Planification stratégique en Tunisie

Sans cohésion  sociale, solidarité et prise de conscience de la gravité des défis auxquels le pays est confronté, il serait illusoire de parler de planification stratégique, de vision prospective ou de nouveau modèle de développement.
Depuis plus de quatre ans, le pays navigue à vue et les vagues déferlantes de la contestation, de l’agitation sociale et de la discorde, qui ne font que gagner en intensité, risquent de tout emporter avec elles. Aujourd’hui, la Tunisie est au bord du précipice et risque le pire, à défaut d’un sursaut citoyen qui viendrait mettre un terme au grand cafouillage qui règne.
La réhabilitation de la planification stratégique et de la vision prospective serait-elle la bonne solution pour permettre au pays de passer le cap difficile ?
Le séminaire organisé le 11 et 12 juin par l’institut tunisien des études stratégiques sur la prospective et la planification stratégique vient à point nommé remettre cette problématique au gout du jour et rappeler ce que disait Sénèque : «Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va ».
Même difficile, la direction choisie par la Tunisie pour la réhabilitation de l’outil de la planification et de la vision stratégique, s’avère une bonne piste et un moyen pour aider à la prise de décision et avoir une vision à court, moyen et long termes.
Le séminaire sur la prospective et la planification stratégique a été une occasion pour rappeler l’existence de l’ITES (Institut tunisien des études stratégiques) et la nécessité absolue de redéfinir ses missions. L’idée qui fait son chemin consiste à transformer cette structure rattachée à la présidence de la République en un think tank mobilisant des experts de tous bords et ayant vocation d’élaborer des stratégies pouvant aider le gouvernement à la prise de décision. Cela viendrait combler un déficit flagrant dans le débat public qui n’arrive pas à cerner les problématiques selon une démarche prospective et une vision à long terme. Ce qui dérange le plus, c’est qu’en lieu et place de favoriser une réflexion approfondie sur les moyens de permettre au pays de parachever son processus de transition, de faire face à la menace terroriste, de fixer des pistes pouvant aider à la définition des contours d’un nouveau modèle de développement consensuel et inclusif, les partis politiques et la société civile se sont laissés emporter dans le jeu stérile des surenchères, du dénigrement et des querelles politiciennes.

Onze plans de développement
Pourtant une grande opportunité existe pour établir un débat profond, serein et franc sur le processus démocratique et les moyens de le faire aboutir dans un contexte régional incertain. Cela est d’autant plus vrai qu’en matière de planification stratégique et de prospective, l’expérience tunisienne initiée depuis les années soixante, à travers le lancement des premières perspectives décennales (1962-1971) lui a valu des réussites avérées et des acquis indéniables.
Onze plans de développement ont été élaborés sans discontinuité de 1962 à 2010, a indiqué Ridha Ben Mosbah, conseiller économique auprès du Chef du gouvernement, «  ont permis au pays de réaliser des réussites tangibles économiques et sociales sur le long terme ». En témoignent, une croissance continue et moyenne de 5%, une stabilisation du cadre macroéconomique, une résilience de l’économie et une amélioration du niveau de vie du tunisien.
M. Ben Mosbah, estime néanmoins que depuis les années 2000, le modèle de développement tunisien a commencé à s’essouffler et à montrer ses limites. L’aggravation des disparités régionales, la surconcentration urbaine, la forte pression exercée sur le marché de l’emploi, la faiblesse de l’épargne et de l’investissement, la forte dépendance énergétique et les grandes pressions exercées sur les ressources naturelles, ont été les principaux indicateurs qui ont, en quelque sorte, conduit à la Révolution du 14 janvier 2011.
Essoufflement du modèle ne veut pas dire remise en cause de l’outil méthodologique de la planification, qui reste une tâche délicate qui consacre la coordination entre les politiciens, les porteurs de projets de société et les experts.
Ce qui peut paraitre paradoxal, c’est qu’aujourd’hui, nous vivons une sorte de décalage entre la prévision et la vision. Depuis plus de quatre ans, les politiques n’ont pas été capables d’offrir des solutions, ni des projets de société. Les nouvelles valeurs de dignité, liberté et travail n’ont pas trouvé de traduction pratique dans le discours politique et a fortiori n’ont pas poussé les visionnaires à entrevoir des pistes de réflexion pour apporter des réponses à des problématiques complexes à l’instar de l’exclusion, des disparités ou à la nouvelle donne qui est apparue, à savoir le terrorisme et l’insécurité.
Outre l’urgence de la réhabilitation de la planification et de la réflexion stratégique sur les défis futurs, qui se rapportent sur l’avenir à offrir aux jeunes – actuellement ballotés entre des choix pire les uns plus que les autres, à savoir l’immigration clandestine ou le renforcement des rangs des combattants de Daech – et aux régions exclues du développement, il est devenu impérieux de repenser le modèle de développement, de renforcer la décentralisation en adoptant le principe de contractualisation et de reconstruire la solidarité et la cohésion sociales. Pour que le pays arrive à se remettre au travail, à la création des richesses et parvienne à offrir des réponses crédibles, il va falloir satisfaire le triptyque compromis social, sécurité et consensus politique.
Enfin, un regard a été porté à l’occasion de la discussion du thème consacré aux conséquences de l’absence de la planification stratégique sur les processus de décision après la Révolution, sur l’étude Tunisie 2030.

Nécessité de réformer l’Etat
Pour Habib Lazreg, expert et ancien ministre, la présente étude entamée en 2002 a été colossale au regard de la qualité des équipes de travail qu’elle a mobilisées (100 experts indépendants) et des résultats qu’elle a donnés. Ce travail, qui a comporté 11 études sectorielles et deux grandes études (qualitative et quantitative), n’a jamais été rendu public et la présentation de sa morphologie s’est opérée pour la première fois à l’occasion de ce séminaire.
Les raisons qui ont poussé à laisser ce grand travail dans les tiroirs apparaissent dans les conclusions de cette étude. Il s’agit en particulier de la nécessité de réformer l’Etat et d’améliorer la qualité de ses institutions, de faire évoluer le système politique en harmonie avec l’évolution des systèmes économique et social, de changer de mode de régulation économique et sociale et de revoir le modèle de développement qui a atteint depuis 2002 ses limites.
Il n’empêche, que la Tunisie 2030 est considérée comme un travail de grande importance qui mérite aujourd’hui d’être actualisé et approfondi. Sa qualité, réside dans le fait, que pour la première fois, une étude cerne un horizon éloigné, est réalisée dans la multidisciplinarité et recommande la multiplication des centres d’études prospectives et de think tanks afin de mieux appréhender les évolutions futures et de choisir les meilleurs pistes pouvant conduire le pays à un développement soutenu et partagé.

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