Face à la hausse des prix des produits de base, particulièrement les poivrons et les tomates, le ministère de l’Agriculture, des Ressources Hydrauliques et de la Pêche a annoncé la mise en place de deux points de vente à La Manouba et à l’Ariana. L’objectif est d’assurer une distribution directe des produits, du producteur au consommateur, afin de faire réduire la facture.
Cette mesure suffira-t-elle à sauvegarder le pouvoir d’achat du tunisien ? Selon l’économiste Wajdi Ben Rejeb, il s’agit d’une bonne initiative, mais qui reste discutable.
Surveiller les circuits de distribution
L’universitaire considère qu’il s’agit d’une bonne initiative, soulignant, en revanche, qu’elle ne constitue pas une nouveauté. Il cite, à cet effet, le point de vente situé près du siège du ministère de l’Agriculture. « Il n’ y a pas une grande variété de produits et certains d’entre-eux affichent des prix compétitifs, alors que d’autres non », a déclaré Wajdi Ben Rejeb à Réalités Online. Autre problématique qu’il a soulevée : l’accessibilité de ces points de vente du producteur au consommateur. L’économiste souligne qu’il faut les implanter là où il faut, c’est-à-dire, près des cibles qui vivent dans les quartiers défavorisés. « À l’étranger, il existe le concept du hard-discount et il est implanté, justement, dans ce type de quartiers », a-t-il noté.
Même s’il s’agit d’une bonne initiative, Wajdi Ben Rejeb affirme qu’elle ne permettra pas de résoudre complètement le problème de la hausse des prix. « C’est plutôt le circuit de distribution qui pose problème. Il existe des pratiques mafieuses : des personnes cherchent à gonfler les prix et à manipuler le circuit. De cette façon, le produit débarquera sur le marché en affichant un prix totalement différent de celui de la production », a-t-il assuré.
Cette manipulation du circuit de production pénalise également le marché du gros, d’après l’universitaire. « Ces personnes contournent ce marché et y créent une pénurie. Prenons l’exemple du marché des agrumes, notamment des oranges, qui est en surproduction. Le consommateur final achète ces produits à des prix assez élevés dans une situation de surproduction », a-t-il expliqué.
Pour un organisme public de surveillance des circuits de distribution
Instaurer des points de vente mettant en lien le consommateur avec le producteur est donc une solution insuffisante, d’après Wajdi Ben Rejeb. Mais que faut-il faire dans ce cas, pour pouvoir préserver le pouvoir d’achat du Tunisien ? C’est là où devrait intervenir l’État. Il faut, selon l’économiste, créer un organisme public chargé de la distribution des produits agricoles aux consommateurs.
« Ce type d’organisme existe au Brésil. Il va à la rencontre des agriculteurs pour, ensuite, distribuer leurs produits directement aux consommateurs, sans le moindre intermédiaire. Créer un tel organisme en Tunisie permettra de rationaliser les prix », a expliqué Wajdi Ben Rejeb.
L’État devra toujours assurer ses fonctions sociales et régaliennes, notamment en ce qui concerne la sécurité des transactions économiques, selon lui. « Il doit obligatoirement intervenir lorsqu’une partie de la population veut s’enrichir au détriment d’une autre. Ainsi, mettre en place une solution à long terme s’impose », a assuré l’universitaire.
On ne peut, selon lui, se limiter aux « petites corrections », sans penser à une stratégie plus globale. « L’agriculture espagnole affiche des caractéristiques proches de celles de la nôtre, notamment en terme de climat et de ressources hydrauliques. Malgré cela, le pays arrive à exporter vers toute l’Europe sans affecter son autosuffisance. Leur agriculture est bien développée. Pourquoi pas chez nous ? Ceci nous permettra de réduire notre déficit commercial dans le secteur agricole », a encore expliqué Wajdi Ben Rejeb.
Il y a, en résumé, nécessité d’avoir une vision plus globale pour apporter de réelles solutions à la crise actuelle du secteur agricole en Tunisie, selon l’économiste. Ce manque de vision illustre, en réalité, une tendance plus générale du gouvernement d’union nationale qui s’est retrouvé dans l’obligation de vivre « au jour le jour », sans parvenir à mettre en place une stratégie réelle pour sortir la Tunisie de l’impasse.