Pour sortir de l’impasse: Un plan national de salut pour cinq ans

Au cours d’une allocution télévisée qui a duré, à peine,  8 minutes, le Chef du gouvernement a réaffirmé que le “défi de faire sortir notre pays du marasme est énorme, mais nous sommes déterminés à le relever avec succès”.

Habib Essid s’empresse cependant d’ajouter “remporter le défi constitue une responsabilité collective, il revient à toutes les composantes de la Tunisie de se mobiliser pour parvenir à nos objectifs de développement et de progrès”.

Dès lors le décor est planté, l’état des lieux brossé par le Chef du gouvernement est grave tandis que les mesures et actions à entreprendre semblent  peu précises, insuffisantes et incomplètes. Toujours est-il que le principal nouveau vecteur de ce plan de salut national est le plan  de développement 2016-2020.

L’examen des  actions majeures prévues par le gouvernement pour sortir le pays de l’impasse ainsi que leurs facteurs de succès ou d’échec, laisse dubitatif.

Un état des lieux difficile et complexe.

Le président de la République, lors de la commémoration du 59e anniversaire de l’Indépendance le 20 mars a été encore plus direct qualifiant la situation économique et sociale du pays de  “très mauvaise”.

Les principaux indicateurs économiques et financiers sont là pour en témoigner.  Un taux d’investissement tombé à 21% et un niveau  d’inflation élevé à 5,6%, une  croissance fragile et molle, soit 2,3%, et un  déficit budgétaire  2015 de plus de 5 milliards de dinars.

Le taux d’endettement extérieur est de 54% du PIB et le commerce extérieur accuse un déficit de l’ordre de 14 milliards de dinars en 2014.

La notation souveraine par les agences internationales a baissé à BBB moins avec perspectives négatives au point de constituer un risque pour les bailleurs de fonds. Le taux de créances bancaires carbonisées est de 15% en moyenne. Le taux de change du dinar par rapport au dollar s’est effondré soit plus 2 dinars pour 1 dollar alors que vis-à-vis de l’euro, il demeure bas : 2,15 D pour 1 euro.

Le taux de chômage est de 15% de la population active,  celui des diplômés du supérieur avoisine les  31%.

28 sociétés nationales accusent un déficit abyssal de 3,5 milliards de dinars.

Seule embellie : la baisse des prix du pétrole.

Terrorisme : notre pays est dans la zone orange

C’est la priorité absolue surtout depuis l’acte criminel odieux perpétré au musée du Bardo par deux terroristes le 18 mars. Certes, il faudra d’abord renforcer les effectifs des forces de sécurité et de l’Armée mais aussi acquérir des équipements appropriés,  hélicoptères équipés pour défendre les frontières, appareils pour la vision nocturne, gilets pare-balles,… Tout cela suppose des ressources financières supplémentaires à trouver outre l’aide internationale.

Encore faut-il avoir une stratégie intégrée et efficace pour lutter contre le terrorisme, ce qui n’est pas encore le cas pour le moment même après l’annonce des mesures prises le 19 mars. L’union nationale s’impose pour lutter contre le terrorisme. La lutte contre la contrebande qui le  finance s’impose également.

Or même s’il y a une volonté de lutter contre la contrebande qui sévit aux postes frontaliers, elle n’arrive pas à se concrétiser sur le terrain en raison de la pression exercée par les barons de la contrebande et leurs acolytes  et  de la pauvreté qui sévit dans ces zones frontalières.

L’efficacité de cette lutte sera relative, faute de moyens logistiques,  mais aussi de projets de développement et de création d’emplois dans ces zones. La responsabilité du gouvernement est engagée.

Préserver la paix sociale durant deux ans

En tirant la sonnette d’alarme,  le Chef du gouvernement se propose de négocier avec l’UGTT pour accorder des augmentations salariales aux fonctionnaires pour 2014 et 2015. Une façon de garantir la paix sociale pendant deux ou trois ans.

Après les augmentations de la fonction publique qui coûteront 200 millions de dinars pour 2014, ce sera le tour des enseignants, ensuite pourquoi pas d’autres corporations ?

Un congrès international pour l’investissement

Le gouvernement projette d’organiser, en novembre prochain, une conférence internationale des bailleurs de fonds afin de stimuler  la croissance économique du pays à travers le financement de grands projets de développement. Cette conférence sera une sorte de copie du  forum “l’investissement” en Tunisie : start-up de la Démocratie” qui a été organisé  en septembre 2014, par le gouvernement de Mehdi Jomâa, sans résultats palpables.  C’est à se demander où est la continuité de l’Etat et que fait la commission de suivi ? Si chaque fois que l’on change de ministres on jette aux oubliettes les projets et les dossiers antérieurs, on efface tout et on recommence à zéro !

On pourrait juste mettre à jour les projets en l’objet, réajuster la stratégie de développement et gagner un temps précieux en reprenant  contact avec les investisseurs et les financiers venus à Tunis en septembre en disant que maintenant on a des institutions stables.

Il y a probablement un manque de suite dans les idées chez nos responsables et d’efficacité bien sûr.

Comment créer un climat propice à l’investissement ?

Préoccupé par la relance de la croissance économique, Habib Essid se propose de réaliser les préalables à un climat favorable à l’investissement. A ce propos, il est urgent de résoudre le problème des hommes d’affaires interdits de voyage, qui sont au nombre de 40 et parmi lesquels se trouvent des investisseurs potentiels importants. Lorsqu’il y a des chefs d’accusation, étayés de preuves, il appartient à la justice de se prononcer. Pour les autres, le gouvernement pourrait lever l’interdiction. Cependant deux textes de lois décisifs trainent depuis plus de trois ans et peinent à voir le jour pour diverses raisons dont l’inertie des politiques et/ou de l’Administration pour ne pas dire mauvaise volonté.

