Pour sortir de la crise économique : une accalmie sociale est-elle possible ?

Un mois après ses prises de fonction, le chef du gouvernement se trouve déjà devant une vague de protestations sociales. L’UGTT, tantôt en réclame la responsabilité, tantôt elle accuse des organisations syndicales proches d’Ennahdha d’être derrière ces mouvements. Une chose est sûre, on est loin d’une «accalmie sociale» nécessaire à la sortie de la grave crise économique.

 

Grève des receveurs des recettes des finances, des transporteurs des carburants, des employés de  la société Carrefour, de ceux de Tunisie Autoroutes et bientôt, le 26 mars, grève des agents de la Poste. Des grèves qui se multiplient au nom de revendications sociales.

Un air de déjà-vu, à l’avènement de chaque gouvernement. Seule différence, c’est que celui de Mehdi Jomâa est formé totalement de technocrates et qu’il est le fruit d’un consensus national. Il devrait bénéficier de l’appui de toutes les parties et spécialement de la Centrale syndicale qui était la première à le cautionner durant les négociations du Dialogue national. Or, ce n’est pas l’avis de l’UGTT. «Nous ne lui avons pas donné un chèque en blanc», dixit Sami Tahri, Secrétaire général adjoint et porte-parole de l’UGTT. Pour lui, la Centrale syndicale a déjà accepté de ne pas réclamer d’augmentations de salaire pendant toute l’année 2013 afin de préserver l’économie. Il est donc impensable de poursuivre la même politique en 2014. Car il s’agit là d’un enjeu majeur : la préservation du pouvoir d’achat, déjà fragilisé, du Tunisien. «Ce n’est pas normal que chaque fois qu’il s’agit de relancer l’économie, la seule mesure prise par le gouvernement est de taxer davantage le citoyen !», s’indigne-t-il. À cet effet, il rappelle la dégradation du pouvoir d’achat qui dépasse les 25%, alors qu’elle se situait d’habitude entre 6 et 13%. «Du jamais vu !».

 

Pas question de pénaliser davantage le citoyen !

L’UGTT estime qu’il y a un problème de mauvaise gestion des ressources de l’État par les gouvernements précédents ainsi qu’un laisser-aller par rapport à la lutte contre la fraude fiscale et la contrebande. «Où sont allés les 25 milliards empruntés par l’État ces trois dernières années? Nous exigeons de la clarté concernant cette question et l’identification des responsables, plutôt que de pénaliser davantage le citoyen», note S. Tahri.

Que veut alors l’UGTT ?

La reprise des négociations sociales, l’application des accords sur l’augmentation des salaires qui devraient toucher le SMIG et le SMAG et la révision des subventions de l’État sur les produits de base, sans toucher les catégories sociales les plus vulnérables. La Centrale syndicale est catégorique quant à ces revendications.  Elles étaient d’ailleurs à l’ordre du jour lors de la rencontre du 12 mars, entre les membres du Bureau exécutif de l’UGTT et Mehdi Jomâa. Une rencontre qui a abouti à un ensemble de décisions dont la révision du SMIG et du SMAG, la réactivation de la commission 7+7 (sept membres du gouvernement et sept membres du Bureau exécutif de l’UGTT), instituée lors du gouvernement de Hamadi Jebali (ses activités ont été bloquées pendant le gouvernement Laârayedh) et la tenue de réunions régulières communes.

 

Accusations

L’UGTT refuse qu’on l’accuse de travailler contre les intérêts du pays en insistant sur l’obtention d’augmentations salariales, alors que la Tunisie se trouve endettée de 13 milliards de dinars pour cette année dont 4.5 milliards sont toujours à trouver pour boucler le budget de l’État. Le recours à l’arme de la grève a été jugé excessif par plusieurs parties dont l’UTICA. Dans un communiqué publié récemment, la Centrale patronale a mis en garde «contre les risques de ce recours exagéré, en cette conjoncture, aux grèves et aux sit-in qui pourraient paralyser l’appareil de production et endommager les intérêts de l’économie nationale, d’autant plus qu’elles ont un impact néfaste direct et immédiat sur l’évolution des investissements et la création de nouveaux emplois». Même réaction de la part de CONNECT, (la deuxième organisation patronale, créée après la Révolution) qui a exprimé dans un communiqué, son indignation quant au fait «que les  mouvements  de grèves ont  touché des secteurs stratégiques et vitaux à l’instar du  transport, des ports, la douane et les recettes fiscales,  les IDE et l’exportation entraînant la paralysie de l’activité économique et des perturbations fréquentes des mouvements d’import et d’export de matières et produits.»

