Pourquoi ce regain d’intérêt ?

Le Chef du gouvernement Ahmed Hachani en visite de travail à Paris le 28 février 2024 ; l’Union européenne débourse, début mars 2024, 150 millions d’euros dans le cadre du Mémorandum d’entente entre l’UE et la Tunisie, signé le 16 juillet 2023 à Tunis ; le vice-président de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Férid Belhaj, de retour à Tunis, assure, le 26 février 2024, la disposition de la BM à soutenir les projets économiques et sociaux  de la Tunisie par le biais de financements annuels dans le cadre de la coopération stratégique ; les Etats-Unis d’Amérique, par la voix de leur ambassadeur en Tunisie, Joe Hood,  déclarent poursuivre le développement de la coopération avec la Tunisie, « malgré les divergences autour de la question palestinienne ». Tous soutiennent la Tunisie qui court encore pour combler son déficit budgétaire et respecter les échéances de paiement de la dette extérieure, chaque échéance étant une étape de stress pour tous les Tunisiens.
Autant de faits et d’indices qui préconisent un réchauffement des relations entre la Tunisie et ses plus traditionnels partenaires occidentaux et un rapprochement après un froid, glacial, qui a duré plus de deux ans.
Le coup de force du 25 juillet 2021 a, en effet, agi comme un coup de frein à ce qui était censé être une transition démocratique (après le 14 janvier) soutenue par la communauté internationale, une décennie qui a bénéficié d’un « full crédit » occidental sans reddition des comptes favorisant la mauvaise gestion et la corruption. Le 25 juillet 2021 a, également, marqué la fin d’un soutien américain illimité aux frères musulmans tunisiens qui s’est traduit par la fermeture des vannes financières internationales, des sanctions financières non avouées que la Tunisie a subies de plein fouet et qu’elle continue de supporter. Au cours de la traversée du désert, qui n’est pas encore achevée, l’Exécutif a tenté de trouver des solutions tuniso-tunisiennes tout en rejetant toutes les exigences du FMI soutenues par l’Occident, pour obtenir un prêt de 1,9 de dollars, et en refusant toute forme d’ingérence étrangère.
A Paris, le premier ministre français a évoqué les importantes relations économiques entre les deux pays et souligné la nécessité de les soutenir et de les promouvoir dans tous les domaines, y compris géopolitique, « dans l’intérêt des deux pays ». Gabriel Attal a, aussi, formulé le vœu d’encourager les investissements privés dans les deux pays et d’améliorer la situation économique de chacun des deux pays face aux défis actuels. Il convient de noter que si les relations tuniso-françaises ont connu des hauts et des bas, elles ont, néanmoins, toujours veillé à préserver les intérêts fondamentaux bilatéraux et la visite de travail de Hachani à Paris, dont on sait peu de choses, pourrait ouvrir de nouveaux horizons.
Le vice-président de la BM a, pour sa part, plaidé la cause de la Tunisie, lors de sa visite à Tunis au mois de février dernier, en déclarant que « la Tunisie a besoin de financements sous forme de dons et non de prêts pour financer la transition écologique ». Rappelons qu’en mars 2023, la BM avait suspendu « jusqu’à nouvel ordre » son cadre de partenariat avec la Tunisie, suite à un discours du président Saïed contre l’immigration clandestine, bien que la Tunisie ait une longue tradition d’ouverture et de tolérance. Le contexte était propice à ce genre de décision contre la Tunisie alors qu’elle faisait face à une grave crise économique et financière, même si la BM avait maintenu les financements et les projets en cours de réalisation.  Du côté de l’Union européenne, un communiqué fait savoir que le soutien financier (150 millions d’euros) sous forme de don « vise à accompagner la Tunisie dans la stabilisation de sa situation macro-économique et dans ses efforts d’amélioration de la gestion des finances publiques et du climat des affaires ». Un retour, donc, progressif, des partenaires étrangers vers de meilleures intentions à un moment où la Tunisie se prépare à la tenue de l’élection présidentielle à l’automne 2024 dans un contexte de contrôle des libertés controversé.
La Tunisie a toujours tenu à préserver ses relations avec tous les pays, y compris ses partenaires traditionnels, sur la base de la non-ingérence dans les affaires intérieures respectives et Kaïs Saïed a remis la souveraineté tunisienne, au-devant de toutes les priorités nationales, un sujet qui agace les partenaires étrangers et favorise les tensions.
A quoi devons-nous donc ce retour des partenaires alors que le contexte politique reste le même? Il est vrai que les orientations stratégiques de la Tunisie lorgnent l’Est, la Russie et la Chine, depuis quelque temps, dans le but de diversifier les relations économiques et financières et trouver des issues autres qu’européennes ou américaines à l’impasse de la crise financière. Les récentes rencontres de Kaïs Saïed avec le ministre des Affaires étrangères chinois et le président iranien, à Alger, à l’occasion du 7e Forum des pays exportateurs de gaz où la Tunisie était accueillie en tant qu’invitée d’honneur, peuvent, en effet, aboutir à de nouveaux partenariats économiques et financiers indispensables pour la Tunisie, qui œuvre par ailleurs à renforcer les échanges et la coopération bilatérale avec ses voisins algérien et libyen. Les projets de mise en place de zones de libre-échange entre l’Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie, annoncés par le président algérien lors du 7e Forum des pays exportateurs de gaz, promettent de booster l’économie de chacun des quatre pays et de la région. En attendant la construction d’un véritable Maghreb Uni avec tous les membres du voisinage.
L’attachement de la Tunisie à ses partenaires traditionnels occidentaux est indéniable dans le cadre d’un respect mutuel des spécificités de chaque pays et de ses intérêts économiques, financiers, politiques, culturels et sociaux. Mais la diversification des partenaires économiques et l’élargissement du réseau des relations internationales sont devenus une urgence dans un contexte de reconfiguration de l’ordre mondial tendant vers un monde multipolaire.

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