Il y a le Code de l’incitation à l’investissement dont la nouvelle copie serait prête dans trois mois, promet  le Chef du gouvernement. Toute la question est de savoir si ce texte soit vraiment incitatif vis-à-vis des investisseurs surtout pour les régions intérieures du pays ?

Il y a ensuite  la loi sur le partenariat public-privé qui devrait  être adoptée rapidement par l’ARP, car elle permettra de favoriser la réalisation de grands projets d’infrastructure pour lesquels l’Etat n’a pas les financements nécessaires.

Gel des prix pour les produits non homologués 

Afin de changer la perception du citoyen de l’action du gouvernement, le gouvernement Essid se propose, parmi ses actions à court terme, de procéder au gel des prix des produits non homologués durant six mois.

Et plus tard comment faire ? L’inflation persiste, il n’y a pas de stratégie efficace et concertée de lutte contre la vie chère. Les tentatives n’ont pas été très concluantes, jusqu’ici . Les résistances ne manquent pas : refus de vente et grève des revendeurs de fruits et légumes. La lutte contre la pollution sera engagée incessamment, en particulier en vue d’améliorer la qualité  de l’environnement urbain pour ce qui est de l’enlèvement des déchets domestiques et gravats du bâtiment qui polluent le paysage urbain et les terrains vagues.

Une nouvelle stratégie de développement

Le Chef du gouvernement admet la nécessité de réaliser des reformes structurelles profondes qui exigent cependant un large consensus de la part de toutes les forces vives de la nation. Elles  doivent être intégrées dans une vision globale claire avec des objectifs précis pour tous les acteurs de la société,  d’où l’obligation de mettre au point une stratégie de développement pour laquelle il faudrait mobiliser les ressources financières nécessaires à sa concrétisation.

C’est pourquoi Habib Essid a annoncé la volonté de son gouvernement de mettre en point  un plan de développement quinquennal 2016-2020 destiné à revoir la vision de développement économique et sociale de façon progressive selon une démarche orientée vers l’efficacité, l’équilibre, la transparence et l’équité.

Les orientations de ce plan seront conformes aux objectifs de la Révolution, une note de synthèse concise relative aux orientations stratégiques de ce plan sera prête fin mars et comportera les orientations stratégiques du premier plan post-révolution qui sera soumis à une large consultation.

Parmi les principales orientations à réviser figurent le modèle de développement qui doit être fondé sur la complémentarité du secteur public-privé, l’économie  sociale et solidaire ainsi que la promotion des activités à haute valeur ajoutée et à contenu technologique élevé.

Le gouvernement  se propose  de réformer le secteur financier et bancaire ainsi que la fiscalité.

En ce qui concerne les banques publiques, nous n’avons pas encore perçu des injections de fonds dans les capitaux des trois banques pour renforcer leurs fonds propres ou encore des augmentations de capital à la Bourse par appel public à l’épargne afin de recapitaliser les trois banques. Ce qui n’est pas un but en soi, l’objectif étant de favoriser le financement des entreprises. Il y a beaucoup de lenteurs dans les formalités, un manque d’empressement et de dynamisme pour redresser la situation. Il y a des hésitations préjudiciables à la relance économique et à l’efficacité de l’action gouvernementale.

Biens confisqués : comment éviter la dégradation ?

Habib Essid admet que le dossier des biens confisqués est complexe et n’a pas été correctement géré, que leur valeur s’est dégradée avec les années et qu’il s’agit d’un dossier lourd comportant 516 sociétés et 519 biens fonciers.

Tout cela est du à l’absence d’une stratégie de l’Etat transparente en la matière. Il a promis d’accélérer le traitement de ce dossier sans donner plus de précisions. Il faut dire que pour le rapatriement des fonds en devises détenus à l’étranger par la famille du Président déchu, il n’y a pas eu de résultats concrets faute d’efforts méthodiques de suivi de la part des autorités tunisiennes. Entre-temps ces fonds sont en train de s’évanouir, de s’épuiser, d’être virés ailleurs sans laisser d’adresse ou de trace.

Les mauvaises langues prétendent qu’il y a un manque de volonté de récupérer ces fonds de la part des gouvernements successifs. Pour ma part je dirais qu’il y a un manque de moyens humains et matériels à la disposition de la justice pour garantir des résultats concrets ou encore un manque d’habilité dans les démarches entreprises.

Un silence inquiétant sur des problèmes vitaux

Le Chef du gouvernement est resté presque muet sur des questions brûlantes comme la recrudescence des perturbations sociales et des revendications salariales, qui perturbent la bonne marche de certains secteurs vitaux comme les phosphates.

Certes, il a incité timidement les Tunisiens à se remettre au travail sans que cela paraisse comme déterminant ou impératif. C’est comme s’il ménageait l’opinion publique.

Rien n’a été annoncé pour améliorer à court terme le marché de l’emploi, lutter contre la pauvreté endémique dans les régions défavorisées ou encore entreprendre la réforme relative à la décentralisation du pouvoir dans les régions pour se positionner à moyen terme. Aucune mention n’a été faite de la lutte contre la corruption ni de la réforme de l’Administration. On dirait qu’il a évité de parler  des décisions qui fâchent,  des réformes douloureuses.

A mon sens, au lieu d’aggraver encore plus l’endettement extérieur du  pays, il faudrait se focaliser plus sur  l’évasion et l’injustice fiscales.

Ridha Lahmar

Related posts

Nouvelles règles d’origine : une révolution silencieuse pour le commerce extérieur ?

Sarra Zaafrani Zenzri insiste sur l’implication des banques dans la relance économique

Lancement officiel de la plateforme “Eco Tous”