Pourquoi les variants plus virulents du SARS-CoV-2 se multiplient-ils depuis septembre ?

Récemment, plusieurs variants potentiellement plus contagieux et déjouant mieux notre système immunitaire sont apparus. Explications.
Au cours des 10 premiers mois de la pandémie, le Sars-Cov-2 n’a cessé de muter. Mais son génome n’a pas été radicalement modifié, ni ses effets concernant la sévérité de la maladie ou sa contagiosité. Depuis cinq mois en revanche, quatre variants plus « efficaces » et plus dangereux que les souches « d’origines » sont apparus. D’abord la lignée B.1.1.7 et son variant 501Y.V1, découvert en septembre au Royaume-Uni, qui semble 30 à 70% plus contagieux, puis la lignée B.1.351 et son variant 501Y.V2, détectée en Afrique du Sud au mois d’octobre, et enfin la lignée P.1 et son variant 501Y.V3, découvert au Japon et au Brésil en janvier dernier. A cette liste pourrait s’ajouter un cousin du variant britannique portant la mutation E484K, la même que celle des variants sud-africain, brésilien et japonais et qui semble améliorer la résistance du virus face à l’immunité naturelle ou conférée par des vaccins, voire de pouvoir réinfecter des hôtes.
L’émergence de ces variants n’a rien de surprenante. La vie d’un virus est naturellement ponctuée de mutations et Sars-CoV-2 ne fait pas exception. A chaque fois qu’un virus infecte une cellule humaine, il s’y multiplie en réplique son code génétique. Parfois, cette réplication est imparfaite : une ou plusieurs erreurs se glissent dans le processus, comme des fautes de frappe, ce qui produit une ou plusieurs mutations. Certaines sont délétères : elles portent préjudice au virus en diminuant par exemple ses capacités de transmission, ce qui conduit souvent à sa disparition. D’autres mutations sont « neutres » et ne semblent pas modifier le comportement du virus ni sa transmission. Les troisièmes sont bénéfiques : certaines améliorent sa contagiosité, d’autres lui permettent d’échapper au système immunitaire. Ces virus renforcés, appelés « variants », ont alors plus de chance de s’imposer dans la population et de remplacer les souches moins efficaces. Si ces phénomènes sont bien connus, l’apparition de ces variants à quelques mois d’intervalle seulement étonne. Et pourquoi n’ont-ils pas émergé plus tôt ? D’autres plus dangereux encore risquent-ils de se manifester dans les semaines ou mois qui viennent ? Trois chercheurs répondent à L’Express.
*Une réponse à la pression immunitaire
« Ce qui est étrange, c’est qu’ils arrivent presque tous en même temps, confirme Benjamin Roche, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Selon ce spécialiste de la variabilité des maladies infectieuses, plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce phénomène. La première est liée aux capacités de détection des variants grâce au séquençage génétique du virus : l’analyse fine de son génome afin de détecter ses mutations. Si les capacités de séquençage ont été grandement améliorées dans de nombreux pays au cours de ces derniers mois, tous les pays ne sont pas égaux en la matière. Ainsi, il n’y a rien d’étonnant à ce que le Royaume-Uni a été le premier pays à identifier un variant, puisque ses capacités de séquençage sont parmi les meilleures au monde. « Sauf que depuis septembre, nous avons constaté l’émergence d’autres variants dans des pays qui ne sont pas aussi bien dotés, donc même si ce facteur joue, il ne peut constituer une explication à lui seul », estime Benjamin Roche.
