Le forum Tunisia Digital Summit, qui s’est tenu les 29 et 30 avril 2025 à Tunis, a été l’occasion de mettre en avant les enjeux actuels de la digitalisation des services publics. Sous l’égide de TPM Events, cet événement a porté sur «La digitalisation et le rôle social de l’État : bâtir des services publics inclusifs», un sujet qui illustre les efforts de la Tunisie pour adapter ses institutions publiques aux défis du monde numérique.
Par Rania Hammami*
Dans un contexte de transformation numérique en pleine évolution, la Tunisie cherche à réinventer son avenir en intégrant les technologies au service de tous ses citoyens, afin de construire des bases solides pour un développement durable et inclusif. Cette dynamique vise à moderniser l’administration et à offrir des services accessibles à tous, contribuant ainsi à l’évolution du pays vers un modèle plus inclusif et durable. Cet article explore les stratégies en cours et les initiatives marquant ce virage numérique ambitieux pour l’avenir de la nation.
A la croisée des chemins
A l’heure où la compétition mondiale se joue désormais sur le terrain du numérique,
la Tunisie se retrouve à la croisée des chemins. Malgré des défis persistants – bureaucratie lourde, fracture numérique et intégration technologique insuffisante – le pays amorce une révolution silencieuse qui promet de redéfinir son avenir. Ce virage digital ne se limite pas à une simple modernisation, il représente une réponse innovante aux problèmes structurels
et une opportunité stratégique pour renforcer la compétitivité nationale.
Prenons l’exemple de l’administration publique, historiquement critiquée pour sa lenteur et son opacité. Aujourd’hui, grâce au portail eBawaba, plus de 120.000 documents administratifs sont accessibles en ligne, simplifiant les démarches et redonnant aux citoyens le moyen de contrôler leurs interactions avec l’État. Parallèlement, le système d’identité digitale « EHouwiya » sécurise l’accès aux services numériques, y compris pour les Tunisiens vivant à l’étranger, illustrant la capacité du pays à repenser ses fondations administratives.
Dans l’industrie, l’intégration des technologies de pointe – intelligence artificielle, Internet des objets et réalité virtuelle – transforme des pôles technologiques tels que El Ghazala Technopark et Novation City. Cette première technopole tunisienne, qui réunit plus de
90 entreprises, de startups locales à des multinationales comme Microsoft ou Ericsson, joue un rôle crucial dans la recherche et l’innovation. D’un autre côté, des pôles spécialisés, comme celui de Sidi Thabet dédié aux biotechnologies et à l’industrie pharmaceutique, témoignent de la diversification des secteurs soutenus par la digitalisation.
Le secteur éducatif, moteur de développement, connaît également une transformation radicale. Des initiatives ambitieuses telles qu’Edunet 10 connectent plus de 3 300 écoles via un réseau de fibre optique, garantissant ainsi à 1,5 million d’élèves un accès haut débit et des ressources pédagogiques interactives. La numérisation du patrimoine culturel, incarnée par la plateforme de la Bibliothèque nationale, ouvre, quant à elle, de nouvelles perspectives pour la recherche et l’accès à l’information.
Dans le domaine de la santé, la transformation digitale au sein de la CNAM est en cours, mais des défis subsistent. Bien que des initiatives aient été lancées pour digitaliser la gestion des dossiers médicaux et les processus de remboursement, le recours aux documents papier reste encore courant, freinant ainsi la fluidité des procédures. Cette transition, menée par des équipes de professionnels de la santé et d’experts en informatique, met en lumière le potentiel du digital pour révolutionner un secteur essentiel, tout en révélant la nécessité d’accélérer la dématérialisation complète.
Enfin, l’écosystème entrepreneurial tunisien est en pleine effervescence. Soutenu par des incubateurs et des initiatives comme le programme « Startup Tunisia » et le Tech Show d’El Ghazala Incubator, ce dynamisme offre aux jeunes entrepreneurs des opportunités concrètes de présenter leurs innovations, d’obtenir des financements et de nouer des partenariats stratégiques. Des startups prometteuses illustrent déjà la capacité du pays à transformer des idées en projets économiquement viables.
Cependant, malgré ces avancées, la digitalisation en Tunisie demeure confrontée à des obstacles majeurs. Alors que les zones urbaines bénéficient d’infrastructures numériques performantes, de nombreuses régions rurales restent mal desservies, limitant l’accès aux services digitaux pour une partie significative de la population. Par ailleurs, la persistance de pratiques administratives traditionnelles, marquées par un usage important du papier et une résistance au changement, ainsi que le déficit en compétences numériques, freinent une transition complète. Ces limites soulignent l’urgence d’une stratégie coordonnée
et d’investissements accrus pour libérer tout le potentiel de cette transformation.
