Pour plus d’audace !: Loi de Finances 2018

Le projet de loi de Finances a été finalement rendu public après plusieurs jours de discussions et d’échanges entre les partis et les organisations qui soutiennent le gouvernement d’union nationale dans le cadre de l’accord de Carthage. Ce projet ouvrira nul doute un nouveau round de débats qui risque d’être houleux et difficile.
D’abord, une première remarque qui concerne la nature du document de loi de Finances qui a été rendu public. Il s’agit d’un document qui nous laisse sur notre faim et qui ne favorisera pas une discussion aisée. En effet, ce document de plus de deux cents pages s’est limité à présenter les dispositions et les lois. Il s’agit de documents dont seuls les responsables du ministère des Finances ont le secret et qui ne permet aucunement d’avoir une idée claire sur les grandes orientations et les priorités du gouvernement en matière de politique économique. Rappelons que la loi de Finances n’est pas un document comptable ou technique comme la perçoivent certains, mais il s’agit d’un outil éminemment politique qui présente la synthèse et la quintessence des grands choix politiques, économiques et sociaux des gouvernements. Ces choix doivent être exprimés de manière claire dans le document de la loi de Finances en mettant en exergue trois éléments essentiels. Le premier concerne l’analyse des pouvoirs publics de la situation économique et des principaux défis à relever. Le second porte sur les objectifs économiques et sociaux que le gouvernement cherche à atteindre derrière la loi de Finances et sa politique budgétaire. Le troisième a trait aux grands équilibres financiers de la loi de Finances. Les dispositions fiscales viennent alors compléter ce projet et indiquent les moyens mis en place par le gouvernement pour atteindre ses grands équilibres.
L’existence de ces trois éléments favorise l’échange et le débat sur les grands choix de politique économique et permet à la loi de Finances de dépasser le simple cadre comptable pour en faire un vrai outil de politique économique. L’absence de ces éléments dans le cadre du document de loi de Finances n’aidera pas dans le débat qui doit s’ouvrir dans les prochains  jours, ainsi que les discussions au sein de l’Assemblée.
Pour revenir sur le projet proprement dit, l’analyse de cette loi de Finances doit se baser sur sa capacité à renforcer le frémissement de la croissance que nous avons enregistré lors du premier trimestre de cette année et qui s’est affaibli au cours du second trimestre. Mais, en même temps, cette loi de Finances doit aider notre économie à relever trois défis majeurs, à savoir : arrêter la dérive des finances publiques, relancer l’investissement et accélérer les réformes économiques.
Pour ce qui est du défi des finances publiques, nous avons eu une grande inquiétude que le gouvernement ne poursuive sur la voie de la législation fiscale ouverte au lendemain de la révolution en imposant de nouvelles taxes et en augmentant les taxes existantes. Cette approche avait pour objectif d’augmenter les recettes de l’Etat pour faire face à la croissance rapide de nos dépenses mais en même temps de lutter contre l’inégalité fiscale et l’injustice. Et, depuis cette date, on a assisté à une prolifération des textes et chaque loi de Finances comprenait son lot de nouvelles taxes ou d’augmentation des taxes existantes. Or, si cette approche a donné quelques résultats, elle suscite de plus en plus d’inquiétudes et de critiques pour plusieurs raisons. D’abord, on s’est rendu compte que le législateur imposait de nouvelles lois sans avoir la certitude de pouvoir les appliquer et de les mettre en place et plusieurs taxes ont été adoptées pour être supprimées plus tard. Le second biais à cette démarche, c’est qu’elle crée un grand éparpillement de l’énergie des collecteurs de l’impôt et ne leur permet pas de se concentrer sur leurs activités. Enfin, la troisième limite de cette démarche est relative à une certaine « fatigue fiscale » qui commence à s’installer dans notre pays et qui rend les gens de plus en plus hostiles à cette approche.
Nous avons insisté sur la nécessité de changer de cap et de mettre un peu plus l’accent sur le contrôle et la collecte de l’impôt plus que la mise en place de nouvelles taxes. A ce niveau, le Chef du gouvernement a mis l’accent dans son allocution télévisée sur le fait que cette nouvelle loi de Finances n’est pas une loi destinée vers l’impôt. Or, à l’examen du projet, nous constatons certes que certaines taxes avaient disparu mais l’orientation reste tout de même vers un plus grand usage de l’arsenal législatif, et que l’audace n’a pas été jusqu’à rompre avec cette approche et par conséquent changer de cap.
Le second défi que cette loi de Finances cherche à relever, concerne la relance de l’investissement et certaines dispositions fiscales ont pour objectif d’encourager les entreprises à investir, notamment dans les régions intérieures. Or, notre expérience récente a montré que ces dispositions, aussi importantes soient-elles, ne sont pas le seul élément qui rentre dans la décision d’investissement. Plusieurs autres aspects sont essentiels pour encourager les investisseurs et les entreprises à sortir de leur attentisme et concernent l’environnement institutionnel et particulièrement le rôle de l’administration et sa capacité à faciliter l’investissement. Il est donc nécessaire d’accompagner ces mesures fiscales par des actions majeures dans le domaine de l’environnement afin de provoquer le « choc d’investissement » auquel nous appelons de nos vœux.
Enfin, le projet de loi de Finances, même s’il n’intègre pas directement des réformes, a été construit sur la base de la réalisation de certaines d’entre-elles au cours des deux prochaines années et notamment les réformes des caisses sociales mais aussi la réforme de l’administration et la diminution de ses effectifs. Ces réformes sont non seulement essentielles pour l’amélioration de ces institutions mais elles sont également essentielles pour les grands équilibres financiers de ce projet de loi de Finances.
L’année 2018 est une année charnière dans notre transition économique, tellement les défis à relever sont importants. Le projet de la loi de Finances en discussion apporte des réponses, certes prudentes, pour relever ses défis et toute la discussion est de savoir si elles permettront de transformer ce frémissement en une véritable reprise de croissance forte.

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