Le ministre des Affaires étrangères, de l’émigration et des Tunisiens à l’étranger a, récemment, reçu un appel téléphonique de son homologue ukrainien. De prime abord, il y aurait lieu de s’étonner qu’un membre du gouvernement ukrainien eût à s’entretenir avec son homologue tunisien alors qu’en ce moment, l’Ukraine, qui vient de boucler sa troisième année de guerre, est embourbée dans une bataille diplomatique, soutenue par les pays européens, avec les Etats-Unis de Trump dont l’enjeu n’est pas moins qu’un plan de paix que le président ukrainien, Zelensky, et l’Europe voudraient « juste » avec la Russie.
En effet, le plan proposé par Donald Trump, qui avait promis lors de sa campagne électorale d’arrêter cette guerre en 24 heures, —il a dû se rendre compte que ce n’est pas si évident que cela —, donne l’avantage à la Russie et rembourse les financements américains de la guerre que Trump a estimés à hauteur de 500 milliards de dollars récupérables en minerais précieux (terres rares) ukrainiens (une estimation dénoncée par certains qui considèrent qu’elle est beaucoup moins importante). En Ukraine et en Europe, c’est le choc mais il n’est pas question de céder. La résistance euro-ukrainienne s’organise de jour en jour et l’on devrait s’attendre à un bras de fer inédit, d’autant que le président américain s’est littéralement tourné vers son homologue russe Vladimir Poutine pour se lancer ensemble dans d’autres futurs projets communs stratégiques. Les intérêts de l’un et de l’autre priment. Ce qui s’est passé lors de la dernière réunion du Conseil de sécurité consacrée à la guerre en Ukraine montre le changement radical de la politique américaine avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Défiant Kiev et ses alliés européens, les États-Unis, après avoir soumis à l’Assemblée une résolution réclamant la fin rapide du conflit sans référence à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, se sont alliés à la Russie lors du vote de cette résolution.
Dès lors, les termes utilisés dans le communiqué officiel du ministère des Affaires étrangères, — qui ne traite pas du fond de l’entretien—, et qui évoquent, en premier, les moyens de renforcer les échanges commerciaux notamment dans les domaines des céréales et des phosphates, prennent toute leur ampleur. Il s’agit pour les responsables ukrainiens de prospecter par la voie diplomatique de futurs soutiens économiques ou de renforcer ceux existants dans la perspective de relancer l’économie de leur pays en cas de signature d’accord de paix avec la Russie. La Tunisie a été un client traditionnel de l’Ukraine pour ce qui concerne l’approvisionnement en céréales mais la guerre qui dure depuis trois ans, d’une part, et la situation économique difficile de la Tunisie, d’autre part, ont fait qu’elle a dû changer de fournisseur et se tourner vers la Russie, un autre pays ami, qui propose des tarifs préférentiels. Il reste que les relations tuniso-ukrainiennes, au demeurant traditionnellement bonnes, devraient se renforcer encore dès lors que le ministre ukrainien des AE, Andriy Sibyha, a exprimé sa reconnaissance envers la Tunisie pour son soutien à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de son pays, dans un tweet posté à la suite de cet entretien, soulignant que « cet échange marque une étape importante dans l’intensification du dialogue politique et du développement des coopérations économiques entre Kiev et Tunis ».
Il est ainsi clair et légitime que les responsables ukrainiens cherchent à élargir leur cercle de soutiens et à renforcer leurs liens avec les pays de différentes régions du monde, notamment du Maghreb, dont la Tunisie qui, à son tour, est, et a toujours été soucieuse d’entretenir des relations d’amitié, de respect et de non-ingérence avec les pays amis et les partenaires. L’occasion est également propice à la Tunisie pour prospecter de nouvelles opportunités économiques et pour élargir davantage son champ d’action en termes d’échanges, d’investissements, d’exportations, etc.
Les relations internationales que prône la Tunisie depuis son indépendance, reposent sur un principe essentiel et majeur qui consiste à construire des partenariats solides dans les divers domaines d’activité économiques tout en privilégiant, dans les domaines politique et diplomatique, le principe de neutralité et de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays.
Cependant, cette ligne rouge pour la Tunisie, qui s’attache à sa souveraineté et à l’indépendance de sa décision nationale, semble menacée sous l’impact des nouveaux bouleversements géopolitiques qui imposent désormais des rapports de force entre les pays. Le mépris et le piétinement du droit international par l’entité sioniste à Gaza dans la totale impunité et l’accord de paix voulu par Donald Trump en Ukraine au grand dam du président ukrainien et des chefs d’Etat européens le prouvent sans conteste. La Tunisie n’est pas seule à opter pour la neutralité qu’elle partage avec un certain nombre de pays africains, notamment face au conflit russo-ukrainien, contrairement à d’autres qui ont carrément adopté l’alignement pro-russe. Cette neutralité répond à des considérations soit prudentes, soit stratégiques, selon les circonstances politiques, économiques et géopolitiques des pays.
La Tunisie, aussi, a des intérêts à défendre et d’importantes et urgentes attentes nationales à satisfaire. Il conviendra donc de prendre les décisions qui s’imposent et d’opter pour les partenariats qui servent les intérêts nationaux tout en veillant à toujours préserver les bonnes relations avec tous les pays proches et lointains. Des relations d’amitié qui permettent à la Tunisie de plaider en toute circonstance pour la cause palestinienne et pour la concrétisation des droits du peuple palestinien et en particulier la création d’un Etat indépendant avec El Qods pour capitale.
Un plaidoyer que le ministre tunisien des AE n’a pas manqué de faire au cours de l’entretien téléphonique avec son homologue ukrainien dans le but de mobiliser la solidarité internationale la plus large avec les droits du peuple palestinien colonisé et martyrisé depuis plusieurs décennies.
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