Les recommandations du ministère de la Santé publique tombent régulièrement, comme chaque année quelques jours avant l’Aïd : une mise en garde « contre les risques qui peuvent provenir de l’utilisation de certains jouets. » C’est à se demander s’il y a un contrôle aux frontières et quel est le rôle des Douanes ! Comment de telles marchandises parviennent à franchir les barrières douanières et les divers contrôles que nécessite l’introduction de tout objet sur le territoire tunisien ? Mystère…
Un petit tour du côté de Sidi Bou Mendil vous permettra de trouver toutes sortes d’objets bizarres, dangereux, inutiles. Il y a les jouets pour les enfants, plus ou moins gros, plus ou moins chers, selon l’âge. On trouve notamment les pistolets munis de balles en plastique ou de fléchettes, les pointeurs laser, les pétards… Autant de gadgets d’origine chinoise, écoulés chaque année sur le marché parallèle à l’approche de l’Aïd et qui provoquent des drames. Le pire c’est que tous ces objets en plastique sont importés avec des devises, alors que l’on nous dit que le pays en manque cruellement !
Car ces jouets peuvent entraîner de graves blessures et le ministère n’a pas manqué d’appeler les parents à boycotter ces marchandises dangereuses. Ce sont les jouets des garçons qui provoquent le plus de dégâts, notamment ces pistolets qui laissent échapper des billes en plastique, qui engendrent des blessures et des douleurs désagréables sur la personne ciblée. Ces gadgets made in China proposés à des prix dérisoires, entre trois et cinq dinars, sont de plus en plus incriminés…
Malgré l’interdiction par la loi de leur importation, il n’en demeure pas moins que ces jouets dangereux, conçus sans aucun respect des normes, envahissent le marché. L’absence des services de contrôle sur l’importation de ces jouets fabriqués à base de matériaux toxiques est sans aucun doute l’une des principales causes qui engendre ce genre de maux.
Censé être un jour de fête, l’Aïd se transforme dans certains foyers en un jour de désastre. Plusieurs enfants passent leur journée dans les services d’urgence des hôpitaux à cause de certains jouets mal conçus. En effet, plusieurs enfants se retrouvent avec des billes dans les oreilles, alors que d’autres ont été atteints à l’œil. Les plus jeunes d’entre eux avalent ces billes ou se les coincent dans la gorge, engendrant des troubles respiratoires.
Selon un psychologue, « ces jouets ont une influence directe sur l’état psychique de l’enfant, qui confond jeu et mode de vie, réalité et fiction. La société tunisienne est devenue un modèle agressif, qui pousse l’enfant à adopter un comportement querelleur sans raison valable. »
Il ajoute : « les enfants qui achètent ces armes en plastique ont l’impression de pouvoir mieux se défendre contre les agressions, qu’elles soient verbales ou physiques. L’environnement agressif auquel l’enfant s’identifie peut être celui de la maison, avec des parents violents, la télévision ou les conflits avec les frères, mais aussi les problèmes relationnels à l’école ou dans la rue. »
Il précise : « Or ce qu’il faudrait c’est leur inculquer des notions simples : la violence n’est pas un moyen de défense, elle n’engendre que des réactions négatives. Il faut les aider en leur proposant des jeux éducatifs et attractifs. » Plus facile à dire qu’à faire, tant l’autorité parentale s’est diluée dans les caprices des enfants.
Mais il y a pire que le danger des jouets en plastique ce sont les jeux vidéo et autres consoles plus ou moins bruyantes. Certes, la présence envahissante des jeux vidéo a permis à bon nombre de parents de profiter d’une paix inespérée grâce aux heures passées par leur progéniture devant leurs écrans d’ordinateurs. Mais ceux-ci comportent également des dangers, des vices cachés.
