Portrait de Suleika Jaouad : le long combat d’une Tuniso-américaine contre le cancer

Née à New York le 5 juillet 1988 d’un père Tunisien et d’une mère Suisse, Suleika (Sukeina) Jaouad a fait couler beaucoup d’encre, non seulement aux Etats-Unis mais aussi dans le monde entier. Son histoire, son parcours et sa lutte féroce contre le cancer ont fait d’elle une icône et un exemple à suivre. 
Auteure du best-seller instantané « Between Two Kingdoms » et de la rubrique "Life, Interrupted" du New York Times, Suleika est lauréate d'un Emmy Award. Elle a à son actif des centaines de publications, d’articles, de reportages et d’essais dans plusieurs médias tels que New York Times Magazine, The Atlantic, The Guardian, Vogue, NPR,… etc.

Le tournant…
A l’âge de 23 ans, Suleika qui a fixé déjà des projets et des ambitions pour l’avenir, découvre qu’elle souffrait d’une leucémie aiguë myéloïde, avec 35 % de chances de survie. L’annonce qui lui a été faite par les médecins, tomba comme un couperet sur la tête de cette jeune diplômée de l'Université de Princeton, qui aspirait être correspondante à l'étranger.
Il s’agit d’un tournant dans la vie de Suleika. Malheureusement, à cause de cette mauvaise nouvelle, elle avait le sentiment qu’elle n’avait plus aucune chance de voir son rêve se transformer en réalité. Faut-il baisser les bras et s’adapter à la nouvelle situation imposée par cette maudite maladie ? Faut-il se laisser envahir par les ondes négatives que ce genre de maladie mortelle est en mesure d’engendrer ? Faut-il succomber et laisser d'autres forces prendre le dessus ou sombrer dans la douleur les yeux grands ouverts ?
Contrainte à l'isolement à cause du traitement médical quelle subissait (chimio et une greffe de moelle osseuse) et soumise à un assaut de procédures tortueuses et d'invasion corporelle, Suleika écrit : "Être piquée, palpée et enfermée dans une pièce pendant des jours sans date de sortie était exaspérant".
Pendant presque quatre ans de traitement et de suivi médicaux où la mort l’accompagnait tranquillement comme sa locataire à sa chambre d'hôpital à Sloan-Kettering, la célèbre journaliste s'est fixé un seul objectif : la survie.


L’écriture constitue pour Suleika l’arme redoutable pour mettre à bas le mal, défier la souffrance, et ne pas s’incliner devant la mort. Mais «Sur quoi écririez-vous si vous saviez que vous pourriez bientôt mourir ?» s’interroge-t-elle.  A cette interrogation, Suleika répond avec détermination : "J'ai écrit sur toutes les choses dont il me semblait impossible de parler avec mes amis et ma famille. J'ai écrit sur la culpabilité que je ressentais d'être malade et l'impact que cela avait sur mes proches". Et Jaouad d’ajouter dans ses mémoires saisissants et profondément émouvants sur sa maladie « Penchée sur mon ordinateur portable dans mon lit, j'ai voyagé là où le silence était dans ma vie ». 
Guérie selon un essai clinique, Jaouad a finalement quitté le service de cancérologie après avoir reçu d'innombrables cycles de chimio et une greffe de moelle osseuse. « Le plus dur de mon vécu avec le cancer a commencé quand le cancer a disparu », souligne Suleika Jaouad en s’interrogeant : « comment recommencer et retrouver du sens après que la vie a été interrompue ? ».

« Entre deux royaumes »…
Rentrer dans le monde, revivre après un long « temps d’arrêt », récupérer ce qui avait été perdu, fussent les grands défis de Jaouad. Dès qu’elle a quitté l’hôpital, Jaouad « a entrepris de rencontrer certains des étrangers qui lui avaient écrit pendant ses années à l'hôpital : une adolescente en Floride qui se remettait également d'un cancer ; une enseignante en Californie pleurant la mort de son fils ; un condamné à mort au Texas qui avait passé ses propres années confiné dans une pièce ».
La journaliste qui a entrepris plusieurs recherches sur la situation de la femme en Tunisie, au Maroc et en Égypte, a essayé de partager ce que l'expérience d'affronter la mort lui a appris. Pendant 100 jours consécutifs, Suleika Jaouad a tenu un journal sur sa lutte contre le cancer.


