Politique économique: Quel nouveau modèle de développement ?

 

 

«La situation économique est particulièrement grave, car nous n’avons, ni État, ni institutions, ni administration», insiste nombre d’économistes et experts tunisiens. L’État des lieux de l’économie nationale frôle la catastrophe. Une sortie de crise est-elle possible ?

 

Pour la première fois dans l’histoire de l’économie tunisienne, nous n’avons pas de plan quinquennal. Le dernier s’est terminé en 2011 et depuis nous manquons de références en la matière. Ce manque est cruellement ressenti à tous les niveaux et les acteurs concernés naviguent à vue. Durant les deux premières années, ce sont les fondamentaux existants depuis toujours qui ont permis de guider notre économie, mais aujourd’hui, en absence de repères, celle-ci court des risques majeurs. Le constat du gouverneur de la BCT est lourd. En même temps les contre-performances continuent : aggravation du déficit budgétaire, de la balance commerciale, de l’inflation et les réserves en devises se sont dangereusement amenuisées…

Engagée depuis trois ans dans une crise profonde, l’économie tunisienne n’arrive plus, ni à s’orienter, ni à anticiper et encore moins à planifier. Le pays se gère au quotidien. Pour sauver ce qui peut l’être, une vision fondée sur le choix d’un plan de développement est urgente. Mais lequel nous faut-il ?

Bon nombre d’économistes vous diront, que durant ces trois dernières années, la Tunisie a perdu beaucoup de temps. Il faut qu’elle se rattrape rapidement et qu’elle opte pour un nouveau modèle économique, basé sur la création de richesses et d’emplois et sur un système financier plus approprié. Facile à dire, difficile à réaliser. Aujourd’hui, de part le monde, aux USA, comme en Europe, le monde entier est à  la recherche d’un nouveau modèle de développement. Presque tous les modèles déjà mis en œuvre ont prouvé leurs limites. Auparavant, la Tunisie faisait figure de bon élève, c’était le temps du faux miracle économique. La Révolution n’a fait qu’accélérer la chute d’un modèle qui s’était essoufflé. Pour relancer son économie, la Tunisie est obligée de se serrer la ceinture, car emprunter auprès des bailleurs de fonds devient une tache très difficile à cause notamment de la baisse de la note souveraine du pays par toutes les agences de notation. La Tunisie est obligée également de s’engager dans des reformes audacieuses.  La décision  prise par les deux gouvernements de la Troïka, d’augmenter à plus de deux reprises les prix des hydrocarbures et d’inventer de nouvelles taxes pour renflouer les caisses de l’État et alléger le déficit budgétaire, n’a rien d’audacieux. Ces mesures ont pénalisé la classe moyenne tunisienne qui s’est dégradée et la classe pauvre qui s’est appauvrie encore davantage. Pour les autres réformes récemment engagées et recommandées par le Fonds monétaire international, certains les considèrent comme un plan d’ajustement structurel imposé. Mais peut-être, dans ce cas, aurions-nous dû commencer par la réforme des secteurs jugés prioritaires. M. Antonio Nucifora, économiste principal de la Banque mondiale pour la Tunisie, nous dira qu’avant toute réforme un dialogue national est indispensable, car c’est là que les priorités du pays se décideront. Le décalage entre immédiat et long terme nous oblige à gérer les affaires courantes, sans oublier de réfléchir à un modèle approprié de développement.

 

Le développement régional, repenser le territoire

Sachant que la Révolution s’est déclenchée de l’intérieur des régions, le développement régional devrait être une priorité des réformes du pays. Le diagnostic des régions montre que le problème réside, entre autres, dans la divergence des ressources de ces régions, ce qui a provoqué un déséquilibre socioéconomique. Ce qu’il faudrait commencer par faire, c’est relier les zones en retard aux zones avancées. Réduire les inégalités entre les régions et, en particulier, renforcer le rôle de l’État à travers les infrastructures, le transport, la santé, l’éducation. Dans une étape ultérieure, il faudrait prendre en considération les spécificités de chaque région pour identifier ses besoins. Sauf qu’en Tunisie, il n’existe pas de régions, mais des gouvernorats (au nombre de 24). Celles-ci sont définies selon des considérations politiques.  Alors qu’une région est un territoire économiquement viable ou l’on peut élaborer un schéma de développement régional. Faut-il donc repenser le territoire tunisien ? Ainsi, une région peut regrouper plusieurs gouvernorats qui devraient être complémentaires et pas semblables. Ce redécoupage de la Tunisie doit s’accompagner d’une bonne gouvernance en termes de dépenses budgétaires. Pour cela, il faudrait mettre en place un scooring pour éviter le déséquilibre régional en termes de budget.

 

À quand la décentralisation ?

La Tunisie a besoin d’un modèle de développement économique décentralisé et déconcentré. Il faut rappeler que la plupart des entreprises tunisiennes sont concentrées sur Tunis, Sfax et Sousse.Par conséquent, l’activité industrielle et l’emploi sont concentrés sur ces villes. Ainsi, cherche-t-on à y créer de la croissance. Par contre, dans les autres villes, on cherche à créer du développement. L’idéal serait que la croissance et le développement évoluent de pair. Le résultat de cette concentration fait que le taux de chômage est de 9,1% à Tunis contre 25% à Siliana. La décentralisation, en termes de dépenses budgétaires et de décisions administratives, contribuera à libérer les régions et à attirer les investissements dans d’autres régions moins peuplées. 

 

Réorienter le tissu économique tunisien 

Selon le ministre du Développement régional et de la planification, 97% du tissu économique tunisien relèvent du secteur informel. Un tissu économique à faible contenu technologique et composé de PME non performantes pénalisées par une mauvaise gouvernance et un endeddement massif. Des PME qui opèrent pour la plupart dans la sous-traitance. Manque d’efficacité de l’administration et défaillance du secteur financier et bancaire ont augmenté le taux de casse des entreprises. À titre d’information, le secteur financier ne contribue qu’à 6% au PIB du pays et le taux d’épargne ne dépasse pas les 23% du revenu national. Il faut donc réorienter la politique économique vers l’industrie, à forte valeur ajoutée. Il faut que la Tunisie gagne en compétitivité pour conquérir des marchés à l’international. Pour trouver un nouveau souffle, des experts appellent à la réforme de l’éducation et de l’enseignement qui réorganiseront et réformeront par conséquent le marché de l’emploi. Finalement tout est à refaire et dans plusieurs directions. Il faut avoir un système avec un État fort qui se tient au chevet d’une économie malade.

Par Najeh Jaouadi

 

 

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