A la veille du septième anniversaire de la Révolution, le peuple se heurte à des augmentations de prix à grand fracas, alors que le pays peine à sortir de l’ornière. Malédiction pour un peuple qui aspire à un avenir meilleur ou nécessité pour les réformistes ? « Trahison » des députés ou absence d’alternative pour le gouvernement ? Pure coïncidence ou rigueur politique ? Mal nécessaire ou choix délibéré ?La réalité est que le pays traverse des moments difficiles et ne peut supporter davantage de tiraillements, de conflits et de surenchères. Par ailleurs, s’il y a divergence sur la manière de mener les rééquilibrages requis, il y a unanimité de toutes les parties prenantes sur la nécessité de réformer et faire bouger les choses.
A vrai dire, le gouvernement est conscient des mécontentements sociaux à l’adoption de certaines mesures annoncées dans le cadre de la mise en œuvre du budget de l’Etat pour l’année 2018. Mais en même temps, le gouvernement a fait savoir qu’un ajustement budgétaire s’impose pour rétablir la situation des finances publiques et du coup, le grand public devait s’attendre à des réformes et mesures « douloureuses ». En approuvant les dispositions de la loi de Finances, les députés sont supposés être persuadés de la justesse des orientations des politiques publiques.
De surcroît, le gouvernement s’est concerté sur les choix fiscalo-budgétaires avec l’ensemble des partenaires socio-économiques et acteurs politiques, avant et après soumission du projet du budget et de la loi de Finances à l’Assemblée des représentants du peuple. En atteste, l’accord de non augmentation des prix des produits de consommation de base en 2018 entre le gouvernement et la Centrale syndicale. Serait-il ainsi « hypocrite » de contrer par attitude populiste les politiques gouvernementales tout en donnant au gouvernement sa « bénédiction »?
Peu importe les réactions, les critiques, les intérêts et les subterfuges, le premier grand défi pour le gouvernement est de savoir convaincre la population de la nécessité des réformes mises et à mettre en œuvre et des bienfaits à terme, des choix retenus. Le second grand défi est de compenser les effets pervers éventuels de certaines mesures « douloureuses » pour gagner en crédibilité.
Savoir convaincre
La réussite des réformes structurelles exige une bonne communication des autorités publiques. Laquelle communication implique cohérence et coordination. Les oppositions observées par le passé doivent éclairer la pédagogie des réformes aussi bien au niveau de la conception qu’au niveau de l’application. L’effort de persuasion à mener par le gouvernement est crucial pour convaincre la population que les réformes sont dans l’intérêt général et que la situation présente ne peut pas perdurer.
C’est ainsi que les mesures inscrites dans la loi de Finances en particulier et le programme économique et social du gouvernement en général, doivent être bien expliquées au public. La récente hausse ainsi que les augmentations en vue des prix moyennant la fiscalité indirecte ou les tarifs de base, pourront être en mesure de « discréditer » l’action publique, à même d’ébranler la stabilité sociale, de par leur effet sur le pouvoir d’achat du citoyen, si la politique du gouvernement n’est pas bien comprise par la population et non suffisamment transmise à l’opinion publique.
Un effort de communication particulier est de mise dans les circonstances actuelles. Les autorités publiques sont appelées à informer et sensibiliser les parties prenantes de la nécessité des réformes et, plus particulièrement, des coûts implicites de la non-réforme et les prix du statu quo à payer.
Tout d’abord, une information à l’avance des agents économiques sur les réformes à venir, peut permettre de réduire les coûts d’ajustement à court terme, car elle leur donne les moyens de se préparer et du coup éviter d’avoir un choc brutal à l’annonce de la mesure. Ensuite, les contraintes majeures qui s’exercent sur les finances publiques motivent l’urgence d’engager des réformes, notamment au plan de la rationalisation des dépenses courantes, afin de dégager un surplus budgétaire susceptible de financer les dépenses d’investissement public, nécessaires à l’amélioration des conditions de vie et au soutien de la croissance économique à long terme.
Cet effort de communication va également pour les autres réformes liées à la fiscalité, à la retraite, aux entreprises publiques, aux subventions, etc. Mais pour être suffisamment acceptée, toute réforme doit prévoir un coût d’indemnisation.
S’efforcer d’indemniser
Comment vaincre la résistance au changement ? C’est la question essentielle à laquelle il faut trouver une réponse avant l’engagement de toute réforme.
Le principe est qu’il peut être nécessaire de prendre des mesures compensatoires pour les populations les plus exposées à des pertes de revenu à court terme, suite à certaines mesures « sensibles » grevant le niveau de vie. Ce choix peut grever la situation des finances publiques, mais il est acceptable tant qu’il permet d’imposer une réforme améliorant la soutenabilité budgétaire.
Certes, il n’en demeure pas moins que les réformes structurelles restent toujours beaucoup plus faciles à mettre en œuvre quand l’économie se porte bien, car il y aura moins de personnes qui pourront craindre d’être perdantes. Néanmoins, la dégradation de la situation des finances publiques fait qu’il importe de prendre les mesures correctives appropriées. Ces mesures, parfois de nature cruelle, appellent des contre-mesures compensatoires pour alléger la douleur.
Il est question tout d’abord, de maîtriser, vaille que vaille, la flambée des prix. Les tensions inflationnistes qui marquent la conjoncture économique sont elles-mêmes sources « d’ébullition », sans compter l’impact des derniers développements économiques. Le gouvernement doit persévérer dans sa politique de contrôle des circuits de distribution et des accords de modération de prix avec les professionnels et les commerçants.
Par ailleurs, l’inversion de la tendance de fond des prix demeure la condition sine qua non de la maîtrise de l’inflation et du coup, l’atténuation des retombées des augmentations des prix de certains produits administrés et des impôts indirects, en l’occurrence la TVA et les droits de consommation.
Contrairement aux idées reçues, les augmentations de salaires ne pourront en aucune façon corriger une baisse éventuelle du pouvoir d’achat. Bien au contraire, elles ne pourront par-là qu’attiser les tensions inflationnistes.
Il s’agit ensuite d’étudier la possibilité de renforcer la situation matérielle des populations vulnérables aux mesures d’ajustement budgétaire pour compenser les effets défavorables sur leur revenu et niveau de vie. Des aides en nature appropriées sont également de nature à minimiser certains effets non désirés.
Le plus important, c’est de montrer que le gouvernement est résolument tourné vers la réforme, le pragmatisme et le résultat sans pour autant s’inscrire dans une logique d’austérité. Le plus important est de rendre le tempérament des Tunisiens enclin à l’optimisme et de catalyser le changement en fêtant l’anniversaire de la Révolution.
Mais aussi, toutes les parties prenantes doivent être conscientes qu’elles aient une part de responsabilité dans la résolution de la crise et qu’elles ne doivent pas « jeter encore de l’huile sur le feu ». Parce qu’on ne peut convaincre les gens d’aller aux urnes pour fonder le pouvoir local tout en regardant la fête de la Révolution avec désobligeance.
Alaya Becheikh