Or, l’UGTT considère au contraire qu’elle est en train de défendre l’intérêt du citoyen en refusant son appauvrissement systématique. Elle rappelle à cet égard que le nombre des grèves a été réduit de 24% en 2013 par rapport à  2012 et de 30% par rapport à 2011 et que le nombre de journées de travail perdues à cause des grèves a enregistré une baisse de 7% par rapport à 2012 et de 27% par rapport à 2011. Mais qu’en est-il alors  de «l’accalmie sociale» demandée par Mehdi Jomâa ?

 

Les conditions pour un dialogue social

«Ce que nous avons saisi du discours du chef du gouvernement est qu’il s’agit de diminuer les grèves anarchiques et les sit-in dans les villes, dont nous ne nous sommes pas responsables. Nous ne pouvons pas lui accorder (à M. Jomâa) de trêve sociale, car le pays n’est pas en état de guerre», explique S. Tahri.

Reste que l’UTICA, pose cette «accalmie sociale» comme condition sine qua non à la reprise des négociations sociales. «Pour nous, c’est une condition naturelle pour reprendre le dialogue social. Elle ne peut se réaliser qu’à travers l’application de la loi  et le passage par les différentes étapes de négociations à l’intérieur de l’entreprise, avant de décider la grève. Mais le recours direct à cette mesure et les grèves anarchiques vont entraver l’esprit de dialogue et l’application de la loi», souligne Khalil Ghariani, membre du bureau exécutif de l’UTICA. «On ne peut pas discuter sous la pression», insiste-t-il

Pourtant ces derniers jours une série de réunions a eu lieu entre les deux Centrales. Des réunions ayant permis de résoudre des problèmes au sein de certaines entreprises, mais surtout de fixer les conditions et la date du démarrage des négociations sociales. D’autres sont prévues cette semaine. L’objectif cette fois est de préparer le terrain pour la reprise du dialogue.

 

Une Centrale syndicale qui ne contrôle pas ses bases

Toutefois, la recrudescence des grèves a révélé une nouvelle donne qui est l’incapacité de l’UGTT à contrôler ses bases. En témoigne la grève des employés de la Finance qui a duré environ une semaine. En effet, malgré la conclusion d’un accord entre le ministère des Finances, celui des Affaires sociales et l’UGTT pour accorder aux employés les primes demandées, la grève a continué de manière anarchique, mettant ainsi dans l’embarras la Centrale syndicale. Cette dernière n’a pas hésité à désigner le coupable : l’Organisation tunisienne du travail (OTT, créée le 26 août 2013) et réputée proche d’Ennahdha et des LPR (ligues de protection de la Révolution). Plusieurs membres du Bureau exécutif de l’UGTT n’ont cessé de marteler que leur organisation est sujette à des tentatives de la part de «certaines parties» de «semer le doute autour des accords conclus par l’UGTT », ce que Mohamed Lassad Abid,  le Secrétaire général de l’OTT a nié catégoriquement.

Sommes-nous face à la politique de l’arroseur arrosé ? L’UGTT qui, tout au long du règne de la Troïka a multiplié les grèves pour dénoncer les politiques économiques et sociales, se trouve aujourd’hui confrontée à des éléments en provenance de sa base et proches d’Ennahdha et du CPR qui tentent de porter atteinte à sa crédibilité devant le peuple tunisien et par la même occasion, d’affaiblir le gouvernement Jomaâ.

L’économiste Chokri Ben Amara, estime que «des organisations syndicales marginales, proches de la Troïka, sont en train de faire de la surenchère et désirent embarrasser l’UGTT. Mais cela prouve en même temps que la Centrale syndicale ne contrôle pas bien ses bases». Si l’UGTT ne se trouve réellement pas concurrencée par ces organisations, créées après la Révolution, dans le cadre de la pluralité syndicale, elle aurait néanmoins à craindre que celles-ci profitent des divisions internes, notamment entre certains syndicats de base et le bureau exécutif central. C’est à elle, donc, de régler ses problèmes internes, car les conséquences touchent à la stabilité du pays. Et du coup,  «l’accalmie sociale» dont parlait Jomâa, est impossible.

Hanène Zbiss

 

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