Pour une solution tunisienne à la crise

Plus d’un mois et demi après l’assassinat du constituant Mohamed Brahmi et la crise dans laquelle ce crime a plongé le pays, la confrontation entre la Troïka au pouvoir, d’une part, et, d’autre part, l’opposition regroupée dans le Front de Salut et les expressions autonomes de la société civile ne semblent pas déboucher sur une solution pouvant satisfaire les protagonistes :

– Le quartet, parrainant le dialogue national, refuse de parler d’échec de son initiative, somme la Troïka et le Front de Salut d’assumer leurs responsabilités au regard des intérêts supérieurs du pays, affirme son attachement à ses propositions pour sortir de l’impasse et menace de dévoiler à l’opinion publique ce qui s’est dit par les uns et par les autres lors des négociations qui ont eu lieu jusqu’ici en désignant les responsables des blocages. Le CA de l’UGTT s’est conclu par un avertissement : le dialogue ne se poursuivra pas au-delà de cette semaine.

– Le Front de Salut considère qu’il a fait toutes les concessions possibles en acceptant les propositions du quartet, et refuse toute autre concession qui serait synonyme de trahison de ses engagements à l’égard du pays et de la mobilisation qui se poursuit depuis l’assassinat de Mohamed Brahmi. Pour ne pas donner l’impression qu’ils piétinent, ses dirigeants promettent d’annoncer cette semaine leur feuille de route pour la sortie de la crise. 

– La Troïka a resserré ses rangs derrière les positions des faucons d’Ennahdha : refus des demandes de l’opposition, refus des propositions du quartet, refus des ouvertures de M. Ben Jaafar sommé et obligé de revenir sur sa position de suspendre les travaux de l’ANC sous peine de perdre le perchoir, refus des concessions consenties par R. Ghannouchi à la suite de sa rencontre parisienne avec B. Caïd Essebsi, refus de prendre en compte les dangers qui pèsent sur le devenir du pays.

Le gouvernement de Laarayedh continue, comme si de rien n’était, les limogeages, les nominations partisanes dans l’Administration, à la tête des médias, des services publics, tout en procédant à des arrestations et des poursuites judiciaires contre les journalistes, les syndicalistes et les acteurs qui osent dénoncer ses complicités avec les groupes terroristes.

Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi, après l’échec de leur accord à Paris, se sont rendus à Alger où ils ont été reçus par le Président algérien qui propose ses services pour les amener à trouver un terrain d’entente prenant en compte les intérêts du pays, de son voisinage et de la région.

Les autorités algériennes réussiront-elles là où les États-Unis et la Communauté européenne ont échoué au lendemain de la rencontre de Paris ? L’Algérie semble avoir des arguments pour se faire entendre en Tunisie : rappelons que ses menaces d’interventions contre les groupes terroristes dont l’activité est dangereuse pour sa propre sécurité, et la mobilisation de ses troupes tout au long de la frontière tuniso-algérienne ont été un facteur décisif dans le déclenchement de l’offensive de l’armée et des forces de sécurité contre les maquis terroristes dans la région de Kasserine et dans d’autres zones frontalières, ainsi que contre leurs soutiens dans la capitale et dans plusieurs villes. Les visites de R. Ghannouchi et de B. Caïd Essebsi à Alger interviennent après les déclarations des autorités algériennes signifiant leur refus de l’installation d’une quelconque base de puissances étrangères dans son voisinage.

L’exigence de transparence

Il est légitime que l’Algérie s’inquiète des menaces qu’une déstabilisation de la Tunisie ferait peser sur sa sécurité. Pour cette raison, il est aussi légitime que les autorités algériennes se préoccupent de l’évolution de la situation en Tunisie et cherchent à rencontrer des responsables tunisiens pour discuter avec eux de l’avenir du pays. Cependant, les Tunisien(ne)s qui ont fait une révolution pour reprendre leur destin en main après des décennies de dictature les excluant du débat politique, n’acceptent plus d’être les derniers informés du contenu des discussions qui concernent leur avenir. Ils n’ont pas fait une révolution pour que leurs affaires soient traitées à Washington, à Londres, à Paris, à Bruxelles, à Ryadh, à Doha, à Istanbul ou à Alger. Ils ont le droit de suivre les négociations menées en leur nom et au sujet de leur avenir. Ils ne veulent plus être mis devant le fait accompli. C’est pour cela qu’ils avaient demandé que les travaux de l’ANC et de ses commissions soient transmis directement à la télévision.

Au début, leur exigence a été prise en compte ; mais, très vite, les journalistes ont été éconduits pour que les tractations concernant les partages du pouvoir et des privilèges, les manœuvres dilatoires et les machinations de toute sorte se déroulent en cachette, dans les travaux des commissions désormais à l’abri des caméras.

Puis, en réaction à la divulgation par des députés « indisciplinés » des tractations dans les commissions de l’ANC, les coulisses du siège d’Ennahdha à Montplaisir sont devenues le véritable siège du pouvoir où sont prises les décisions avant qu’elles ne soient validées par la direction d’Ennahdha, puis présentées au conseil de la Troïka avant leur transmission à la Kasbah, au Bardo et à Carthage dont le locataire, de son propre aveu et de l’aveu de ses conseillers, est rarement associé aux consultations, y compris lorsqu’il s’agit de questions relevant de ses prérogatives, comme c’est le cas des récentes rencontres avec les autorités algériennes, européennes ou américaines dont il est complètement exclu.

Plus le pays s’enfonce dans la crise, plus les lieux de décision s’éloignent et les institutions légales sont marginalisées. Même les directions des partis au pouvoir sont exclues des grandes décisions. C’est l’une des raisons de la mutinerie des faucons d’Ennahdha contre « l’accord de Paris » concocté par leur chef dans les coulisses des capitales et des chancelleries étrangères avant qu’il ne soit présenté au Conseil de la Choura puis au dialogue national.

Les Tunisien(ne)s, mobilisés depuis des semaines pour faire entendre leur voix, ne veulent plus de ce mode de gouvernance et de prise de décision où ils sont traités comme des mineurs. Ils ont le droit sinon d’être associés, du moins d’être les premiers informés des discussions relatives à la recherche d’une sortie de la crise dont ils sont la première victime. Cela vaut aussi bien pour les rencontres dans les capitales et chancelleries étrangères que pour les discussions parrainées par le quartet dont Houcine Abbassi menace de divulguer les dessous en cas d’échec du dialogue national. C’est en Tunisie et avec les Tunisien(ne)s qu’il faut d’abord chercher les solutions aux problèmes du pays si nous voulons que la transition débouche sur l’instauration de la démocratie.

 

Chérif Ferjani

 

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