Le monde est en train de batailler sur deux fronts. Le premier est d’ordre sanitaire pour endiguer la propagation du coronavirus, le deuxième est économique aux fins de relance d’un appareil de production dans une mauvaise passe et enclin au grippage.
Si les dégâts humains diffèrent d’un pays à un autre, les ravages économiques éventuels de la pandémie se font cependant sentir outre mesure dans toutes les économies du globe. Ces dernières se préparent au double plan, unilatéral et multilatéral, à la phase post-pandémie au travers d’interventions publiques spécifiques susceptibles d’éluder une dépression économique.
Dans ce cadre, le gouvernement tunisien s’est délibérément engagé dans un exercice de réflexion sur les contours d’un plan de relance économique post-corona, s’inscrivant par-là dans une approche proactive de gestion de crise.
Si les actions dernièrement décrétées par les pouvoirs publics s’apparentent à un « calmant », les mesures recherchées du plan de relance seraient le « remède » au mal économique du corona. Ce remède consiste en l’ensemble des politiques économiques expansionnistes et exceptionnelles ayant pour objectif de lisser les fluctuations défavorables de l’activité et de l’emploi.
La condition nécessaire à l’efficacité de ce remède serait la crédibilité du gouvernement en mesure de dissiper les incertitudes préjudiciables à toute décision d’investir. La condition suffisante aurait trait à la teneur du plan de relance lui-même.
En l’état actuel de l’économie tunisienne, l’efficacité de tout plan de relance serait toutefois condamnée par certaines contraintes, lesquelles appellent de l’audace pour créer des possibilités, voire des opportunités.
Les contraintes à l’œuvre
Le plan de relance qui serait décidé par le gouvernement se doit d’être plus exhaustif que les mesures socio-économiques prises pour atténuer les retombées de la crise sanitaire sur le pouvoir d’achat des ménages et la trésorerie des entreprises durant l’épidémie.
En effet, le plan de relance irait au-delà de ces mesures compensatoires. Il devrait en sus du renforcement des mesures d’appui à la trésorerie et au revenu des populations aux besoins spécifiques, prévoir de nouveaux projets d’investissement public fort impactants, mais aussi des actions d’accompagnement spécifiques aux secteurs sinistrés.
La finalité du plan de relance est de donner un coup de pouce à la dynamique de demande globale afin de soutenir une activité économique en berne et un emploi en baisse. Par ailleurs, ce genre d’interventions exceptionnelles par rapport aux actions, projets et programmes retenus dans la loi de finances de l’année, aurait un coût et un budget additionnels qu’il va falloir financer. Force est de souligner que les « bons » stimulus budgétaires équivalent à au moins 2% du PIB.
Eu égard à l’état de l’économie nationale, vouloir mener un plan de relance en bonne et due forme buterait sur un nombre de contraintes à même d’en réduire l’efficacité.
La contrainte budgétaire tout d’abord, parce qu’un plan de relance suffisamment ambitieux nécessite un budget plus déficitaire pour pouvoir réaliser plus de dépenses publiques favorables à la croissance et l’emploi. Or laisser filer son déficit budgétaire suppose le recours à plus de dette. La réalité est que le niveau d’endettement public dépasse les 70% du PIB, malgré une légère détente pour permettre une dose supplémentaire de laxisme. L’économie tunisienne n’a pas en effet suffisamment de marge pour pratiquer des déficits budgétaires contra-cycliques importants.
La contrainte financière ensuite, dans la mesure où il ne serait guère facile de répondre à tous les besoins de financement additionnels de l’économie et surtout du budget en ce contexte d’instabilité béante des marchés, surtout extérieurs. Lors de sa dernière interview, le Chef du gouvernement a d’ailleurs clairement indiqué que la Tunisie devrait compter sur ses propres moyens en ce temps d’adversité. Le fait d’inscrire la mobilisation de ressources extérieures sur la liste initiale des priorités du gouvernement en 2020 atteste de la sensibilité de la question financière.