La deuxième hypothèse est que les mutations sont apparues à cause de la pression immunitaire. « Au fur et à mesure que les populations s’immunisent [soit après une infection, soit grâce à un vaccin, NDLR], les mutations qui permettent au virus d’échapper à la réponse immunitaire [les mutations d’échappement comme E484K apparue au brésil, NDLR] sont favorisées, explique Samuel Alizon, l’un des principaux experts français en phylodynamique, directeur de recherche CNRS dans l’équipe Evolution Théorique et Expérimentale du laboratoire MIVEGEC, à Montpellier. Dès lors, il est logique que ces mutations ne soient pas apparues en début d’épidémie. » En effet, lorsque le système immunitaire détecte le virus, les anticorps s’attaquent plus volontiers à certaines de ses parties. Or, des mutations peuvent changer la forme de ces zones cibles, et parfois même conférer en plus un avantage au virus. Les anticorps ne sont alors plus capables de reconnaître ces zones et le virus peut leur échapper en partie et donc mieux se répandre dans la population. S’il a acquis, en plus, un avantage, sa diffusion se trouve encore renforcée.
« L’idée s’est notamment développée après l’importante épidémie à Manaus, au Brésil, à la suite de laquelle on pensait qu’une grande partie de la population était immunisée, or l’épidémie a repris quelques mois plus tard, ce qui laissait penser que le nouveau variant brésilien avait émergé en réponse à l’immunité de masse, détaille Benjamin Roche. Néanmoins, il faut noter que la situation à Manaus n’est pas celle de l’Afrique du Sud ni de l’Angleterre où l’immunité collective est loin d’être atteinte, donc cette hypothèse ne permet sans doute pas d’expliquer à elle seule l’apparition concomitante des variants ». D’autre part, il faut rappeler que l’étude scientifique qui suggère que la population de Manaus avait atteint l’immunité collective lors de la première épidémie contient des biais qui peuvent fausser les résultats. La population analysée dans cette étude n’est par exemple pas représentative de la démographie réelle de la ville. Des chercheurs avaient également relevé que les hospitalisations ont augmenté de manière bien plus importante dans les cliniques privées que dans les hôpitaux publics lors de la deuxième vague, ce qui pourrait signifier que les plus riches ont été moins touchés par la première vague, mais plus par la seconde, comme l’indique le Huffpost. « Mais le fait que l’on retrouve certaines mutations chez tous les variants suggère qu’il y existe globalement des contraintes génomiques assez fortes sur l’évolution du SARS-CoV-2, or ce dernier n’a pas 36 solutions pour résoudre ces contraintes », insiste Samuel Alizon, selon qui l’hypothèse de la pression immunitaire reste forte.
*L’hypothèse des immunodéprimés
Une troisième hypothèse concerne les « Covid-long ». « Certains patients infectés par le Covid-19, notamment ceux dont le système immunitaire est déficient, développent des formes relativement longues de la maladie. Cela signifie qu’ils gardent le virus pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois dans leur organisme. Or si le virus évolue quand il se transmet, il évolue aussi au sein des organismes qu’il infecte, détaille Samuel Alizon. Étant donné que les Covid-longs sont apparus un peu partout dans le monde en même temps, cela pourrait expliquer l’émergence apparemment simultanée des différents variants. » Cette hypothèse pourrait également suggérer qu’il existe une « convergence évolutive » chez les différentes souches du virus. En d’autres termes, certaines mutations du virus pourraient apparaître quoi qu’il arrive au bout d’un certain temps, et les personnes immunodéprimées auraient simplement accéléré leur apparition. « L’évolution convergente signifie que les mêmes caractères apparaissent chez des êtres vivants qui n’ont pas d’ancêtres communs et qui se trouvent dans des contextes légèrement différents, mais qui vont tout de même évoluer dans le même sens, précise Benjamin Roche. L’échappement immunitaire pourrait être une conséquence de cette évolution convergente, mais cela pourrait également être une plus forte mortalité, ou une plus grande transmissibilité, etc. » A ce titre, la grippe saisonnière constitue un bon exemple, puisque tous les trois à six ans, le virus se « met à jour » simultanément à des endroits très différents de la planète.
