritable capacité managériale.
Comment faire pour passer à un taux de croissance de 7 à 8% par an susceptible d’absorber une partie du chômage actuel ?
Il faut avant tout de la créativité pour sortir des sentiers battus et du conservatisme.
Faire une part plus grande aux nouvelles technologies et aux jeunes compétences. Et il faut une économie ouverte à la concurrence.
Il ne suffit plus d’être seulement d’habiles commerçants, mais il faudrait devenir aussi des entrepreneurs technologiques…
Vous devez miser sur les exportations et la grande Europe devrait être votre marché naturel.
La promotion du partenariat public-privé est de nature à favoriser les investissements et à accélérer le taux de croissance du PIB.
L’endettement extérieur est en train de dépasser le seuil inquiétant de 50% du PIB : avez-vous des appréhensions quant aux possibilités de remboursement ?
La Tunisie inspire confiance aux bailleurs de fonds internationaux et l’endettement extérieur de la Tunisie est inférieur à celui de nombreux pays européens. S’endetter est une démarche de bonne gestion dans la mesure où on investit dans des projets de développement. Or en Tunisie il y a de nombreux gisements de croissance, ce qui confère à votre pays une capacité de remboursement.
C’est le rythme de croissance du PIB qui accroit la capacité de remboursement du pays.
La Tunisie va entamer une phase de rattrapage où elle doit investir plus de 20% du PIB chaque année pour booster le taux de croissance.
À votre avis quels sont les secteurs à valeur ajoutée dans lesquels les avantages comparatifs de notre pays sont les plus élevés ?
Le banquier ne décide pas des secteurs où les entrepreneurs doivent investir, car le banquier est plus prudent que l’entrepreneur. La BEI a accordé hier des financements à trois lauréats promoteurs de projets originaux.
Production d’huile d’olive de haute qualité, exportée à 100%, le promoteur étant ingénieur agronome spécialisé dans le lait. Le produit est entièrement réalisé en Tunisie, y compris le conditionnement, avec une haute valeur ajoutée.
Le deuxième projet porte sur la production du vin de qualité emballé de façon artisanale et employant quarante artisans.
La commercialisation se faisant à l’exportation par Internet, un produit personnalisé pouvant servir de cadeau d’entreprise.
Le troisième projet consiste à créer la première cristallerie en verre soufflé, implantée à Carthage.
Il faut de l’imagination pour créer des projets et les secteurs ne manquent pas : industries pharmaceutiques, projets touristiques, santé, éducation, aéronautique. En outre il y a une multitude de secteurs qui peuvent éclore en Tunisie.
Que pensez-vous de la création d’une banque euro-méditerranéenne pour financer de grands projets de développement à caractère régional ?
La décision incombe aux hommes politiques. M. Moratinos, qui soutient cette idée, est venu la défendre à Bruxelles devant les ministres des Finances européens et méditerranéens, mais il n’a pu les convaincre.
À mon avis, les pays du sud doivent prendre l’initiative de cette création avec la participation de l’Algérie et du Maroc et laisser la porte ouverte aux participations des autres pays.
Les pays européens suivront probablement.
Vous participez en ce moment à la 29e session des journées de l’entreprise de l’IACE, dans quel but ?
L’IACE est un lieu précieux de liberté et de création. Bourguiba a beaucoup misé sur l’éducation et les femmes.
Du temps de Ben Ali, l’IACE a été toléré, ce qui lui a permis de continuer à jouer un rôle fort utile de réflexions et d’échanges. Avec la liberté, le challenge consiste à maintenir cet esprit de responsabilité et d’imagination chez les chefs d’entreprise qui assument un rôle important dans la société.
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