Un père de famille exaspéré par ces excès, se lamente : « mes enfants sont si différents de moi, bizarres même… Moi, je jouais dans la rue à des jeux plutôt physiques : foot, toupies, billes… Cela nous permettait d’établir nos premières relations sociales avec les voisins de la « Houma » et de nouer de solides amitiés… »
Mais aujourd’hui et pour toute une génération, fini les billes et les toupies, terminées les tumultueuses parties de football dans les rues du quartier, abandonnées les discussions avec les enfants des voisins qui vous permettaient d’apprendre à parler en public et de tisser des liens sociaux qui peuvent se révéler essentiels pour l’avenir…
Une maman de deux jeunes garçons a commencé à s’inquiéter lorsqu’ils ont « commencé à s’enfermer dans leur chambre des heures durant, sans même penser à manger… ». Ce qui l’inquiétait le plus, c’est le fait qu’ils ne s’exprimaient plus, qu’ils ne se confiaient plus à elle comme ils le faisaient avant l’arrivée de leurs consoles de jeux. Elle a alors tenté de renouer le dialogue avec eux, mais en vain : « j’avais l’impression de les déranger chaque fois que je les invitais à parler de l’école, de leurs amis ou de n’importe quel autre sujet. Leurs réponses se bornaient alors à des onomatopées aussi courtes qu’incompréhensibles… »
Craignant que les heures passées à jouer n’influent négativement sur leurs études et leur santé, elle a tenté de limiter les heures de jeu. Mais dès qu’elle avait le dos tourné, ils reprenaient leurs jeux de façon excessive, maladive même. Elle leur a alors demandé s’ils voulaient bien aller s’expliquer devant un psy mais ils ont catégoriquement refusé : « on n’est pas des fous, on aime jouer c’est tout. »
Effectivement, avec la généralisation des jeux vidéo, on constate que chacun reste dans son coin, à taper nerveusement sur son clavier et à manger des confiseries et des biscuits. Le pire c’est que ces enfants développent parfois une obésité juvénile et même le diabète, handicapant ainsi leur santé future. C’est ce que nous confirmera un spécialiste de l’Institut de Nutrition : « on observe une augmentation du nombre d’enfants en surpoids et des cas de diabète juvénile essentiellement causés par le manque d’activité physique et une nourriture déséquilibrée à base de barres chocolatées. »
Il faut les voir, isolés dans leur chambre, le nez dans leurs consoles, parlant à voix haute aux personnages, refusant de s’arrêter quelle que soit la personne qui s’adresse à eux, le regard fou, l’air absorbé. Et quand on leur arrache ces objets terribles, ils font une crise ou vont se planter devant la télévision ! « J’ai l’impression d’avoir raté l’éducation de mes enfants comme j’ai raté mes études », confie une dame avec beaucoup d’amertume…
Un sociologue a qualifié ces drogués des jeux vidéo « d’handicapés sociaux. Chez eux, ajoute-t-il, les relations sociales qui s’ébauchaient par l’intermédiaire des jeux à l’ancienne sont absentes, car la console crée une certaine forme d’indépendance et ils finissent le plus souvent par devenir solitaires, asociaux même…»
Certains adolescents nous ont avoué jouer des heures durant chez eux ou dans les salles de jeux. L’un d’eux, âgé de 16 ans, ira jusqu’à reconnaître qu’il « souffre d’addiction, comme les fumeurs des cigarettes. Mais je ne peux pas m’arrêter tout seul… Je regrette les jours où je pouvais jouer au foot avec mes amis. Aujourd’hui nous sommes tous à la salle de jeux et nos rares discussions tournent toujours autour des ces compétitions virtuelles qui ne nous apportent que déceptions et frustrations car on ne gagne rien de réel. »
Un psychologue tente tout de même de trouver une sortie : « si vos enfants sont dans cette situation, empressez-vous de les en sortir par le dialogue et en les invitant à des spectacles différents… Il faut aussi les persuader que la vie est bien plus riche et plus passionnante que le monde virtuel et tenter de les sortir de cette addiction par tous les moyens, car ils sont dans une impasse. » Plus facile à dire qu’à faire !
Yasser Maârouf