Un avenir plus prospère et plus agile
En combinant ces initiatives interconnectées, la Tunisie se dote des outils indispensables pour se réinventer. Face aux défis du XXIe siècle, ce virage numérique ouvre la voie à un avenir plus prospère, plus agile et résolument tourné vers l’innovation et le bien-être de ses citoyens.
L’objectif général est de moderniser les services publics, renforcer la compétitivité industrielle, offrir une éducation et des soins de santé modernisés, tout en garantissant la sécurité des données et en stimulant l’innovation entrepreneuriale. Pour y parvenir, une stratégie structurée s’articule autour de quatre axes majeurs, chacun soutenu par un plan d’action détaillé et des indicateurs de suivi précis.
Dans un premier temps, l’axe de modernisation de l’administration publique cherche à offrir des services administratifs transparents et efficaces en ligne, simplifiant ainsi les démarches pour les citoyens et les entreprises. Le deuxième axe, dédié à la dynamisation de l’écosystème technologique et industriel, vise à favoriser l’innovation et la compétitivité des entreprises tunisiennes ainsi qu’à stimuler la transformation numérique et l’innovation locale et encourager la création de valeur ajoutée pour dynamiser l’économie. Des programmes d’accompagnement, incluant des ateliers de codage, des sessions de mentorat et des hackathons, seront organisés en collaboration avec des incubateurs et accélérateurs d’entreprises. Un soutien financier accru et des incitations fiscales spécifiques seront mis en place pour encourager les startups innovantes, tandis que des événements réguliers favoriseront le networking et faciliteront l’accès à des marchés internationaux. Le troisième axe, consacré à la révolution de l’éducation et de la santé, a pour objectif de préparer les jeunes aux défis du futur grâce à une éducation numérique de qualité et de moderniser le secteur de la santé par l’intégration de solutions digitales. Enfin, le quatrième axe se concentre sur le renforcement de la cybersécurité et de la souveraineté numérique. Il s’agit de garantir la sécurité des données et des infrastructures numériques et de renforcer la confiance dans l’écosystème digital tunisien. À cette fin, il est impératif d’élaborer et d’appliquer des lois modernes en matière de cybersécurité et de cybercriminalité, et de mettre en place des normes pour les services de cloud souverain. La formation des professionnels de la sécurité numérique, ainsi que le déploiement d’infrastructures sécurisées telles que des réseaux 5G labellisés, constituent également des priorités.
Renforcer l’intégration de l’intelligence artificielle
Pour garantir le succès de cette transformation, des mécanismes de suivi
et d’évaluation rigoureux seront instaurés. La création d’un Comité national de transformation digitale, composé de représentants du gouvernement, des entreprises, des universités et de la société civile, permettra de suivre les indicateurs de performance et de coordonner les actions. Des indicateurs clés de performance (KPI) spécifiques seront définis pour chaque axe stratégique, et des rapports annuels d’avancement seront publiés afin d’assurer la transparence et d’ajuster les politiques en fonction des résultats obtenus.
Ainsi, bien que la Tunisie ait amorcé sa transformation numérique, il est impératif d’aller au-delà et de renforcer l’intégration de l’intelligence artificielle (IA), dans le cadre du nouveau plan d’action structuré. En adoptant cette approche intégrée, la Tunisie pourra se doter des outils nécessaires pour se réinventer et relever les défis du XXIe siècle. Le virage numérique, combiné à l’IA, représente une opportunité cruciale pour optimiser les processus, automatiser les tâches complexes et offrir des services intelligents, personnalisés et anticipatifs. Ce n’est pas seulement une amélioration technologique, mais une chance unique de réinventer les modèles économiques et sociaux du pays, en renforçant sa compétitivité à l’échelle internationale et en ouvrant la voie à un avenir plus prospère et inclusif.
Il est donc essentiel que cette intégration complète des technologies de l’IA soit au cœur du nouveau plan de transformation, afin que la Tunisie puisse véritablement profiter des bénéfices de cette transition numérique. C’est dans ce cadre qu’elle doit s’engager à soutenir cette fusion et orienter ses politiques publiques vers une meilleure intégration de l’IA dans l’ensemble des secteurs stratégiques.
L’étape suivante, essentielle pour assurer la réussite de cette alliance, consiste à investir dans des formations spécialisées pour les jeunes talents, encourager la recherche en IA et développer des partenariats avec des acteurs internationaux pour accélérer l’adoption de solutions innovantes. Il s’agit, également, de renforcer les infrastructures numériques existantes et de promouvoir une gouvernance numérique intelligente et inclusive. Ce n’est qu’en favorisant une collaboration étroite entre l’État, les entreprises et les universités que la Tunisie pourra maximiser les retombées positives de cette transition numérique et digitale, en créant un écosystème propice à l’émergence d’un avenir connecté et durable. γ
*Ingénieure, romancière et activiste
www.raniahammami.tn