Politique de change : Jusqu’où le Dinar peut-il baisser ?

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Durant ces derniers jours, beaucoup a été dit à propos du dinar. Le gouverneur sortant a souligné qu’il ne pouvait agir alors que le gouvernement souligne que la dépréciation va marquer une pause dans la mesure où les indicateurs macroéconomiques se sont améliorés. Qui faut-il croire ?
Il faut rappeler  que pour limiter la dépréciation du change, il faut que les discours et les annonces soient crédibles. Il ne suffit pas de dire que la situation économique s’est améliorée et que le dinar a retrouvé sa valeur d’équilibre. En réalité, la situation économique se détériore de jour en jour et les fondamentaux sont presque en zone négative. Ainsi, l’actuelle correction se justifie par une dégradation de l’environnement économique en Tunisie : crise de confiance des investisseurs, déficit commercial considérable, révision à la baisse des anticipations de croissance de l’économie tunisienne et besoins de financement colossaux. Tous ces éléments pèsent naturellement sur le dinar et le scénario de chute accrue du dinar ne peut donc être écarté.
En effet, le fait marquant de ces derniers mois est l’accélération de la dépréciation du dinar. Depuis le début de l’année 2017, la monnaie nationale a perdu environ 20% face à l’euro et 3% face au dollar américain. Actuellement, l’euro s’échange à 2,97 DT, et le dollar à 2,426 DT.Ceci est la plus forte dépréciation du dinar depuis des années.

Risque de baisse vertigineuse
Cependant, il est important de souligner que la dépréciation aurait pu être encore plus importante sans les interventions de la Banque centrale sur le marché. Cette dernière a dû agir sur les réserves de change pour limiter les dégâts. En effet, face à la hausse de l’inflation importée, la Banque centrale a préféré la baisse des réserves (non inflationniste) à la baisse du cours du dinar. Ainsi, en attendant la nouvelle stratégie du nouveau gouverneur, les réserves risquent de diminuer davantage. Le niveau des réserves est passé au mois de décembre dernier sous le seuil critique des trois mois d’importation, ce qui accrédite le choix que le fait de puiser dans les réserves de change n’est pas tenable car il viendra un jour où une nouvelle baisse du dinar, forte, sera imminente, risquant même d’être vertigineuse.
Bien entendu, cette « dépréciation » a plusieurs causes. Elle reflète, d’une part, les déséquilibres macroéconomiques actuels et plus particulièrement le déficit commercial. Elle s’inscrit, d’autre part, dans le cadre du programme économique du gouvernement. Ou, disons plutôt, qu’elle fait partie des recommandations du FMI qui exige un changement du cadre opérationnel du taux de change pour atteindre la flexibilité du dinar. Celle-ci, selon le FMI, devrait permettre d’améliorer notre compétitivité, préserver les réserves en devises et contenir le déficit commercial.
Selon le FMI, le taux de change doit refléter l’équilibre sur le marché de change. Il doit exprimer la réalité des fondamentaux économiques du pays. Selon les estimations du FMI, le taux de change effectif réel du dinar est surévalué d’environ 15% par rapport à sa valeur d’équilibre fondamentale. Il va sans dire que la Tunisie est invitée à assouplir sa politique de change.
Dans un système de changes flexible, comme sur tous les marchés, le prix se forme par les niveaux de l’offre et de la demande.  Si l’offre de dinar est faible et que les devises sont abondantes, le dinar s’apprécie ou ce qui revient au même, le cours des autres devises baisse contre le dinar. Si l’offre de dinar est forte et que les devises sont demandées pour importer davantage, le dinar se déprécie. Le cours du dinar dépend donc de la situation des paiements extérieurs, et en particulier des échanges commerciaux avec  chaque pays. La demande de devises est forte quand la Tunisie importe plus qu’elle n’exporte, ce qui est structurel dans notre pays. Il faut donc acheter des devises et pour cela, vendre (offrir) des dinars, ce qui fait baisser le cours du dinar. Un déficit du commerce extérieur pèse donc sur la monnaie et provoque une dépréciation alors qu’un excédent du commerce extérieur provoque au contraire une appréciation. Le solde commercial est donc dans un pays comme la Tunisie une des variables déterminantes du marché des changes.

Anticipations auto-réalisatrices
Cependant, dans un contexte marqué par une exacerbation du déficit extérieur et d’érosion des réserves de change, un régime de change flexible devrait se traduire concrètement par une accélération de la dépréciation du dinar. Théoriquement, un tel mouvement aurait pour effet d’un côté, de baisser le coût en monnaie étrangère des exportations et de l’autre côté, de renchérir le coût libellé en dinars, des importations et du service de la dette. Comme la part des importations est très forte dans la demande intérieure, la dépréciation du dinar produirait plus d’inflation et donc une perte de pouvoir d’achat, d’où le risque d’un retour des revendications syndicales.
Le grand problème reste le coût de l’attente. Partant, il est suggéré de procéder à une dévaluation de 30% voire même de 40% pour pouvoir mettre fin à la spéculation en attendant (et en espérant) que la situation économique se redresse. Aujourd’hui, même les Tunisiens à l’étranger reportent leurs transferts de fonds en anticipant de nouvelles baisses du dinar. Les investisseurs étrangers procèdent de la même façon et attendent la fin de la dépréciation. En effet, et comme l’a montré la crise asiatique, la spéculation peut souvent jouer un rôle beaucoup plus important en déclenchant des « anticipations auto-réalisatrices ».
En effet, les variations du taux de change sont d’une complexité extrême, mais dans le cas du dinar, le coupable est connu de tous : c’est le déficit courant et plus particulièrement sa composante déficit commercial. D’ailleurs, la courbe du déficit commercial tunisien ne montre toujours strictement aucun signe de fléchissement depuis des années.
La stabilisation du dinar est donc tributaire des conséquences du déficit extérieur et celles-ci peuvent être amorties pendant quelque temps en s’endettant. Mais une monnaie peut être difficilement stabilisée si le commerce extérieur est durablement déséquilibré. Pour éviter une baisse constante de la monnaie avec les risques de spéculation qui l’accompagnent, il faut éliminer le mal à la racine en rétablissant un équilibre des échanges extérieurs et en enrayant la dégradation du solde commercial. Il va sans dire que le dinar perdra encore de sa valeur tant que ce problème et sa perception persistent, la preuve étant que sur le marché parallèle, qui est un vrai marché, l’euro s’échange déjà contre 3,05 dinars.
Au final, on peut se demander jusqu’où le dinar peut baisser. En matière de taux de change, rien n’est facilement prévisible et certains mouvements ont souvent pris à contre-pied plus d’un économiste. Intuitivement, on peut avancer que le mouvement de dépréciation se poursuivrait  tant qu’il n’y a pas de visibilité économique. Et si la situation ne se redresse pas rapidement, l’euro pourra s’échanger à 4 dinars d’ici la fin de l’année.

Mohamed Ben Naceur

 

 

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