Pour la défense des élites (3) !

Notre pays a connu tout au long de son histoire un grand nombre d’élites dans les domaines politique, économique et intellectuel. Mais, les élites modernes ont commencé à apparaître avec le mouvement des réformes au cours de la seconde moitié du 19e siècle. Cette vague de réformes sera conduite par des hommes politiques et des intellectuels comme Ahmed Ibn Abi Dhiaf, Ahmed Bey, Kheireddine et bien d’autres. Ces réformes ont touché plusieurs aspects dont les dimensions politiques et juridiques avec l’abolition de l’esclavage et l’adoption de la première constitution. Ces réformes politiques cherchaient à sortir du système politique traditionnel pour mettre en place un système politique moderne basé sur l’Etat civil.
Ces mouvements de réformes ont impacté aussi le domaine économique avec l’apparition des premières unités industrielles, notamment dans le domaine du textile. On a vu également les prémices des réformes sociales avec la création des premières unités hospitalières modernes et les institutions éducatives modernes comme le collège Sadiki en 1875.
Cette première élite moderne a conduit une véritable révolution réformatrice dans tous les domaines pour faire sortir notre pays de la dépendance et du sous-développement et pour l’ouvrir aux lumières et au vent de la modernité.
Mais, cette première vague de réformes se soldera par un échec qui constituera la première défaite des élites tunisiennes modernes. Cet échec conduira à la pénétration coloniale suite à la faillite financière de l’Etat.
De mon point de vue, cet échec s’explique par la distance et la coupure entre les élites modernes et les larges couches populaires. Ainsi, les batailles menées par les élites pour la mise en place des réformes étaient des batailles internes au sérail du pouvoir sans disposer d’un large soutien populaire. Ainsi, au moment où les élites modernes cherchaient à rationaliser la gouvernance de l’Etat et la réduction des dépenses afin de stabiliser les finances publiques et la maîtrise de la dette, les élites au pouvoir poursuivaient leurs dérives financières, ce qui sera à l’origine de la faillite financière et de l’avènement de la Commission financière et de la pénétration coloniale plus tard.
L’absence de relation organique et d’alliance historique entre les élites et les populations larges sera l’une des causes essentielles de la faiblesse des mouvements de réforme et de transformation sociale. Cette absence se poursuivra jusqu’aux années 1930. Ainsi, les partis politiques comme le vieux Destour ou le Néo-destour étaient des clubs de rencontre entre les élites nationalistes et ne disposaient d’aucune base sociale ou populaire qui leur aurait permis de peser sur les forces coloniales et de jouer un rôle politique et social de premier plan.
Ce sont les massacres du 9 avril 1938 qui seront à l’origine d’un changement majeur et constitueront le point de départ d’une réconciliation et d’une alliance historique entre les élites et les couches populaires larges qui permettront les succès politiques et économiques que notre pays va connaître. Ce moment historique et les martyrs qui sont tombés au cours de cette journée mémorable vont contribuer à construire l’alliance stratégique entre les élites nationalistes, particulièrement le parti du Néo-destour et son leader historique le président Bourguiba, et de larges couches populaires qui seront le fer de lance de la lutte anticoloniale.
Cette rencontre historique sera renforcée par l’apparition des grandes organisations de masse comme l’UGTT le 20 janvier 1946 puis la création de l’UTICA en 1947, et l’UTAP en 1949.
Ces mouvements politiques et ces organisations sociales vont contribuer largement au renforcement de la lutte anticoloniale et à la rencontre organique entre les élites et les larges couches populaires dans la lutte contre la colonisation. Cette alliance historique parviendra après plus d’une décennie de lutte acharnée et de sacrifices avec notamment des assassinats qui ont touché un grand nombre de dirigeants nationalistes dont Farhat Hached, à arracher l’indépendance nationale le 20 mars 1956.
Cette alliance historique entre les élites politiques, économiques et sociales et les larges couches sociales après l’indépendance va se diriger vers la construction de l’Etat national. Cette alliance va réussir à ouvrir de nouvelles perspectives à notre expérience politique dans notre pays, à travers la construction de l’Etat moderne et la proclamation de la République, les débuts de la construction d’une économie nationale libérée de la tutelle de la métropole coloniale, et la construction d’un contrat social basé sur la solidarité entre les différentes couches sociales.
Mais, cette alliance va commencer à connaître des difficultés dès le début des années 1970 avec les dérives de l’Etat national, les débuts de l’autoritarisme et la mainmise du parti unique sur les institutions de l’Etat. Les difficultés du modèle de développement à répondre aux besoins des couches sociales populaires vont également contribuer à l’essoufflement des rapports de confiance entre les élites et les couches sociales.

( à suivre)

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