Au mois de mai de chaque année tous les rêves sont permis. L’actualité politique, sociale et économique se met au ralenti pour laisser la place au cinéma, au rêve et aux stars sur la croisette. Depuis la création du festival, les deux semaines du Festival de Cannes attirent l’attention du monde entier pour suivre entre charme et paillettes les nouvelles productions des grands metteurs en scène et rêver avec eux du monde de demain. Ce rendez-vous du gotha du cinéma global a beau être critiqué du fait d’une plus grande interconnexion avec le monde du business et des affaires, l’enchantement et le charme restent intacts et sa part de rêve continue à nourrir les utopies dans le monde et les projets de construire un autre monde.
Du Sud de la Méditerranée et en dépit des espoirs parfois brisés d’une transition difficile vers la démocratie, nous trouverons le temps de vivre à l’heure de la montée des marches du palais du Festival et de scruter les commentaires et les réactions sur les dernières productions de Nanni Moretti ou Woody Allen avant de pouvoir les voir dans les salles obscures ou du moins ce qu’il en reste chez nous.
Mais, en suivant le Festival de Cannes nous ne pouvons pas ne pas avoir un petit pincement au cœur du fait de l’absence de la production tunisienne et plus particulièrement arabe et africaine dans ce grand rendez-vous du cinéma mondial. L’absence tunisienne est d’autant plus étonnante que la production nationale a connu un énorme saut après la Révolution et atteint le chiffre de 64 films produits en 2014, ce qui représente une gageure eu égard aux structures de production archaïques dont nous héritons.
Le cinéma tunisien connaît un véritable printemps comme tous les autres domaines de la création qui ont été de grands bénéficiaires de la chute de l’autoritarisme et ce grand air de liberté que notre pays connaît depuis le 14 janvier. Ce printemps des arts et de la création est propre à tous les pays qui ont connu des transitions politiques importantes comme c’était le cas en Espagne post-franquiste avec la Movida et qui nous a permis de découvrir le grand metteur en scène Pedro Almodovar ou les pays d’Amérique Latine qui nous ont permis de voir des chefs d’œuvre aussi poignants que L’histoire officielle, Buenos Aires 1977, L’œil invisible, après la chute des dictatures. Or, ces expériences nous ont également montré que ces printemps peuvent également être courts et les roses qu’ils contribueront à faire fleurir peuvent se faner très vite. C’est pour ces raisons que l’économie de la création artistique est importante afin d’offrir à ces pays les conditions de soutenir leurs artistes et leurs pourvoyeurs de rêves et d’utopie.
Aujourd’hui, la réflexion sur l’avenir de l’économie du cinéma est urgente et exige de nouvelles actions afin de lui donner les moyens de poursuivre le rêve et l’utopie que le cinéma et l’art nourrissent et entretiennent tous les jours. Cette réflexion de mon point de vue doit porter sur deux axes qui sont capables d’animer et de renforcer l’industrie cinématographique dans notre pays. Le premier est relatif à l’appui de la production nationale et le second concerne l’attraction de la production cinématographique internationale. Ces deux éléments sont complémentaires et constituent les deux facettes du développement d’une industrie cinématographique nationale qui pourrait contribuer au processus de transition économique en cours et qui appelle à la participation de nouvelles activités industrielles intensives en main d’œuvre qualifiée. Et, l’industrie du cinéma pourrait être partie prenante de ce nouveau modèle de développement et d’insertion dans le monde global dont experts et responsables économiques et politiques ne cessent de parler.
Pour ce qui est du développement de la production nationale, il faut mentionner d’abord que la Tunisie a été un des pays précurseurs en matière d’aide à la production en mettant en place un système de prélèvement sur les recettes des salles qui a largement contribué au financement de la cinématographie tunisienne. Ce système et cette économie du cinéma mise en place au milieu des années 1980 ont été au cœur du printemps de la création cinématographique tunisienne qui nous a permis d’avoir des chefs d’œuvre comme les Silences du palais de Moufida Tlatli, Halfaouine de Férid Boughedir, les sabots d’or de Nouri Bouzid…Ce système a séduit beaucoup d’autres pays et a fait des émules notamment au Maroc. Mais, il a atteint rapidement ses limites avec la diminution du nombre de salles et la baisse des entrées ce qui a amené le gouvernement à consacrer une dotation annuelle dans le cadre du budget de l’Etat en faveur du ministère de la culture au profit de l’aide à la production. Une aide qui devient incapable de répondre à la prolifération des projets et des rêves.
D’autres pays, dont le Maroc, qui ont adopté notre système d’aide à la production ont su le faire évoluer en introduisant de nouvelles recettes notamment sur les recettes publicitaires des télévisions et récemment de nouvelles taxes sur les nouvelles technologies de l’information et particulièrement sur la téléphonie mobile. Plusieurs associations et acteurs de la scène cinématographique nationale appellent à la nécessité d’une évolution du système de financement du cinéma et l’introduction de nouvelles sources de financement en s’inspirant de l’exemple marocain.
Je partage l’exigence et la nécessité d’une évolution du système de financement de la production nationale du cinéma en Tunisie afin de dégager les moyens nécessaires pour continuer et poursuivre le rêve et l’utopie. A ce propos, il nous paraît important de réfléchir sur les nouvelles sources de financement. Cette réflexion doit être marquée de prudence et prendre en considération le rejet et l’aversion de l’opinion publique de nouvelles recettes fiscales qui pèsent sur les revenus ou sur la consommation. En même temps, les crises des finances publiques dans nos pays font que les nouvelles recettes sont destinées en priorité pour financer les déficits croissants et ne contribuent pas nécessairement au financement du secteur pour lequel ils ont été initiés.
En même temps, nous devons explorer de nouvelles options et particulièrement la participation du secteur privé dans le financement de la production cinématographique et culturelle en général. A ce propos notre pays dispose avec la loi de finances complémentaire de 2014 probablement de la législation la plus généreuse en matière de mécénat. A nous mieux la faire connaître et de mettre en place les institutions, notamment des fondations, capables de collecter les fonds des entreprises privées et de les mettre à la disposition des créateurs et des metteurs en scène.
On reviendra la semaine prochaine sur l’autre versant du développement de l’industrie cinématographique nationale en attirant les grands tournages sous nos cieux.
A suivre.