« Il existe une autre hypothèse qu’il ne faudrait pas non plus écarter pour expliquer l’apparition concomitante des variants : le hasard !, ajoute Morgane Bomsel, virologue et chercheuse du CNRS à l’Institut Cochin, en France. Certains virus se répliquent par exemple mieux que d’autres, ce que nous appelons la fitness ou capacité de réplication, et qui vont donc mieux se transmettre. Mais si la réponse immunitaire bloque l’apparition de ce virus, alors d’autres virus dont la fitness est moins bonne peuvent émerger, et si par hasard ils mettent plus de temps à infecter leur hôte, mais se répandent ensuite mieux aux autres hôtes, alors ils se répandent et deviennent dominants. Il faut toujours se méfier du hasard et aussi se demander s’il ne cache pas des mécanismes que nous ne comprenons pas encore. » Enfin, d’autres hypothèses moins crédibles ont été évoquées. Le professeur Didier Raoult, qui dirige l’IHU – Méditerranée Infection, estime par exemple que l’usage du Remdesivir, un médicament développé par Gilead et déconseillé par l’OMS, aurait pu faciliter l’émergence des nouveaux variants chez des patients Covid-19 immunodéprimés. « J’ai du mal à trouver cette analyse crédible, puisque le nombre de personnes qui ont reçu du Remdesivir reste limité à l’échelle de la planète », note Benjamin Roche. Reste enfin la piste de l’aller-retour du virus entre l’homme et l’animal. Le phénomène inquiète, et a notamment conduit à l’abattage de 15 millions de visons au Danemark, mais jusqu’à maintenant, ces allers-retours n’ont donné que quelques cas sporadiques d’infections et ne semblent pas expliquer l’apparition des variants dans le monde.
« Nous pourrions également nous demander pourquoi ces variants ne sont pas apparus plus tôt, propose Samuel Alizon. Selon moi, la raison est que les mutations qui ont un effet sur l’infection ont besoin d’autres mutations pour être viables. C’est ce qu’on appelle l’effet d’épistasie [l’interaction existant entre deux ou plusieurs gènes, NDLR] : une mutation A seule peut n’avoir que peu ou pas d’effet, pareillement pour une mutation B, mais si A et B sont présentes en même temps, leur combinaison peut avoir un impact. Or la présence simultanée et A et B est un événement rare et, si vous effectuez le même raisonnement avec A, B et C, alors c’est encore plus rare. » En d’autres termes, la combinaison de mutations produit un avantage plus grand que la somme des mutations prises séparément. Une analyse partagée par Benjamin Roche. « L’arrivée tardive des variants n’est pas aberrante, d’autant que lorsqu’une lignée ‘classique’ est en pleine phase de croissance exponentielle et se transmet énormément, elle ne laisse pas la place à une lignée dotée d’une mutation donnant seulement un petit avantage : dans ces conditions, seuls un variant doté d’avantages décisifs peut émerger et ‘gagner’ face aux autres, détaille-t-il. Or pour qu’un tel évènement se produise, il faut que les différentes mutations apparaissent en même temps sur le même virus et il faut ensuite que la personne infectée répande ce virus dans la population : si elle reste confinée, cela ne se produit pas. »
Reste à savoir si d’autres variants émergeront dans les prochains mois. « C’est complètement probable, tranche Benjamin Roche. Mais les variants pourraient prendre des formes très différentes, aussi bien bénéfiques que néfastes pour l’homme, comme une augmentation de la transmissibilité ou de la mortalité, une plus grande résistance face aux anticorps, ou encore une baisse de la sévérité de la maladie, etc. » Néanmoins, l’hypothèse n’est pas certaine. « Une fois qu’un variant devient majoritaire, comme B.1.1.7 au Royaume-Uni ou en France, il peut bloquer la diffusion de nouveaux variants car moins compétitif que lui, analyse Samuel Alizon. D’ailleurs, nous avons repéré certaines lignées présentant des mutations caractéristiques de variants mais qui se sont tout de même éteintes, ce qui illustre par ailleurs l’important rôle du hasard dans les émergences épidémiques ». Une chose est néanmoins sûre, la surveillance des variants va continuer de constituer l’une des principales armes de l’humanité pour mieux combattre le coronavirus.
(L’Express)

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