La contrainte extérieure enfin, compte tenu du niveau élevé du déficit courant (près de 10% du PIB), en dépit du frémissement de la position des paiements extérieurs. Cette posture ne pourrait trop favoriser une reprise ambitieuse des dépenses d’investissement et de consommation, dont une partie de l’augmentation irait profiter aux firmes étrangères. Un taux d’importation assez important représente une source de faiblesse de l’effet multiplicateur.
La plupart des politiques de relance associées à un appareil de production mal adapté à la demande se sont heurtées à une aggravation du déficit commercial et à une dépréciation du taux de change, rendant les importations plus onéreuses et favorisant par ricochet l’inflation en mesure de faire échouer la relance espérée.
Ainsi, l’économie tunisienne risquerait de voir son déséquilibre extérieur se creuser si une forte relance de la demande avait lieu.
Quelles sont donc les chances de succès du nécessaire plan de relance?
Les possibilités offertes
Face aux contraintes auxquelles l’économie tunisienne serait en butte si l’ambitieux plan de relance se matérialisait, une approche pragmatique mêlant audace et intelligence s’impose. Il est question de faire feu de tout bois. Autrement dit, de réunir toutes les conditions les mieux à même d’apaiser l’ampleur des contraintes à l’œuvre et faire passer le plan de relance.
Premièrement, il importe de saisir la synchronisation prévisible des plans de relance post*-pandémie à l’échelle internationale pour redynamiser les exportations et faire repartir l’appareil de production national, un appui actif aux entreprises exportatrices leur permettant de répondre à une demande étrangère en hausse sous l’effet de politiques pro-croissance devant normalement être simultanées et coordonnées entre les pays développés et émergents. Lesquelles simultanéité et coordination assureraient l’ajustement de la contrainte extérieure.
Deuxièmement, il serait nécessaire d’envisager des sources de financement alternatives pour le budget de l’Etat dans l’objectif d’atténuer la contrainte budgétaire et faciliter en conséquence la mise en œuvre du stimulus budgétaire.
L’épuisement des sources traditionnelles de financement axées sur le relèvement de la charge fiscale sur le secteur organisé et le recours aux bailleurs de fonds étrangers, devrait nous inciter à emprunter de nouvelles voies plus courageuses, novatrices et impactantes.
Une première solution draconienne consiste à imposer immédiatement le decashing total à toutes les transactions au-delà d’un seuil dérisoire (mille dinars). L’internalisation de l’économie informelle permettrait de renflouer mécaniquement le trésor public et d’augmenter considérablement la liquidité du secteur bancaire, lui permettant de financer plus aisément et intensément le budget de l’Etat, ainsi que le secteur privé et réduire par-là les engagements extérieurs du pays. Dans cette lignée, réfléchir sérieusement au changement pour le moins d’une partie des billets de banque mérite toute considération.
Une deuxième solution « inédite et socialement responsable » consiste à accepter par les employés publics et privés à revenu élevé des réductions temporaires de salaires en soutien à leurs Etats et entreprises en cette période de détresse sans précédent. Le sacrifice des salariés allemands ayant beaucoup contribué au redressement rapide de l’économie allemande après la crise de 2009, ne doivent-ils pas nous interpeller? Le dialogue social demeure une question d’actualité en Tunisie. Nous ne pouvons nous en passer pour sortir de l’ornière.
Troisièmement, il va falloir persévérer dans une orientation monétaire accommodante pour accompagner le stimulus budgétaire. La priorité devrait être accordée à la croissance. La lutte contre l’inflation aurait davantage été l’affaire d’autres politiques publiques pas seulement centrées sur l’arme monétaire. L’assouplissement des conditions de crédit servirait le retour de l’investissement si confiance et optimisme reprenaient.
Le gouvernement s’est, à vrai dire, montré proactif face à la crise sanitaire. Il doit l’être aussi face à la nouvelle crise économique qui plane sur le globe en faisant montre de crédibilité, d’audace et « d’innovation » pour éviter le pire.
Aleya Becheikh