Les évènements de Tataouine et le décès de l’un des manifestants sont venus nous rappeler comme il y a quelques mois à Kasserine et dans d’autres régions de l’intérieur, l’urgence de la question sociale et la nécessité de définir des stratégies capables de faire baisser la tension sociale et d’assurer une stabilité politique et sociale nécessaires à une reprise de l’investissement et de la croissance économique.
Il faut dire que cette tension n’a jamais cessé. La contestation sociale qui a démarré, il y a quelques années et qui, des évènements du bassin minier en 2008 aux évènements de Ben Guerdane en 2010, est allée crescendo, a fini par faire tomber l’ancien régime et a donné le signal de départ au printemps arabe qui, dans certains pays, a connu une dérive pour se transformer en conflits armés d’une atrocité inouïe. Seule l’expérience tunisienne a résisté aux vents contraires et a su faire face aux menaces terroristes. Nous avons pu effectuer des pas importants sur la voie de la transition démocratique.
La révolution démocratique a créé une grande attente et un espoir immense de régler les questions de marginalisation et de chômage héritées de longues décennies de développement inégal. Il faut rappeler que parallèlement à l’exigence d’une plus grande libéralisation du système politique et d’une sortie de l’autoritarisme devenu une marque de fabrique des régimes politiques arabes, les révoltes du printemps arabe étaient également portées par des exigences sociales et une nécessité d’opérer une transformation profonde du modèle de développement. L’inclusion sociale, l’égalité du développement entre les régions sont devenues la contrepartie de l’exigence de liberté et les fondements de la transition démocratique.
Or, si nous avons effectué des pas importants dans le domaine politique avec l’adoption de la Constitution, l’organisation des élections et la mise en place de nouvelles instances constitutionnelles, force est de constater que la question sociale et les revendications de justice et d’inclusion sont restées à la traîne. Plusieurs raisons expliquent ce retard dont des décennies de marginalisation qu’il est difficile de rattraper en peu de temps. Il faut également mentionner des procédures administratives et une bureaucratie qui retardent l’exécution et la mise en œuvre des projets de développement et la priorité accordée aux régions de l’intérieur dans les différents budgets de l’Etat adoptés depuis 2011. Il faut également mentionner la faiblesse et la fragilité de la croissance qui n’a pas favorisé un développement rapide de l’investissement, particulièrement dans les régions intérieures et par conséquent l’emploi et l’inclusion sociale.
Cependant, cet échec s’explique particulièrement par le traitement classique opéré par les différents gouvernements à la question sociale et aux promesses de dignité et d’inclusion du printemps arabe. En effet, cette politique s’inscrivait dans la continuité du traitement du régime déchu qui consistait en un traitement au cas par cas, avec une série de promesses rarement respectées et souvent ignorées immédiatement après leur annonce. L’autre versant de ce traitement est le rappel du caractère structurel de cette marginalité et du fait qu’elle ne sera résolue qu’avec un retour de la croissance à moyen et long termes. Une analyse souvent ponctuée d’un appel à la patience des populations et d’une promesse de l’amélioration future de leurs conditions.
Or, la tension sociale et les mouvements sociaux qui se développent dans les différentes régions montrent l’échec de ce traitement. De ce point de vue, le suivi et l’analyse effectués par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES) depuis plusieurs mois ont montré un développement de la contestation sociale dans différentes régions et la montée de l’impatience et de la frustration qui étaient annonciateurs de mouvements plus durs, comme c’est le cas à Tataouine avec les confrontations avec les forces de l’ordre.
Certes, ces mouvements ont été aussi l’occasion pour des forces politiques et parfois quelques extrémistes de verser de l’huile sur le feu et de renforcer l’instabilité et peut-être même, conduire notre expérience démocratique vers le chaos. Cependant, la montée des mouvements sociaux et la contestation sociale dans différentes régions montrent l’urgence de la question sociale et la nécessité d’opérer un changement radical dans son traitement. Le changement de politique que nous appelons de tous nos vœux doit se situer à deux niveaux. Le premier est de comprendre l’urgence de cette exigence d’égalité et d’inclusion et la nécessité de lui apporter des réponses à court terme. Certes, nous croyons profondément que ces inégalités régionales en matière de développement sont le résultat de décennies de développement inégal et par conséquent exigent des réponses structurelles, dont les effets mettront du temps à se faire sentir. En même temps, l’état de désolation et de crises sociales exige des réponses à court terme.
La seconde rupture politique doit se situer au niveau du traitement au cas par cas des tensions sociales dans le pays. Ce choix a montré ses limites dans la mesure où il augmente les tensions et laisse peu de temps aux pouvoirs publics confrontés à des incendies à répétition, de mettre en place les politiques de court et long termes. Nous suggérons que la réponse à la question sociale doit être globale et cohérente.
Cette double rupture dans les politiques doit se traduire par la définition d’un programme d’urgence sociale couvrant l’ensemble des régions. Nous suggérons d’en faire un programme cohérent, couvrant les questions prioritaires pour toutes les régions à savoir l’emploi, l’infrastructure, l’éducation et la santé. Ce programme doit être défini par les pouvoirs publics en coordination avec les associations de la société civile dans les différentes régions. Nous reviendrons un peu plus dans les détails sur cette proposition dans d’autres contributions.
Nous sommes persuadés que ce changement de politique et la définition d’un programme global d’urgence sociale enverra un énorme message d’espoir dans toutes les régions et contribuera à la stabilité nécessaire à la relance de l’investissement et de la croissance et à la mise en place des réformes structurelles qui prépareront l’avenir.
A nous de mettre l’imagination et l’innovation à l’ordre du jour pour sortir de cette crise par le haut et répondre à l’immense désir d’inclusion et d’intégration sociale.