Pour que la fête du cinéma continue (2) !

Le second pilier du développement de l’industrie cinématographique en Tunisie est lié au tournage de films dans notre pays et à notre capacité à attirer de grands tournages qui auront de forts impacts sur l’emploi d’une main d’œuvre spécialisée dans cette industrie que nos différents instituts et écoles de formation produisent tous les ans. Par ailleurs, le tournage de grands films dans notre pays peut aussi avoir des effets sur le tourisme avec la visite de ces sites pour voir les décors dans lesquels ont été tournés de grands films ou de grandes séries télé.

Pour comprendre l’importance de cette question, il faut souligner que la production cinématographique a connu un changement au début des années 1970. En effet, concentrée jusque-là dans les grands studios hollywoodiens, elle a connu une importante délocalisation et les grands majors ont déserté leurs studios à la recherche de nouveaux endroits de tournage. La Tunisie a été un des premiers pays à bénéficier de ce mouvement avec notamment le tournage de la Guerre des étoiles en 1976. Le producteur Tarek Ben Ammar a été en mesure d’attirer le tournage d’un certain nombre d’autres grands films en Tunisie dont notamment Le Messie de Roberto Rossellini ou Pirates de Roman Polanski.

Cette tendance à la délocalisation à travers le monde de la production cinématographique s’est poursuivie et les pays en quête de tournage sont légion aujourd’hui et se font une rude concurrence pour attirer les stars du rêve global. Près de trente pays ont mis des institutions spécialisées dans l’attraction de grands tournages. En Islande qui est devenu un lieu de prédilection pour les séries américaines dont « Game of Thrones » c’est Film in Iceland qui a pour tâche de vendre cette destination pour les producteurs étrangers. Mais, c’est le Royaume-Uni qui détient la palme d’or et qui attire près de 60% du total des dépenses des studios américains en dehors d’Amérique du Nord. Parmi ces pays on trouve également nos voisins marocains, l’Allemagne, la Nouvelle Zélande, l’Afrique du Sud et la Lituanie entre autres. Même la France, qui s’est longtemps limitée à encourager la production nationale s’est également mise à concurrencer les autres pays et à chercher à attirer les producteurs étrangers.

Dans cette concurrence pour accueillir les producteurs étrangers, trois éléments jouent un rôle essentiel. Le premier concerne les incitations fiscales et plusieurs pays accordent des crédits d’impôt y compris pour les salaires des grandes stars internationales, particulièrement la Grande Bretagne. La France vient de faire évoluer son système fiscal et les incitations accordées par le gouvernement français à partir du 1ier janvier 2016 iront jusqu’à 30% de crédit d’impôt sur les dépenses réalisées avec un plafonnement de 30 millions d’euros.

Mais, les incitations fiscales comme pour d’autres secteurs, ne sont pas les seuls arguments pour attirer les producteurs étrangers. Il faut également souligner la qualité des décors naturels et sa grande diversité. C’est le grand avantage de l’Islande avec le parc naturel de Thingvellir où une partie de la série « Game of Thrones » a été tournée ou le Maroc et ses paysages désertiques et la France avec ses musées et ses lieux historiques.

Enfin, le troisième élément qui contribue à l’attrait d’un site pour les studios et les producteurs concerne la présence d’une main d’œuvre qualifiée et de techniciens compétents dans tous les domaines de la production cinématographique. C’est cet élément qui explique l’attrait du site français pour un grand nombre de producteurs.

L’intérêt du développement d’une industrie nationale de production cinématographique et d’attirer des producteurs étrangers se situe au moins à trois niveaux. Le premier est lié aux dépenses effectuées par les grands producteurs localement. A ce niveau, on peut mentionner par exemple que les grandes productions américaines peuvent injecter jusqu’à 450 000 euros par jour sur les lieux de tournage. Le second est lié à la création d’emplois dans l’industrie cinématographique nationale et ces tournages ont créé près de 400 000 emplois au Canada en dix ans. Le troisième impact concerne le développement d’un nouveau type de tourisme sur les lieux de tournage. Ainsi, par exemple on estime que les recettes touristiques en Islande, où une partie de la série de « Game of thrones » a été tournée, ont augmenté de 77 millions d’euros. En Tunisie jusqu’à aujourd’hui, les lieux de tournage de la Guerre des étoiles continuent à attirer des touristes en dépit de la dégradation des installations.      

Où en est aujourd’hui la Tunisie dans ce domaine et sommes concurrentiels par rapport à d’autres pays pour attirer des grandes productions mondiales ? A ce niveau, il faut souligner que notre pays a été un des premiers bénéficiaires de cette délocalisation de la production cinématographique. Mais, cette attraction s’est diluée au cours des années au profit d’autres concurrents notamment le Maroc dans notre région. Et, pourtant, notre pays dispose d’importants avantages comparatifs notamment au niveau de la qualité et de la diversité de nos paysages naturels. Par ailleurs, la Tunisie dispose aujourd’hui d’un important système de formation qui produit bon an mal an près de 300 techniciens de haut niveau dont une grande partie est employée aujourd’hui dans les grands tournages au Maroc. Par ailleurs, les prix récoltés par nos techniciens, notamment récemment avec le grand chef d’œuvre de Abderrahmane Sissako « Timbuktu », témoigne si preuve en est de la qualité de nos techniciens. Reste peut-être un effort à faire au niveau fiscal pour rendre à la Tunisie son attractivité.

La Tunisie a été un des premiers pays africains et arabes à donner au rêve et à l’utopie cinématographique sa place. Ce rêve s’est poursuivi durant les années autoritarisme et a bénéficié de l’ouverture démocratique post-révolution pour exprimer sur les grands écrans notre quête d’avenir et de nouvelles expérimentations politiques et sociales. Mais, la poursuite de ce rêve a besoin aujourd’hui d’une véritable industrie cinématographique pour appuyer la création locale et attirer de grandes productions internationales. L’adoption de la loi sur le mécénat est un grand pas dans cette direction pour intéresser le secteur privé. Mais, nous avons besoin aujourd’hui d’un nouveau projet pour permettre à la nouvelle utopie cinématographique de se poursuivre et de se renforcer.      

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