Pour l’abolition de la peine de mort

Pour la plupart des Tunisiens, la nouvelle Constitution se doit d’affirmer — sans restriction aucune — le respect des droits humains et des libertés individuelles et collectives dont le droit à la vie. L’abolition de la peine de mort devrait donc être inscrite dans l’avant-projet de la Constitution en débat aujourd’hui. Or il n’en est rien. Dans le chapitre II consacré aux “Droits et Libertés”, l’article 16 stipule : “Le droit à la vie est le premier des droits. Il ne peut lui être porté atteinte que dans des cas fixés par la loi”. Cette restriction remet en cause l’idée de toute suppression de la peine capitale en droit comme en pratique. Pourtant, l’article 17 consacré à la torture et à toutes ses formes affirme que “l’État garantit l’intégrité physique et la dignité de l’être humain” et que “toutes les formes de torture physique et morale sont interdites”. La peine de mort n’est-elle pas une forme suprême de “torture physique et morale” ? Il serait utile de rappeler que la dernière exécution en Tunisie remonte aux années 1990. Il s’agit, dans la pratique, d’une sorte de moratoire dont l’application est laissée à la discrétion du chef de l’Exécutif. La Tunisie de l’après 14 janvier est appelée à figurer parmi les pays abolitionnistes dans le monde. Plusieurs facteurs pourraient plaider en ce sens : l’engagement du nouveau président, ancien militant actif des droits humains, en faveur de l’abolition de la peine capitale, la condamnation à cette peine de certains leaders islamistes tels que Ghannouchi durant les dernières années du règne bourguibien et la présence de quelques abolitionnistes parmi les constituants. Certes, le président Marzouki disposant, en tant que chef de l’État, du droit de grâce, a commué des dizaines de condamnations à mort en peine d’emprisonnement à vie, et ce à l’occasion du premier anniversaire du 14 janvier. Comme il a signé — en tant que chef de l’État — le manifeste pour l’abolition de la peine de mort que lui a proposé la section tunisienne d’Amnesty International (A.I.). Un pas important qui devrait être concrétisé par l’abolition de jure (en droit) de cette forme de châtiment considérée comme “cruelle, inhumaine et dégradante”, car le moratoire de facto ne suffit pas. Mais en dépit, d’une part, des pressions extérieures exercées par l’Union européenne, l’ONU, A.I. et, d’autre part, de la mobilisation de la coalition mondiale pour l’abolition de la peine de mort et du collectif tunisien regroupant plusieurs ONG de droits humains œuvrant pour la cause, les résistances s’annoncent fortes au nom de l’Islam. La Troïka a, en effet, refusé, le 10 décembre 2011, de signer le manifeste d’A.I.. Cela en dit long sur sa position vis-à-vis de la peine capitale. Pourtant, un fait important a eu lieu, en décembre dernier : la Tunisie, par la voie de son représentant permanent auprès de l’ONU, Mohamed Khaled Khiari, a signé, à l’assemblée de cette dernière du 20 décembre 2012, un moratoire sur les exécutions. Un fait historique qui, bien que revêtant une grande importance dans le processus démocratique de notre pays, est passé bizarrement sous silence, n’ayant eu ni le retentissement médiatique ni l’intérêt gouvernemental qu’il mérite. De son côté, le ministère des Droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle n’a enregistré aucune réaction sur sa page Facebook officielle. Le ministre a considéré, en août dernier, que la décision du maintien ou de la suppression de la peine de mort relevait des compétences de l’Assemblée constituante et du pouvoir législatif. La résolution onusienne pour un moratoire sur les exécutions a été donc massivement adoptée à l’ONU et, pour la première fois, la Tunisie figurait parmi les 111  signataires. Ce texte, bien que non contraignant, de portée principalement morale et n’ayant qu’une valeur de recommandation, constitue un pas important en attendant l’abolition en droit. Il impose aux États pratiquants ou maintenant la peine capitale dans leur Code pénal, de respecter les normes internationales garantissant les droits des personnes passibles d’exécution, de fournir à l’ONU des renseignements sur l’application des peines et de limiter progressivement l’application de la peine de mort. Le nombre des signataires de cette quatrième résolution est quatre fois supérieur à celui de 2010 bien que 41 pays, dont les États-Unis, l’Arabie saoudite, la Chine, le Japon, l’Iran, l’Inde et la Corée du Nord aient voté contre et 34 se soient abstenus. Il faut rappeler que la Tunisie était absente lors des trois derniers votes de 2007, 2008 et 2010. Ce vote massif de 2012 est un message fort envoyé surtout aux pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord où les exécutions comparées à l’année 2010 ont augmenté de 50 % en 2011. Jusqu’à ce jour, plus de 140 pays ont aboli la peine capitale ou ne la pratiquent pas. Que de chemin parcouru depuis 1945 où seulement huit pays avaient aboli ce châtiment suprême ! La Tunisie de l’après 14 janvier est appelée à voter «l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort» (Victor Hugo, 1848).

 

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