Le budget, pierre angulaire de toute politique économique, suscite en Tunisie des débats aussi vifs que nécessaires. Dans un contexte économique fragilisé, marqué par un ralentissement persistant et l’absence de signaux de reprise depuis plusieurs années, le gouvernement se trouve face à un dilemme majeur. Comment la politique budgétaire peut-elle efficacement relancer la dynamique économique sans compromettre la maîtrise du déficit ? En d’autres termes, quel arbitrage optimal faut-il établir entre l’impératif d’une relance et la nécessité d’accroître les ressources fiscales ?
Par Mohamed ben Naceur
Si l’équation paraît complexe, voire insoluble, elle constitue l’essence même d’une gestion budgétaire avisée. Le contexte actuel exige une impulsion en faveur de la relance, un effort qui ne rime pas nécessairement avec un creusement du déficit. Il est contre-productif d’ériger la réduction du déficit en objectif central de la politique budgétaire. L’attention devrait plutôt converger vers la croissance économique, véritable moteur de la génération de recettes fiscales additionnelles. L’enjeu immédiat est donc de regagner quelques points de croissance. À cette fin, un renouveau profond, voire urgent, de la politique budgétaire s’impose. À titre d’illustration, une refonte radicale de la gestion des dépenses de développement est indispensable pour revitaliser une infrastructure en état de délabrement avancé. Parallèlement, des baisses d’impôts substantielles, conditionnées à la réinjection des bénéfices dans l’économie, méritent d’être envisagées.
Aujourd’hui, la politique budgétaire doit être maniée avec intelligence pour extirper la Tunisie du marasme économique. Il est crucial de rappeler que le budget de l’État pour 2025 a été élaboré sur une prévision de croissance de 2,8 %, une trajectoire que nous sommes loin d’atteindre. Les services du FMI tablent désormais sur une croissance anémique de seulement 1,4 % pour cette année.
Cette pratique regrettable de surestimation de la croissance future, visant à présenter un budget apparemment acceptable, s’est malheureusement institutionnalisée depuis 2011. Nombre d’économistes expriment leur scepticisme : d’où proviendra la croissance en l’absence de mesures concrètes et d’une vision stratégique claire ?
De nombreux experts semblent sous-estimer les conséquences d’un tel niveau de croissance, ignorant les mécanismes du marché qui rappellent à l’ordre les politiques hasardeuses et sanctionnent les dérives incontrôlées. Il est superflu de rappeler que les prêteurs n’agissent pas par philanthropie, mais recherchent un rendement assorti de garanties de remboursement. Ainsi, la croissance économique est le gage de recettes futures qui assureront la soutenabilité de la dette. L’expérience atteste qu’un endettement croissant se traduit par une prime de risque accrue exigée par les créanciers, se matérialisant par des taux d’intérêt plus élevés. Cette augmentation des taux alourdit les dépenses publiques via la charge de la dette (paiement des intérêts). Le risque majeur est que cette prime de risque devienne prohibitive, privant le gouvernement de toute marge de manœuvre budgétaire et contraignant le pays à s’endetter davantage pour simplement honorer les intérêts. Ce cercle vicieux alourdit le service de la dette (coût des intérêts additionnels à un principal déjà élevé). La banqueroute devient alors une perspective inéluctable, car l’absence de croissance alimente une spirale infernale d’augmentation du ratio dette/PIB, hypothéquant toute perspective de redressement.
En conclusion, la politique budgétaire ne saurait se réduire à une simple équation comptable d’équilibre entre ressources et emplois, focalisée sur la seule réduction du déficit. La véritable question n’est pas tant de diminuer le déficit pour lui-même, mais plutôt de définir la finalité de ce budget. Quelles économies budgétaires seront réalisées et à quelles fins ? Comment moderniser notre fiscalité pour stimuler l’investissement et renforcer la compétitivité de nos entreprises ? Comment optimiser la gestion des dépenses de développement pour améliorer concrètement le quotidien des citoyens ? Autant de questions cruciales auxquelles le budget aurait dû apporter des réponses claires et ambitieuses.
La Tunisie doit impérativement initier une rupture dans sa gestion budgétaire. Elle doit accorder la priorité à la croissance tout en se dotant de règles budgétaires rigoureuses pour maîtriser l’endettement. Cette prouesse exige un changement de paradigme de la politique économique, où le budget de l’État repose sur une logique économique robuste plutôt que sur une simple logique comptable. Parallèlement, il est essentiel de restaurer la confiance des prêteurs quant à la rentabilité de leurs investissements. Pour ce faire, la politique budgétaire doit impérativement gagner en crédibilité quant à son efficacité.
En définitive, le budget actuel s’apparente à un exercice classique dont l’objectif principal semble se limiter à assurer son financement et, potentiellement, à réduire le déficit. Si la croissance ne se redresse pas, il est fort probable que l’équation budgétaire de demain devienne encore plus complexe, avec des baisses automatiques de recettes et des hausses tout aussi automatiques de dépenses risquant de faire exploser le déficit et de rendre le niveau d’endettement totalement insoutenable.