Plus ça change, plus c’est pareil!

Décidément, c’est plus facile de changer de gouvernement que de changer de politiques publiques. Et pour la Tunisie, l’histoire se répète : Mechichi, chef du gouvernement depuis 4 mois, remanie profondément son équipe, sans évaluation, sans programme d’action, sans objectifs chiffrés, autres que ceux d’acheter du temps et d’occulter un marasme économique criant. Ce remaniement n’augure rien de bon pour la Tunisie ! Explication…
On attribue à Albert Einstein la formule selon laquelle «la folie, c’est de faire toujours la même chose en espérant à chaque fois un résultat différent ! ». De toute évidence, ce remaniement s’inscrit dans cette «folie dévastatrice» pour la prospérité et le bien-être collectif.

L’art de tourner en rond!
Depuis la Révolte du Jasmin, 12 gouvernements et plus de 467 ministres ont gouverné le pays pourne rien changer, ne rien réformer et ne pas froisser les lobbies et les groupes d’intérêt qui financent les partis et les mènent par le bout u nez.
Tous ont privilégié le statu quo, avec les mêmes politiques économiques, les mêmes choix publics et les mêmes instruments liés. Avec le résultat qu’on connaît : un État techniquement en quasi-faillite (45% du budget 2021 est à rechercher auprès des bailleurs de fonds internationaux), un pouvoir d’achat tronqué de 35%, un dinar divisé par deux et une pauvreté qui fait des ravages.
Un universitaire canadien, très familier des cercles du pouvoir en Tunisie avance que «Les élites au pouvoir en Tunisie n’ont pas encore intégré dans leur schème de pensée, l’évaluation et la gouvernance axée sur les résultats… plutôt que d’agir en rationnels et pragmatiques, ils sont restés prisonniers du passionnel, avec des politiques fatalistes, véhiculées par toujours plus de baraka et d’inchallah»!
Sur le front économique, industriels, opérateurs économiques et partenaires internationaux s’attendaient à un sérieux programme gouvernemental visant à relancer l’économie et remettre le pays au travail. Peine perdue, le chef du gouvernement Hichem Mechichi joue le jeu de la coalition islamiste qui le soutient au Parlement et s’enfonce dans le terrain du politique. Il pense pouvoir, par ce remaniement, rebrasser les cartes et détourner l’attention des sujets brulants et dégonfler la bulle des contestations sociales. Et en tous les cas, il espère pouvoir favoriser sa longévité à la tête du gouvernement.
Mechichi a jugé bon de faire plus de ce qui n’a pas marché par le passé. À savoir, opérer un remaniement ministériel à chaque fois que les tensions sociopolitiques montent et que les contestations s’enflamment et deviennent violentes, dans la rue comme au Parlement.

Une fuite en avant?
Le timing de ce remaniement est suspect, et à plus d’un titre. Il survient, alors que le pays est en confinement total pour cause de Covid-19, en convulsion sociale pour insatisfaction face au marasme économique. Ce remaniement survient aussi alors que le parlement est devenu totalement dysfonctionnel, bloqué en permanence par les conflits entre les partis en présence, par les bagarres sanglantes et depuis peu par les grèves de la faim engagées par des députés violentés, en plein jour au sein du Parlement par des députés islamistes.
Mais au-delà de ce timing suspect, trois dissonances majeures caractérisent ce nième remaniement ministériel en Tunisie.

Un, Mechichi, ce jeune chef de gouvernement, présenté aux Tunisiens comme un technocrate apolitique, a décidé de politiser son gouvernement, en ajoutant des ministres sponsorisés par les partis politiques, constituant son «coussin politique». Il a choisi de s’entourer de ministres franchement politiques, et envoyés comme scaphandres mandatés par leur parti politique pour régler des enjeux partisans et brûlants notamment au niveau des ministères de l’Intérieur et de la Justice. Résultat : un gouvernement de plus en plus imposé par les partis politiques et un chef qui se présente comme technocrate, jamais élu et novice en politique.

Deux, ce nouveau gouvernement qui va certainement bénéficier de la confiance des partis politiques dominants, va manquer de programme fédérateur et de cohérence sur les enjeux majeurs qu’affronte la Tunisie aujourd’hui. Dans sa configuration actuelle, ce nouveau gouvernement ne va pas adopter les réformes économiques très attendues, celles-ci ont besoin d’un gouvernement fort, de leadership démontré et d’une cohésion sans faille au sein du gouvernement. Un gouvernement ambivalent va niveler par le bas, pour ne pas menacer les intérêts des lobbies et groupes de pression. Et surtout pour survivre et prolonger son mandat.

Trois, les partenaires économiques internationaux, notamment les bailleurs de fonds (FMI, UE, World Bank) vont craindre le caractère zébré de ce nouveau gouvernement mi- technocrate, mi- politique. Les investisseurs ne pourront pas facilement composer avec une bipolarité néfaste pour la lisibilité des actions et mesures politiques à initier. La double casquette que va mettre Mechichi ne peut qu’ajouter une couche d’incertitude dans un contexte économique déjà difficile et erratique sur le plan social. Ajoutons que ce remaniement est déjà mal vu notamment en raison de sa purge de la participation des femmes et de l’absence d’économistes crédibles et capables de négocier et d’implémenter les réformes économiques à venir.
Le packaging de ce nouveau gouvernement ne va pas convaincre les partenaires internationaux. Au niveau national, et en l’état, la posture gouvernementale annoncée ne va pas désamorcer les tensions, bien en au contraire, on risque de les exaspérer par les risques et incertitudes véhiculées.

Universitaire au Canada

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