La Tuniso-américaine dont les parents sont restés attachés à leur terre natale, parcourt le monde pour enseigner des ateliers et parler. Elle a été boursière Anacapa en résidence à la Thacher School et chargée de cours dans le programme de médecine narrative de l'Université de Columbia. Elle est apparue dans le Today Show, NPR's Talk of the Nation , la Paris Review , le Los Angeles Times et Glamour , entre autres. 
Son TED Talk principal était l'un des dix plus populaires de 2019 et compte près de cinq millions de vues. Elle a créé pendant la pandémie de Covid-19, des « Isolation Journals », un projet de créativité communautaire visant à aider les autres à convertir l'isolement en solitude artistique. Plus de 100000 personnes du monde entier l'ont rejoint.

Et ce n’est pas tout, Suleika a siégé au comité présidentiel sur le cancer de Barack Obama, au conseil consultatif national de Family Reach et à la Bone Marrow and Cancer Foundation, et au comité des arts et des lettres de la Brooklyn Public Library. Elle a reçu le Red Door Advocacy & Community Service Award et a été artiste en résidence à Ucross, ArtYard et au Kerouac Project.
Le combat de Suleika Jaouad contre le cancer se poursuit encore. Un deuxième round a commencé lorsqu’elle a appris, en novembre 2021, après avoir reçu un deuxième diagnostic de leucémie, que la maladie "était beaucoup plus agressive qu'il y a dix ans." C’est incroyable mais vrai, attendu qu’un 1% seulement des patients, selon le médecin de Jaouad, rechutent 10 ans après une greffe de moelle osseuse.
Toutefois, rien n’a empêché cette dame qui n’a cessé de faire montre de persévérance, de patience et de volonté de se laisser emporter par la peur ou l’inquiétude.  Jawad propose une recette pour ce genre de situations :  « Lorsque nos vies sont dramatiquement perturbées par une maladie, une pandémie mondiale ou un autre chagrin, il est important que nous créions de nouvelles habitudes, objectifs, routines et rituels. Essayer d'appliquer les anciens dans de telles circonstances est une recette pour la frustration. Nous devons réévaluer nos journées et ce qu'elles peuvent contenir. Nous avons toutes sortes de cérémonies et de rites de passage qui nous aident à honorer les différentes phases de la vie et à passer de l'une à l'autre».



A cet effet, Jaouad a dit « oui » au célèbre musicien Jon Batiste lorsqu’il a demandé sa main, la veille de la greffe de moelle osseuse. Souleika se sent très heureuse d’avoir Jon Batiste comme mari. « Il m'a dit : je veux juste être très clair, je ne te propose pas à cause de ce diagnostic. Il m'a fallu un an pour concevoir ta bague. Alors, sache juste que ce timing n'a rien à voir avec ça. Mais ce que je veux que vous sachiez, c'est que ce diagnostic ne change rien. Cela me montre d'autant plus clairement que je veux m'y engager et que nous soyons ensemble", se souvient-elle.
 Souleika Jaouad dont les expériences avec la maladie ont été documentées dans le New York Times, « ce qui en a fait un objet d'inquiétude et d'admiration pour nombre de ses lecteurs », a sorti ses mémoires, en mars 2022, dans un livre de poche « Entre deux royaumes », faisant la liste des best-sellers du New York Times. 


Dans une interview accordée au site « Vogue », Soukeina Jouad s’est exprimée à propos de la sortie de son livre « La semaine où le livre est sorti, j'avais la pire douleur que j'aie jamais ressentie. Je ne pouvais pas parler, car j'avais un effet secondaire de la chimiothérapie appelé mucosite, une cicatrisation de la gorge et de la bouche qui il est même difficile d'avaler ou de manger, sans parler des interviews de presse comme celle-ci. Alors pour le voir sur la liste des best-sellers, pour voir mon incroyable communauté d'amis, de proches et de lecteurs se rassembler autour de ce livre, je n'ai pas vraiment de mots ».
Souleina Jaouad ressent encore la douleur, mais pour éviter ce sentiment, elle propose une idée-clé : « Nous faisons toutes sortes de choses pour éviter de ressentir de la douleur. Nous esquivons, engourdis, nous armons contre elle, mais ces tactiques ne nous débarrassent pas de la douleur, elles la retardent simplement. J'avais l'habitude de penser que guérir signifiait purger le corps et le cœur de tout ce qui fait mal, mais j'ai réalisé que ce n'est pas exactement comme ça que ça marche. Guérir, c'est plutôt trouver comment coexister avec la douleur, sans prétendre qu'elle n'est pas là ni lui permettre de détourner nos journées».

Med Ali Sghaïer
 

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